« Le téléphone sonne comme une blatte en extase ! Mobilisation totale ou quoi ! La terre sonne ! La terre gronde ! Je tourne autour de mon portable... […] je m'attache au poteau, moi ! Ne décroche pas ! Tiens bon ! Mais ça sonne ! Ça vibre sous mes pieds ! Pas de message ! Je tiens encore ! Je ne décrocherai pas même s'il me saute dans les mains tout seul, mon Nokia ! Épouvantail pour asticots je roule des yeux ! Et ça dure, et ça sonne...

Faut que je change de sonnerie peut-être. »

Ça y est, il a fini par s'arrêter. Dans deux minutes, je pourrai consulter le message, en espérant que ce ne soit pas eux ! Je vais au frigo. Je me sers une bière... l'attente est longue ! Trois semaines que je ne l'ai pas vue... pour une bricole ! On devait aller au ciné rendez-vous à 19h45 devant le Lux un truc de trois heures ! À peine d'intrigue deux personnages en huis-clos... par mégarde j'avais laissé passer l'heure je refaisais le monde à La Rotonde avec Émile et Jean-Pierre. Lassée elle avait tourné les talons et m'avait surpris avec mes potes. Une scène terrible ! Mes amis, des minables ! Mes promesses, du vent ! Rien dans la cervelle ! Si c'est comme ça, je me casse ! casse-toi, bon débarras !

Les premiers jours, ça m'avait fait des vacances lever à pas d'heure plus de régime sans sel trainer sur le canapé lire des polars.

« Bonjour Monsieur Roland ici le commissariat du neuvième, pourriez-vous passer pour une vérification, le plus tôt sera le mieux. »

C'est au moins leur cinquième message. Pressé par ses collègues j'avais fini par déposer une main courante. Pas de disparition inquiétante, à cinquante ans elle a le droit de faire ce qu'elle veut même si ses affaires sont encore toutes ici. Un signalement, sa mise de ce jour-là j'avais eu un peu de mal une photocopie de son passeport, c'est tout.

Les vieux journaux s'empilent sur la table basse le frigo est vide depuis belle lurette je me nourris de soupes en sachets et de pâtes c'est tout ce que je sais faire.

Les enfants appellent tu n'as besoin de rien ? vous vous êtes disputés ? tu tiens le coup au moins ? tu ne veux pas venir dîner ? tu as vu le docteur ? et le chien comment il va ? Ils me saoulent avec leur sollicitude les potes aussi ils s'y mettent. Jean-Pierre est passé à l'improviste il voulait qu'on aille prendre un pot mais je suis mieux tout seul ça ne m'était pas vraiment arrivé depuis vingt-sept-ans ! toujours justifier un retard à force j'étais à court de bobards le mariage c'est la liberté surveillée pire que le bracelet électronique ! En parlant de bracelet j'aurais peut-être dû lui enlever le sien je n'ai pas eu le courage c'était l'époque où on s'aimait tellement ! pas de lassitude on se surprenait encore à chaque mot à chaque geste... tout passe tout casse tout lasse mais là pas de danger avec le filin que j'ai accroché au bout du bloc de béton et dans six mois les poissons auront fini leur festin ! Patience !