« Les jolies colonies de vacances... »

 

Les enfants dans le bus chantent, certains un peu trop fort, pour chasser les larmes. Les parents sont restés sur le trottoir, agitant les mains en signe d'au-revoir, puis ils ont disparu du champ de vision. C'est parti, il faut compter cinq heures de voyage pour arriver à Flavigny, en Bourgogne où se trouvent les locaux de la colonie, pour un séjour de découverte de la nature. Un tiers des enfants sont des anciens, c'est leur deuxième ou troisième séjour, d'autres ont également participé à des camps mais certains quittent leurs parents pour la première fois.  

Pour Karine c'est sa première colo comme monitrice. Elle avance dans le bus, observant ces têtes nouvelles. Au fond, ce sont les grands, ils se sont regroupés et chahutent. Ils s'amusent à tirer les cheveux des filles.

  • C'est pas moi, c'est lui.
  • Oh ! Tu exagères, c'est toi.

Ils lancent la casquette de Pierre qui râle et cherche à la rattraper.

Elle sourit tout en leur faisant un signe pour les inciter à un peu plus de calme.

Les filles sont sages, elles se racontent milles histoires. Elles comparent le contenu de leur sac.

  • Regarde ce que j'ai emporté.
  • Moi ma mère m'a donné ce carnet et des timbres.
  • J'ai un jeu de Uno.

Certaines regardent défiler le paysage, l'une compte les voitures rouges qui les doublent, tandis que sa copine compte les voitures blanches.

Karine est attentive aux enfants qui partent pour la première fois, aux enfants pour qui tout est nouveau, qui sont seuls, qui ne connaissent encore personne. Elle s'adresse à eux, leur demande leur nom, a un petit mot rassurant.  

Puis son regard se pose sur une jeune ado, isolée, silencieuse, la tête appuyée contre la fenêtre, indifférente à ce qui se passe autour, les cheveux longs masquent une partie de son visage.

  • Salut ! Tu t'appelles comment ? Tu ne connais personne ?

Sarah, c'est son nom, tourne la tête vers la monitrice, elle la regarde avec de grands yeux et un sourire figé. Karine a l'impression d'un sourire gentil, vide comme si elle lui disait :

  • Je ne fais rien de mal, ne me fâche pas, je serai gentille.  

Elle pense aussi : comme si elle devait se protéger. Quel secret se cache derrière ce sourire, derrière ce regard ? Elle est intriguée par ce changement brusque de physionomie.

 

La colo se poursuit, Sarah suit, elle passerait inaperçue, on ne l'entend pas, elle ne propose jamais rien, elle participe aux sorties sans réel enthousiasme, elle ne semble ni heureuse ni malheureuse, gentille, un peu passive, éteinte.

Karine cherche à l'apprivoiser, elle se montre attentive, lui adresse un petit mot, s'inquiète de savoir si elle s'ennuie, si elle apprécie les balades. Sarah a reçu une lettre, elle tente de savoir :

  • Tes parents t'ont écrit ?
  • Non, ma mère, je n'ai pas de père.

 

Karine ne pose pas d'autres questions, être patiente, attendre qu'elle décide.

 

Après une rando assez longue où ils ont ramassé des plantes pour réaliser un herbier, Sarah est seule, peut-être fatiguée.

Karine lui demande

  • C'est toi qui voulais venir en colonie ?
  • Non, c'est maman, parce qu'elle a dit qu'elle voulait me protéger.

Son visage se ferme, elle tourne la tête.  

Karine hésite mais elle tente encore une question :

  • Tu as été en danger, ou c'est toi qui t'es mise en danger ? Tu avais fait une bêtise ?

 

Sarah reste silencieuse, la tête baissée, plutôt mal à l'aise.

Karine cherche à la rassurer

  • Tu sais quand on est petit, on fait des petites bêtises, quand on est grand, on fait des grandes bêtises, moi, là, je ne t'imagine pas faire de grosses bêtises.

 

Progressivement Karine s'aperçoit que Sarah recherche de plus en plus sa présence, souvent elle la retrouve à côté d'elle à table, ou lors des promenades. La fin du séjour approche, aujourd'hui, c'est la visite de la fabrique des bonbons de Flavigny. Ces petites boules de sucre rondes, toutes blanches et très lisses qui à la fin révèlent subitement ce goût d'anis. Les jeunes font des achats, mais Sarah ne s'est pas attardée, Karine la découvre assise face au paysage, seule, pensive.

 

  • Tu es contente de rentrer chez toi ? Je suis sûre que tu ne feras plus de bêtises.

 

Subitement, ça a débuté comme ça, la parole s'est libérée :

  • Moi, je n'ai rien dit, mais ma mère l'a vu, elle a crié elle n'était pas contente.

Je ne comprends pas, puis d'une voix rapide elle poursuit :

  • Je discutais sur internet avec ma meilleure copine qui est partie en Amérique, et puis j'ai vu des choses bizarres.
  • Des choses bizarres ?
  • Oui, il y a un monsieur qui a mis des photos de son sexe et il me disait de photographier mes seins. Après il y a un monsieur qui m'a défendu, je lui ai fait confiance, il était gentil, il disait que j'étais mignonne, que j'étais belle, il me faisait rire, il me racontait des histoires et après il m'a demandé si je voulais qu'on se rencontre. Je suis allé dans sa voiture et puis ça s'est passé, je ne croyais pas que c'était ça, ça s'est passé très vite, je ne voulais pas le dire à maman, mais elle l'a vu, elle a voulu que j'aille en colonie.
  • Ce monsieur, après il t'a dit quelque chose ?
  • Non, il m'a donné de l'argent pour que j'achète un test de grossesse.
  • C'est le test de grossesse que ta maman a vu ?
  • Oui, elle s'est fâchée mais je n'ai rien dit.

 

Karine, respire, cherche ses mots puis elle lui explique qu'elle ne peut pas garder ce secret, que c'est très grave ce que ce Monsieur a fait, qu'il faut le dire à la police, elle lui propose de l'accompagner demain à la gendarmerie. Étonnée, elle voit Sarah avec un vrai sourire et des yeux coquins.

  • Tu sais je suis maligne, j'ai écrit les numéros de sa voiture.