À la sortie du village, la rivière quittait la colline à droite et tournait à gauche vers la campagne, quelques mètres au-dessous du niveau de la route. On suivait son cours par la ligne des buissons et arbrisseaux sur la rive. Il trouva vite, à côté de la route, la petite aire qu’il cherchait. Juste l’espace de passage des machines agricoles pour les champs en bas. Comme lui avait confié en détail l’ami Jacques, d’ici l’on voyait, exactement en face, un petit endroit ombreux. Un aulne solitaire entouré d’arbrisseaux. Serge laisse la voiture un peu au-delà du passage et il prend le chemin rural. Il allait gagner la rive, il ralentit marquant le bruit de son pas.  La surprise n’est pas la bienvenue chez les pêcheurs. L’homme est assis sur un pliant, sa longue canne de bambou à la main, les yeux braqués sur le fil de l’eau. Au même instant que Serge aperçoit le chapeau de paille et la canne la voix du pêcheur l’arrête. 

Pêcheur – Restez là ! 

Serge – Je ne bouge pas ! Je ne désire pas vous déranger. 

Pêcheur – Bien, poursuivez votre promenade :  le village n’est pas loin. 

Serge – Je suis venu vous poser une question. Après je m’en irai. 

Pêcheur – Oh…je devine : vous êtes un ami du jeune homme que j’ai connu hier. Un jeune homme à mille questions ! 

Serge – Je suis plus vieux et j’ai une seule question à vous poser. 

Pêcheur – Je vous préviens : je ne sais pas tout et je n’ai pas tout le temps. 

Serge – La pandémie. Le virus se multiplie, les contagions et les morts aussi. 

Pêcheur – Maintenant le virus pêche au filet. Toutes les espèces vivantes ont un instinct pareil. Se multiplier, se diversifier, contaminer c’est un exercice normal :  il cherche son territoire. 

Serge – II est plus proche à chaque souffle, c’est un truc assez pénible que d’éviter la contagion toutes les minutes. Et voilà, normal : son assaut et mon stress aussi. 

Pêcheur – Pas de surprise. Depuis toujours les hommes ont pratiqué et pratiquent le même exercice… D’abord c’est survivre, ensuite c’est conquérir. N’est-ce pas ?

Serge – Je comprends : jadis les empires, de nos jours…etc… etc… Donc c’est comme ça que le virus écrit son histoire. 

Pêcheur - L’après pandémie sera pour l’année prochaine, peut-être. Quelques semaines de pêche à la ligne et un petit endroit solitaire peuvent aider. Le seul remède que je connais à présent.

Serge – Il ne reste qu’à attendre le vaccin !  

Il salue, deux doigts au chapeau qu’il n’a pas et il tourne ses pas vers sa voiture.

Pêcheur – (par un geste de la tête il rend le salut, ajoutant à demi voix…) Comme pour les empires !