Patachou, je la connais bien. Elle est accommodante, docile, serviable, gentille. Trop ?  Est-elle malléable ? Pas vraiment mais c’est sûr qu’elle manque de confiance en elle, que sa voix ne porte pas quand elle prend la parole dans un groupe : elle doute tellement d’elle-même. « Patachou, elle est déstructurée comme cette chantilly ! » Elle n’avait pourtant pas demandé, ce jour-là, qu’un diagnostic soit posé, en public, sur sa structure psychique. 

Moi qui la connais de longue date, je savais qu’elle ne réagirait pas à la violence du propos. Intempestif. 

 

Patachou, la pauvre, n’est pas en capacité d’avoir des positions tranchées, de faire des choix définitifs et encore moins de réagir aux jugements psychologiques portés sur elle. Il faut dire qu’elle y a été exposée, pendant des années, à ce type de jugements : psychotique, schizophrène, paranoïaque, au mieux demeurée. Je me souviens qu’elle m’avait dit en riant : « Tu vois, je cumule les handicaps ».

Pourtant, il y a quelques années, elle a décidé, de mettre fin à cette relation toxique. Coup de tête ? Coup de sang ? Sursaut de lucidité ?

Elle est désormais seule, face à elle- même et avec comme seul compagnon le doute de soi exacerbé par la litanie lancinante des jugements dénigrants et l’énumération obsédante des troubles mentaux qui valsent dans sa tête. Sa mémoire ne peut effacer ces blessures profondes et invisibles. Elle traverse les mornes plaines de la solitude qu’elle s’impose ou patauge dans les marais obscurs de la tristesse et de la dépression.

Nous, je veux dire ses amis et moi, l’avons accompagnée. Je sais qu’elle était touchée et réchauffée par notre présence mais elle se montrait incorrigible, indécrottable ! Je suis sûre qu’elle pensait qu’elle ne méritait pas tant d’attention. 

« Qu’est ce qui m’arrive ? J’ai le cœur qui bat la chamade, ma gorge est comme prise dans un étau, ma mâchoire se crispe. C’est pas possible, c’est un infarctus ! Il faut que je fasse le 15, que je m’arrête, en urgence. »

Un silence parfait est venu avec la nuit qui obscurcit sa conscience. Patachou est conduite aux urgences.

- Où suis-je ?

- Ne vous inquiétez pas, Madame. Vous êtes en sécurité. Nous prenons soin de vous. Comment vous appelez- vous ? 

- Patachou.

- Quel est votre nom de famille ? Où habitez- vous ? 

- Mes papiers sont dans mon sac. 

Cet infirmier a vraiment de beaux yeux. Il lui prend la main. Il peut me faire autant de prises de sang qu’il souhaite… Qu’est-ce que c’est bon d’être mise sur cette chaise roulante. Je suis une petite fille qu’on emmène prendre l’air au parc. 

Un interne entre. Il est 22 h 10. J’ai dû faire un bon dodo. Elle est éblouie par l’éclairage cru de la pièce, ne voit plus les beaux yeux mais entend : « Les examens sont rassurants. Le cœur a retrouvé un rythme calme et régulier, aucun signe d’insuffisance cardiaque ; la tension est normale. Vous pouvez rentrer tranquillement chez vous. Ce n’est pas votre arrêt brutal du tabac qui a causé les sensations que vous avez ressenties mais probablement un état de stress intense. Je vous encourage à maintenir votre sevrage tabagique. »

C’est fini. Plus de cigarettes. Cette compagne toxique, elle va aussi la quitter. Tout est presque en ordreenfin.