Il fait grand jour ; une vive lumière s’impose à travers les lames des vieilles persiennes. Cécile est bien réveillée, courbatures du dos, de la nuque ; mais bon !  Elle a dormi enfin ! Farou est posté devant la porte de l’entrée, attendant qu’on le libère pour sa sortie matinale.

 

            Elle va lui ouvrir au moment-même où retentit la sonnette du portail ; deux silhouettes qu’elle reconnaît aussitôt : les gendarmes rencontrés sur la plage hier soir. Tout lui revient : le paquet, les sachets, le sac à dos. Pas le temps de réfléchir, de s’organiser, pas le temps d’avoir peur. Ce clair matin, elle se sent déterminée, énergique.

 

             Elle a vu sur le net que nul ne peut entrer dans une maison sans mandat de perquisition ; elle les recevra donc autour de la table sous le préau, elle les guidera vers   les sièges de jardin. Qu’ils ne voient pas le séjour en désordre et le canapé défait, certes, elle a vidé la poudre dans les toilettes mais elle a laissé les sachets vides dans la poubelle de la salle de bains ! Elle était si fatiguée hier soir qu’elle a oublié de les faire disparaître.         A cette pensée, son angoisse bondit de nouveau.

 

            Prendre son temps et rester calme ; elle va ouvrir, Farou sur les talons ; le gendarme ami des bêtes reconnaît le chien qui aboie. « C’est pour signaler ? » dit-il. Cécile affirme : « il n’est pas méchant, il vous a sans doute reconnus ! » Insensiblement, elle les conduit à l’endroit qu’elle a choisi et où ils s’installent sans se faire prier.          

            Distribution des rôles ; comme sur la plage, l’un questionne et l’autre note sur son portable. Ils se présentent, conformément à la loi énoncent l’objet de leur venue, la confirmation des éléments d’état-civil, les coordonnées de la maison etc… Ils évoquent un éventuel complément d’information à partir de la rencontre d’hier et, pour finir, les consignes de discrétion et de confidentialité de ce qui sera dit dans cet entretien, ils insistent sur la discrétion, sans doute pour la mettre à l’aise. Que des propos rassurants ! Le ton est agréable mais les questions sont précises, circonstanciées. Elle se détend un peu mais reste vigilante.  Non, elle n’a rien vu ni entendu dans la petite rue, rien de particulier non plus sur la corniche ; pas de bruits suspects, pas de va-et-vient inhabituels, pas d’individus inquiétants.

 

            Rien à propos du sac à dos, sa crainte, l’objet de son inquiétude ! Ils cherchent à la faire parler des gens du quartier ; elle explique que sa maison est une maison de vacances, depuis 25 ans ; elle connaît bien le coin, peu de maisons sont habitées à l’année, une rue très calme où vivent quelques retraités dont le père Langeau évoqué sur la plage. On plaisante un peu sur lui, figure de la rue avec sa caquette et son vélo déglingué. Le plus jeune serait d’esprit à plaisanter mais le plus vieux le rappelle au sérieux de sa fonction.  Peut-être lui ou ses vieux amis auront-ils plus d’éléments ? Va-t-elle souvent sur la petite crique où ils se sont rencontrés, juste en bas sous le chemin côtier. Avait-elle observé une agitation particulière les jours précédents ? Elle reste évasive autant que possible pour éviter les questions.

 

            Voulez-vous signer ? Difficile de refuser ! Signature électronique, on est branché dans la gendarmerie. Ils prennent congé courtoisement ; Farou les raccompagne.

« Je suis à votre disposition, merci de votre venue ». J’en fais un peu trop, se dit-elle, soulagée de leur départ.

 

            Vidée, épuisée par cet entretien, elle se repasse en boucle les questions, cherche des pièges là où il n’y en a sans doute pas, enfin, veut elle le croire. Mais quel effort !

 

            Après l’effort… un bon café, et une tartine de camembert du Vieux Porche, mémoire fromagère de la famille depuis l’achat de la maison.

Elle porte son plateau sous le préau, la tempête de la nuit a fait place au calme, le ressac est tranquille, le ciel d’un bleu lavé et doux ; elle écoute, pas un bruit.

 

            Pas question de sortir, elle est trop fatiguée, cet après-midi peut-être, mais pas sur la plage, endroit sensible ; peut-être un tour dans les terres à la boutique antiquités – brocantes de ses amis Julien et Marie Eve, des amis très chers. Se distraire de son lourd souci que la venue des policiers n’a pas calmé. Il resurgit, plus on le chasse, plus il prend de l’espace Renaud et son sac. Et si je prenais mon vélo pour aller à la maison de la Presse lire la Charente Libre ? Ils doivent faire la une avec ces histoires de drogue !

