Lorsque la consigne de confinement a été prononcée, Antoine et Henriette, avec leurs enfants Ernest, Marcelin et la petite Jeanne, décidèrent de fuir la ville pour se réfugier à la campagne dans la maison de grand-maman, où là, ils devaient retrouver les cousins, Jérôme et Auguste ainsi que tante Germaine. Après avoir suivi la longue allée bordée de chênes ils arrivèrent devant la maison de grand-maman, qui avec ses deux parterres bien soignés de chaque côté d'un perron majestueux, son toit d'ardoise, ses fenêtres symétriques, ses rosiers bien taillés, leur inspirait à la fois un sentiment de sérénité, de pérennité et une certaine austérité.
Les enfants étaient dans l'excitation de ces vacances inattendues, l'école était fermée, ils allaient avec les cousins retrouver une liberté de jeux, la possibilité de courir, grimper dans les arbres, faire des cabanes et de s'occuper des animaux poules, pintades et lapins. Mais ils savaient aussi que grand-maman était exigeante sur la politesse, il faudrait bien se tenir, être sage.
Dès leur arrivée, Madame de Saintange réunit tous ses petits-enfants avec un air sévère, elle repoussa la petite Jeanne qui courait pour l'embrasser et se faire câliner. Elle expliqua qu'ils venaient là pour se confiner, pas pour des vacances, les enfants restaient immobiles, subitement inquiets, comprenant rapidement que la joie de se retrouver avec les cousins et de partager ensemble leurs activités habituelles allait être déçue. Elle leur parla d'un virus qui était très dangereux, le coronavirus, qui attaquait les humains et les rendait très malades, après ils avaient du mal à respirer et devaient être soignés à l'hôpital et comme il y avait beaucoup de malades on ne savait pas si on arriverait à les soigner. Toujours avec sa voix grave et autoritaire, elle leur expliqua qu'il fallait respecter les règles de confinement, elle les énuméra :
- J'attendrais que vous respectassiez une distanciation sociale, c'est à dire qu'il ne faut pas se toucher, maintenir l'espace d'un mètre entre vous, vous ne devez pas vous embrasser, les câlins sont interdits, les garçons vous ne devez pas vous bagarrer, pas vous taper ni vous pincer. Vous devrez rester dans vos chambres et vous sortirez dans le parc les uns après les autres.
- Je souhaiterais que vous toussassiez ou éternuassiez dans votre coude.
- J'exigerais également que vous vous lavassiez les mains très souvent avec du savon et frottassiez soigneusement chacun des doigts, entre les doigts, les paumes et le dessus des mains, puis les poignets, ceci dès que vous aurez touché un objet. Vous pouvez aussi prendre du gel hydroalcoolique.
- Vous ne devez pas vous prêter vos crayons surtout si vous l'avez sucé.
- Il est surtout interdit de postillonner, pour cette raison quand vous êtes à côté d'une personne vous devrez porter un masque.
Enfin, elle leur fit très peur en expliquant qu'elle était une vielle personne et qu'elle était donc la plus vulnérable et que si elle était malade, elle pouvait mourir et qu'ils seraient responsables.
Tous restèrent immobiles, figés, la tête baissée, ils évitaient de se regarder, une peur les envahissait, ils imaginaient le virus comme un microbe invisible mais sournois qui allait pénétrer par leur bouche, par leur nez, leurs yeux, leurs oreilles, puis les grignoter, grossir, se multiplier, envahir leurs poumons et enfin les étouffer.
Terrifiés ils n'imaginaient pas se rebeller ni désobéir, néanmoins grand-maman continua et énuméra les sanctions prévues en cas de non-respect de toutes ces règles : Absences de sorties dans le parc, manger seul dans sa chambre, une privation de dessert, un devoir supplémentaire de mathématique ou une rédaction.
Enfin elle demanda « vous m'avez bien compris, est-ce que l'un d'entre vous a une question. »
Ernest hésita puis, timidement il demanda combien de temps durerait le confinement
- Pour le moment le président a dit 15 jours, mais ce virus est tellement dangereux que le confinement peut durer un ou deux mois, peutêtre plus. Maintenant alles dans vos chambres.
Toute la soirée, la grande maison resta silencieuse, ce séjour s'annonçait des plus lugubre. Au repas, dans la grande salle à manger, les enfants espacés les uns des autres, restèrent silencieux, le dos bien droit, les mains de chaque côté de l'assiette. Seules les grandes personnes échangèrent des nouvelles, parlèrent de projets.
Dans son lit, Ernest, l'aîné des petits enfants et jeune adolescent réfléchissait, il ne pouvait dormir tant il se sentait révolté, déçu, en colère. Pensant la maison endormie, il se leva, le plus doucement possible, prudemment et alla trouver son cousin Jérôme qui lui aussi, trop préoccupé, ne pouvait trouver le sommeil. Les parents n'avaient pas réagi aux dires de grand-maman, ils n'avaient pas osé s'opposer à grand-maman, alors, eux que pouvaient-ils faire ? Après avoir convenu qu'il était impensable de respecter ces exigences ils imaginèrent des plans pour que ce séjour reste acceptable.
Ils firent la liste des consignes qu'ils considéraient comme logiques, normales, celles qu'ils jugèrent comme nécessaires : se laver les mains, éternuer dans son coude, mettre un masque devant grand-maman, mais ne pas pouvoir jouer avec les cousins, rester totalement isolé était pour eux impensable et ils se firent la remarque : comme on n'est pas malade on ne peut pas se contaminer.
Jérôme demanda
- Tu crois que grand-maman peut mourir ?
- Je crois qu'elle veut nous effrayer, de toutes les façons elle est vieille ce ne sera donc pas de notre faute.
Ensemble, ils se dégagèrent de la peur et décidèrent que personne n'avait le droit de les priver de leur liberté de manière arbitraire. En premier, ils décidèrent qu'ils communiqueraient entre eux en utilisant des messages codés qu'ils déposeraient dans une cachette connue d'eux seuls. Puis, ils firent la remarque : s’ils n'avaient pas le droit de se toucher ils pouvaient toucher les animaux.
- Eux on a le droit de les toucher, de les caresser, et puis on va leur rendre leur liberté. J'emmènerai un lapin dans ma chambre dit Antoine. Moi, dit Jérôme je vais retrouver la pie que j'avais apprivoisée et je vais la dresser pour qu'elle aille pigouiller les jambes de grand-maman quand elle se fâchera après nous.
- Grand-maman veut nous faire peur alors on va dessiner sur nos masques des grandes dents, des cornes, des fantômes, des sorcières.
- Il faut qu'ensemble nous réalisions quelque chose, oui et si on chantait, à huit heures tous les soirs on pourrait tous chanter en même temps.
Dans la complicité de cet échange, Antoine et Jérôme retrouvaient une joie de vivre, une liberté de penser, d'imaginer et ils se laissèrent aller à des propos plus licencieux. Tu te rends compte les amoureux en ce moment, comment ils font ? Il faut qu'ils mettent d'abord un préservatif et qu'ils s'embrassent avec un masque ?