Chère Claire

 

Oui, Claire, merci pour ton petit mail. Tu me disais : vivement que j'entende ton rire à nouveau. Oui, comme toi, j'aime rire, rire de tout, même de bêtises. Rire de bon cœur, éclater de rire, pouffer de rire. Ma mère me disait toujours rire à gorge déployée ce n'est pas très distingué. Toi comme moi, nous n'allons pas nous offusquer pour un rire sonore, au contraire.

Je suis certaine que le plaisir que nous avons à rire, façonne notre manière de voir le monde. Comme un rapace, toujours prêt à se jeter sur sa proie, la moindre situation cocasse ne peut nous échapper. Tu te souviens de ce mendiant assis pour faire la manche, juste devant la vitrine d'une banque qui arborait une affiche vantant un placement prometteur avec cette injonction : n'attendez pas d'être riche pour vous enrichir. Nous nous étions regardées, cela nous avait fait rire. C'est bon de savoir profiter de ces petites joies qui nous sont offertes comme ça.

Le rire est pour moi indispensable et un vrai remède. Aux urgences, alors que j'étais sur mon brancard le masque à oxygène sur le nez et que l'on me conduisait pour passer un scanner, en passant par des couloirs peu fréquentés, je me suis dit : c'est la dernière image que j'ai de lui, mon compagnon de plus de quarante ans, c'était là, aux urgences, sur un brancard, avec, comme moi, son masque à oxygène. Aussitôt je chasse ce souvenir douloureux en m'assurant qu'il n'y avait pas de comparaison possible. A ce moment-là, une cadre de santé, d'une voix ferme interpelle l'infirmière lui demandant de retourner mon brancard afin de le pousser en étant « face au malade » ajoutant : « Il n'y a que les morts qui partent les pieds devant. » Dans mon masque j'ai vraiment éclaté de rire. Un rire bien vivant.

Le soir, dans mon lit, à ma droite, une infirmière s'occupe de ma perfusion tandis qu'une élève tire mes draps, arrange mes couvertures et d'une voix très douce et gentille me dit « Madame vous voulez une protection. » Fiévreuse et épuisée, je ne comprends pas. J'ai déjà un matelas pour la protection des escarres, des barrières pour me protéger des chutes, je répète : une protection ?

L'élève semble gênée et regarde l'infirmière qui en souriant lui dit : laisse, c'est pas nécessaire.

La nuit, alors que je cherche à me lever en poussant ma potence sans l'emmêler dans le tuyau d'oxygène, j'éclate de rire, je venais de comprendre de quelle protection il s'agissait. J'ai ri si fort, heureusement que j'étais confinée, aucun fâcheux n'a pu me traiter de dérangée. Mais moi, j'ai réalisé que j'étais dans le troisième âge.

Oui, le temps de cette hospitalisation, je me suis trouvé au moins une bonne occasion de rire une fois par jour. Par exemple, j'ai trouvé très drôle que l'interne me demande si je voulais voir un kiné pour m'apprendre à marcher.

 

Voilà chère Claire, je garde de ce mauvais moment surtout le souvenir de ces situations cocasses. Même épuisée je ne les ai pas laissé passer. J'ai même le sentiment que c'est mon entourage qui s'est plus inquiété.

 

Quel plaisir nous aurons à nous retrouver, en attendant protège-toi et ne te prive pas d'un fou rire.