            Le village est juste au bout de la Corniche. Peu de monde à cette heure matinale. Passer au marché, quelques noix de Saint Jacques pour son repas de midi, avec un verre de blanc ! Un petit bonheur par négocier ce mauvais moment. La forme revient se dit-elle, elle se moque un peu de son appétit et de sa gourmandise, légendaires pour tous. Elle n’a pas eu faim hier soir, mauvais signe ! Elle se voit déjà à sa table sous le préau, savourer ses coquilles sautées au concombre et à la crème, le goût du pain frais trempé dans la sauce, le croquant de la coquille à peine saisie. Ça revient, ça revient ! J’ai de la ressource quand même !

 

            Ses digressions culinaires l’ont amenée droit à la Maison de la Presse, en effet, l’invasion des plages de l’Atlantique par ces ballots de drogue fait la une ; un entrefilet sur la découverte du Chais, ils sont rapides, les journalistes ! IIs ont placé en première page une photo de notre plage justement ! un malaise la saisit à voir ce lieu qu’elle aime tant ainsi exposé ; vite, elle quitte le magasin, elle ne veut rencontrer personne. Écouter les commentaires, donner des mots à toutes ces émotions inattendues, elle ne peut pas ! Se ménager pour affronter la suite. Impression de mener une course de fond !

 

            Le marché avec ses odeurs puissantes et iodées lui apporte un peu de calme ; les coquilles sont belles sur leur lit d’algues.  Soudain, un flash : et les sachets, je suis partie en oubliant les sachets ! Retour rapide à la maison, les sachets passent de la poubelle à un sac hermétique, elle reprend son vélo pour aller discrètement les placer dans les containers municipaux, tout au bout du village. Pas âme qui vive dans le secteur, elle a mêlé le sac à des épluchures.  Penchée sur le container, elle se sent angoissée, dans une position ridicule et dans l’urgence de faire disparaître le sac compromettant. Je ne suis pas douée pour l’illégalité se dit-elle.

 

            Ouf ! Retour au frais sous le préau, le soleil, haut dans le ciel perce à travers un matelas de gros nuages ; le temps incertain et changeant des grandes marées, mais le passage sur la corniche l’a revivifiée. Se faire plaisir, se refaire, comme on dit ; et encore, encore, le sac à dos qui s’interpose et Renaud et l’avenir... Je rabâche ! L’attente est insoutenable. Mon téléphone ?  Faisons diversion. Des nouvelles de mes chéris... mon amie Delphine en rando dans le Lauragais, une belle photo de vache en fait foi, une autre copine s’est prise en selfie sur un fond de voiliers, Dieu que c’est moche ! A bas cette technique qui déforme, enlaidit les plus charmantes. A nos âges surtout, se dit-elle.

 

            Un autre selfie, très réussi celui-là, d’Élise devant son bureau surchargé ; elle bosse la cession de Septembre, essaie de cumuler deux année en une. Elle reconnaît le sens de l’organisation de sa fille, dans son commentaire sur les bouchées doubles.

 

            Le meilleur pour la fin : une photo de groupe postée par Renaud : un pique-nique sur les quais, à Bordeaux, avec ses potes retrouvés. Photo de groupe devant le Colbert, navire école amarré là à l’année. Que voit elle au premier plan, aux pieds de Renaud ? Le sac à dos ! Son sac à dos !

 

            Le voilà, on le reconnaît bien, sa toile imprimée, le logo, la fermeture éclair dans le bas, à l’endroit du double fond. Un flash, un choc, soulagement si vif qu’il en est douloureux.

 

            Un peu sonnée, elle reprend ses esprits. Premier mouvement, rentrer vite à Melle retrouver Xavier, laisser là toute cette angoisse accumulée en si peu de temps ; et puis non, elle va rester encore un peu ici, dans cette terre de sel et d’embruns qui l’apaise. Oui, s’apaiser, réfléchir, retrouver ses marques après ce moment où tout s’écroule, où tout se remet en question.

            Elle ne parlera pas de cet épisode, elle le gardera pour elle, culpabilisée d’avoir douté des siens, de leur capacité à accepter l’inquiétude d’avoir douté de Renaud, de son implication actuelle, les moments difficiles de l’adolescence, c’est fini !

Peut-être, bien plus tard, elle pourra en parler. Pour l’instant, tout se mélange, l’amour qu’elle porte aux siens, la confiance fragile, le long chemin à parcourir dans l’insécurité de l’avenir, l’équilibre à trouver et retrouver sans cesse.

La mer est toute proche, elle aussi, avec son calme plat et ses tempêtes, changeante et permanente….

             Les Saint-Jacques attendent ! Allons les préparer !