Elle le regarde par la fenêtre, et ce qu'elle voit sur le parking, malgré son énorme fureur, la laisse incrédule. Il est parti en claquant la porte, elle espère qu'il va se retourner mais il se dirige vers sa voiture, le dos droit, la tête haute, sa démarche est rapide, déterminée.

- Sa posture de domination ! Il faut toujours qu'il ait raison, qu'il décide, qu'on soit d'accord avec lui, qu'on se plie à sa volonté, ce n'est pas possible.

Alors qu'il s'approche de sa voiture un ballon atterrit dans la portière arrière.

- Ouh là ! Ce n'est pas le moment ! Ils vont s'en prendre une bonne, se dit-elle.

Mais, elle le voit saisir le ballon et d'un coup de pied, le renvoyer aux enfants qui courent vers lui. Il les regarde, leurs sourit et leur fait un geste amical de la main.

Aussitôt la balance penche du côté cœur.  

Le voir sourire à ces jeunes ! C'est cette image de lui qu'elle a aimée, qu'elle aime encore.    

Elle le croyait en colère elle le voit détendu, joueur, sympathique. Elle éprouve une immense tristesse, une déception. Comme s'il ne s'était rien passé !

- Il s'en fout.

Elle a provoqué cette séparation et elle est seule à en souffrir.  Elle a souhaité cette rupture, et elle se sent seule, dramatiquement seule. Ce coup de pied dans un ballon lui rappelle sa joie enthousiaste lors de leurs premières rencontres et avec dérision elle se dit : finalement, pour moi, côté cœur, c'est pas le pied. 

 

Détendu, sûr de lui, il lui inspirait un sentiment de sécurité, pour lui tout était simple, il trouvait toujours une solution à un problème. À ses côtés, elle se découvrait légère, libérée de cette anxiété latente. Pourquoi tous ces souvenirs reviennent : sa joie, son enthousiasme.

- Oui, j'aurais fait n'importe quoi pour lui plaire, le séduire, le garder, j'aurais tout accepté.  

Ce premier repas au restaurant où il l'avait invitée, elle voulait être parfaite. Durant la semaine qui précédait cette première vraie rencontre, tous les jours elle décidait d'une tenue : un pantalon décontracté ? Non, une jupe légère ? Finalement elle avait opté pour une robe noire très étroite, sobre, mais très élégante. La veille elle avait pris rendez-vous chez l'esthéticienne pour une épilation et se faire faire un masque. Le jour même, elle avait été au bureau une heure plus tôt que d'habitude pour avoir le temps d'aller chez le coiffeur, puis de prendre un bain, se maquiller. Être parfaite ! Elle se souvient, les talons hauts ! Elle aime les chaussures confortables, avec de bonnes semelles, les pantalons ou les jupes larges, mais là, elle voulait vraiment être belle. Pour lui.  

En arrivant, il lui a dit avoir eu une journée difficile, il avait besoin de marcher.

- On va se prendre un bol d'air comme apéro, regarde ce coucher de soleil sur la mer.

Il l'a entrainé sur la promenade du bord de mer, au-dessus des falaises, la mer était haute, les vagues ondulaient sur le rivage. Oui, cela aurait été une promenade agréable, mais elle n'était pas équipée pour. Il marchait à son rythme, elle essayait de le suivre, elle sentait le vent dans ses cheveux et s'inquiétait de se retrouver échevelée et marcher sur des cailloux avec des talons hauts ! Aujourd'hui, elle se dit que dès le premier jour je me suis pliée à son désir, mais ce jour-là, elle aurait tout accepté.

Elle se souvient de cette soirée, on leur avait réservé une petite table près de la fenêtre, ils voyaient la mer, de temps en temps une mouette passait, poussant son cri. Elle s'étonne de ce souvenir du menu, elle qui, habituellement mange parce qu'elle a faim, ce qu'il y a, sans y accorder plus d'importance. Est-ce que lui s'en souvient ? Il n'avait fait aucune remarque sur sa tenue.

- S'il avait fait attention, il ne m'aurait pas proposé de marcher, tout au moins, il n'aurait pas marché aussi vite.

 

Au début, elle l'admirait et elle était fière d'avoir été choisie mais petit à petit, elle s'est sentie insignifiante, inférieure, nulle, toujours hésitante, jamais sûre d'elle, inquiète. Il ne la critiquait pas, mais il ne l'encourageait pas et elle le pensait indifférent à ce qu'elle faisait. Enfin, c'était ce qu'elle ressentait. D'ailleurs, lui-même paraissait peu sensible aux louanges, il n'y faisait pas attention. Il disait : sois fière de ce que tu fais et ne t'occupe pas du regard des autres.  

Lorsqu'il devait s'absenter une ou deux semaines pour son travail, il était content, la séparation ne le préoccupait pas. Un peu par provocation elle s'était inscrite à un congrès en Italie et avait décidé de prolonger son séjour pour visiter Florence. Elle aurait souhaité qu'il souffre de son départ, qu'il lui reproche de prolonger son absence, qu'il émette l'idée de la rejoindre. Mais non, il lui avait dit c'est chouette, profite bien de ce voyage.

Profiter ! Elle s'était aussitôt demandé comment, lui, il profitait et avec qui ?

La balance revenait côté exaspération, rancœur, colère.

 

Mes nuits d'amour !

Avant lui, elle n'avait jamais vécu une telle harmonie, cette tendresse, cette délicatesse. C'était gai, joyeux, détendu, agréable. Cette nuit, chaleureuse, semblable aux autres ! Et subitement envie de s'imposer, de le dominer, de le faire réagir. Envie de se sentir sûre d'elle, forte, oser le critiquer, besoin de l'humilier, de le dénigrer. Avec une certaine jouissance elle attaque son slip kangourou « un slip de grand-père et tes chaussettes ! Tu manques de goût. »

Il l'a regardée avec étonnement, incrédulité. Puis il a souri avec mépris - tu en es là !

Il avait fini de s'habiller lentement, puis simplement il est parti en disant : adieu et elle a entendu la porte se refermer.   

 

Là, elle le regarde par la fenêtre s'éloigner sur le parking.