Sans vouloir me vanter, j'ai toujours su me faire respecter de mes élèves, mais pas comme mon collègue de CM1 qui hurle et menace dès que les décibels enflent dans sa salle. Il rajoute, pour ainsi dire, du bruit au bruit, et quand ce n'est pas suffisant, il retient les perturbateurs en étude surveillée, pendant laquelle il leur fait recopier les tables de 7 et de 9. « Comme ça, dit-il, ils ne perdent pas leur temps, et même ils me remercieront quand, en sixième, ils devront faire du calcul mental. »

            Je ne suis pas d'accord avec lui, les manuels de pédagogie qui m'accompagnent en vacances spécifient bien que la plupart du temps ces ingestions forcées ne servent qu'à dégoûter les jeunes, comme les carottes ou les épinards qu'on nous faisait avaler petits.

            Je ne suis pas un bourreau. On n'apprend bien que dans la détente et le plaisir. Et bien sûr aussi dans le silence. C'est pourquoi j'ai mis au point quelques techniques pour remettre de l'ordre quand le brouhaha s'installe. Par exemple je mets de la musique. Une petite cantate de Bach, cela les rend perplexes, ils n'ont pas l'habitude, et se laissent peu à peu capter par la ferveur des voix.

            Ou bien je me fige, je croise les bras, je regarde un point fixe par la fenêtre et l'un après l'autre, intrigués, ils se mettent à regarder dans la même direction. Ils sont comme suspendus à ma posture, je me sens tout-puissant, c'en est presque jouissif.

            C'est le moment de déclamer mon poème favori,

 

Silence de vie

 

Je ne veux rien apprendre

Je ne veux rien comprendre ni retenir

de morte voix

Je ne veux plus entendre

ce vacarme sourd et muet de phrases et de chiffres de nombres et d'idées

Depuis longtemps déjà et même en se taisant la vie chante avec moi quelque chose de beau

Je n'entends pas votre langage

Je refuse un autre cerveau dit l'enfant

L'enfant sauvage.

 

            

            Ils me regardent interloqués. Ils ne savent pas qui est cet enfant sauvage. Ce n'est pas pour cela qu'ils viennent à l'école, pour se laisser dire qu'ils peuvent refuser, se rebeller. Ce n'est pas non plus pour cela que j'y viens, et pourtant, si. Comme Prévert, c'est la liberté que je désire cultiver en eux. C'est ma raison d'être professeur des écoles. Un silence léger, parfait, s'installe alors.