On riait ! Oui, je pensais qu'il avait eu peur et qu'il était soulagé, heureux d'être près de nous. Nous venions de construire une famille et nous étions réunis, tous les trois. Il m'avait embrassée, serrée dans ses bras, remerciée. Il m'avait expliqué comment il avait su convaincre la police de son innocence. Mes réponses précises concordaient avec ce qu'il avait dit, c'est ce qui avait permis sa libération. Je riais, heureuse, soulagée. Mon mari accusé d'agresser une femme ! impensable pour moi. Je balayais toutes ces petites voix chargées de craintes, d'interrogations. Les oiseaux de mauvaiss augures. Quel indice aurait pu m'alerter ? Quand on vient de jardiner on peut être décoiffé avec des feuilles accrochées dans les cheveux. J'avais oublié les bidons d'essence. Je ne connaissais pas leur existence et pourquoi en aurait-il eu besoin ? C'était même une preuve que ce n'était pas lui.

Lui riait. Mais était-ce parce qu'il avait échappé à la police ? Il m'avait expliqué comment il lui avait fallu prouver son innocence. Et heureusement j'avais confirmé ses dires. Il m'avait décrit la victime, une femme excitée, une hystérique, qui se contredisait. Une de ces bonnes femmes qui cherche les aventures. Qui t'excite et porte plainte. Je le croyais. Sur un parking de supermarché ! Ce n'est pas discret, à la vue de tous. Avec son sourire d'ange, son air candide, j'avais une confiance aveugle. Je l'aimais, je lui aurais donné le Bon Dieu sans confession.

 

Un fils, je lui avais donné un fils. Je le pensais comblé. Je m'appuyais sur lui, il me rassurait. Pour lui, les problèmes avaient toujours une solution. Il était très maitre de lui, il savait comment mener sa barque. Il était le pilier de la famille. Qu'aurais-je-fais toute seule ? Moi, j'essayais de lui assurer une vie heureuse. Je ne voulais pas peser dans sa vie, je le laissais libre, je m'efforçais de ne pas trop lui poser de questions. Je ne savais pas grand-chose de son travail. Je savais qu'il avait des responsabilités, il n'était pas toujours disponible, mais il était délicat, il pensait à moi. S'il avait été trop absent il rentrait avec un bouquet ou un petit bijou, un foulard. Peut-on douter de quelqu'un en qui on a toute confiance ?

 

Avant la naissance de notre fils, nous avions acheté une maison. C'était une maison un peu isolée, à la sortie de cette petite ville de province. Un grand portail en fer forgé protégeait la propriété et il fallait suivre une allée bordée d'arbres pour arriver à notre maison, plantée au milieu d'un cadre de verdure. Orientée sud-est, avec de grandes fenêtres, elle était lumineuse, baignée par le soleil dès le matin. Elle était spacieuse et j'avais mon petit bureau. Le long du mur, sous la fenêtre j'avais choisi une longue table. Mon petit ordinateur me laissait un espace suffisant pour m'adonner à la peinture, réaliser des collages ou des pliages. J'aimais ce lieu bien à moi où j'étais libre de rêver, de créer. Mais, je me demande encore pourquoi que dans ce lieu, progressivement, après cet incident, j'ai ressenti une inquiétude. Au début, je me répétais « tu te fais des idées. » J'allais alors jardiner, arracher quelques herbes ou cueillir des fleurs pour faire un bouquet. J'avais tout pour être heureuse.

                        

                        « Dès le deuxième jour des noces

                           Misère voulu entrer    Dondaine 

                         Misère a pris racine,

                        J'ai pas pu l'empêcher   Don daine »

 

Sans y penser il m'arrivait de plus en plus souvent de chantonner ces paroles apprises à la chorale du lycée.

 

Notre fils grandissait, devenait de plus en plus autonome. L'apprentissage de la marche a été un événement fêté ensemble. Nous nous réjouissions de ses progrès pour parler. Très câlin avec moi quand nous étions tous les deux, quand son père était là, il le suivait partout. Avec son petit tricycle que nous lui avions acheté pour son dernier Noël, il fallait voir mon petit bonhomme pédalant pour rattraper son père.

 

Néanmoins, je devais bien me rendre à l'évidence. Depuis, cet incident où il avait été soupçonné d'avoir agressé une jeune femme, mon mari changeait. Il devenait de plus en plus distant. Nous n'avions pratiquement plus de relation de couple, mon mari menait-il une double vie ? Il s'absentait de plus en plus régulièrement le weekend. Je n'osais pas aller regarder sur son téléphone, mais si ! Cela a été plus fort que moi. Mais je n'ai rien découvert. Chose plus étonnante, il était moins rieur, plus sérieux, je pensais qu'il avait des soucis. Il a arrêté de fumer et quelques mois après de consommer de l'alcool. Puis il refusait tout excès alimentaire, il me demandait de lui cuisiner du riz. Avait-il un problème de santé dont il ne voulait pas me parler. J'étais la seule à remarquer ces petits changements et surtout à m'en inquiéter. Ses collègues de travail, ses amis, sa famille me rassuraient sur mon mari et s'inquiétaient pour moi : tu es fatiguée, tu es anxieuse, angoissée, tu devrais consulter.

 

Je croyais en mon couple à notre famille, il ne pouvait qu'être heureux avec nous ! Mais un soir, il n'est pas rentré. Cette première nuit à attendre, à guetter le moindre bruit ! Un cauchemar toujours présent. Personne ne savait, ne comprenait. Un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il ne pouvait pas avoir disparu ! Sans cesse cette phrase tournait dans ma tête. Mon entourage manquait de plus en plus d'imagination pour me soutenir et moi, je courais partout alors que toutes mes démarches s'avéraient inutiles. Puis deux mois après, j'ai reçu ce mail avec une photo. La réalité était là, impensable ! Ses cheveux étaient tondus ras, il était souriant dans la tunique jaune des moines tibétains. Il s'excusait du mal qu'il m'avait fait, il m'expliquait ses hésitations et son impossibilité à être heureux ici sur terre. Dans les hauteurs tibétaines, il avait trouvé la paix, la sérénité, il ne nous oubliait pas, tous les jours il priait pour nous, nous nous en sortirons.