Se prêter au jeu de l’autobiographie.

Exercice délicieusement biaisé car quelle image va se dessiner au travers d’un récit qui se voulant factuel pour coller au plus près de la réalité vécue va devoir piocher et choisir dans une mémoire qui a déjà elle-même effectué une sélection de bribes de vie ?

Fiction ? Réalité ? Les deux à la fois ?

Commençons par le début.

1948.

Naissance de l’état d’Israël.

Naissance de Marie-Françoise Bonjean.

L’un des deux événements a ravi mes parents.

J’étais un enfant désiré, Xavier si j’étais un garçon, Marie-Françoise si j’étais une fille.

L’époque se voulait double à travers ses prénoms, chrétienne d’une part, car même séparée de l’état, l’église restait proche de ma bretonne de mère, française d’autre part et affirmée avec d’autant plus de conviction que l’angoisse de se réveiller allemand avait été intense pendant l’occupation.

Ma première année se passa à Tours, dans un petit logement insalubre déniché avec peine par mon père dans cette ville où des quartiers entiers avaient du mal à sortir des ruines des terribles bombardements de 1944.

Il est admis que nous ne gardons pas de souvenir durable de notre prime enfance, or le logement de la rue Desteur ( que petite j’entendais « larudesteur », l’endroit d’avant, celui d’un autrefois où je n’étais pas encore moi…) qui fut celui de mes deux  premières années, m’a laissé en mémoire une odeur de fer. Ma mère que j’interrogeais il y a peu sur cette réminiscence s’est rappelée que le sol de la courette était recouvert de mâchefer et que c’est là que j’ai fait mes premiers pas. Mon nez a sans doute connu maints contacts avec le sol et en en aura conservé l’odeur !..

Mon père que les deux années de STO en Allemagne avaient totalement dégoûté du travail en usine avait entrepris de présenter le concours pour être professeur technique adjoint dans un lycée. 

Adjoint ? A qui ? disait-il souvent. Au point qu’excédé par ce sentiment d’avoir un statut subalterne (avec le salaire inférieur qui allait avec !) par rapport à ses collègues certifiés, il avait décidé à cinquante ans de présenter le concours…qu’il avait décroché. Il était enfin professeur à part entière !

Mais auparavant, la réussite du premier concours l’obligea à quitter sa Touraine natale et c’est ainsi que toute la famille quitta larudesteurpour s’installer dans un petit village, Saint Bris des Bois (par une de ces bizarreries dont la vie a le secret, ce nom faisait écho à celui de ma mère qui, jeune fille s’appelait, Le Bris.) à une quinzaine de kilomètres de Saintes, la ville du premier (et seul !) poste que mon père occupa.

Je suis souvent retournée dans ce bourg charentais qui n’a guère changé au cours des années.

Je reconnais la maison avec le même petit muret séparant le jardin de la rue, seule l’épicerie dont les propriétaires devinrent des amis a disparu, elle n’en a conservé que les murs devenus désormais une maison d’habitation.

De cette période persistent encore des odeurs, d’orties en particulier, sans doute y en avait-il dans le jardin…ou peut-être s’agit-il d’un faux souvenir répondant au phénomène de re-création de la mémoire.

Pourquoi mon père très attaché à sa ville de Tours choisit-il Saintes pour premier poste ?

Son goût pour la pêche n’y est pas étranger, un coup d’œil sur une carte pour situer cette ville dont il n’avait jamais entendu parler lui fit constater la proximité de l’océan atlantique.

Il adorait se baigner, il aimait taquiner le bar et l’éperlan. Il n’hésita pas un instant.

Quant à ma mère, Tours ou Saintes, elle était dans tous les cas loin de la Bretagne.

Ai-je un souvenir de mon premier contact avec la mer? Aucun. Je n’en connais que le récit fait par mes parents, tous les deux sur leurs vélos avalant joyeusement avec l’entrain de leurs à peine 30 ans, les plus de 50  km qui les séparaient de Royan et moi, accompagnée de ma grand-mère dans le vieux tortillard poussif !

Le Royan de mon enfance, c’est celui de mes 8 ans, de la 4CV qui nous y amenait, c’est l’arrivée dans la ville et ses maisons détruites en 1945, c’est la plage et le maillot de bain en laine qui gratte et la baignade autorisée seulement quatre heures après le repas pour ne pas risquer l’hydrocution.

C’est l’apprentissage de la nage avec mon père et le goût de sel des premières « tasses ».

Et l’odeur faite de varech séché et d’air marin.

Et le bruit des vagues heurtant les rochers du Pont du diable.

Le Royan de mon enfance n’est plus, il a laissé place à un beau décor si parfaitement fleuri et arboré,  tellement semblable à toutes les villes balnéaires de la côte charentaise.

Mais, je vous ai laissés, amis lecteurs, dans ma quatrième année, revenons à cette époque qui fut peut-être la plus déterminante de ma vie : celle de l’emménagement à Saintes.

La maison, grande à mes yeux d’enfant, son jardin avec les deux immenses sapins, le cèdre et l’épicéas, le potager qui descend en pente douce le long d’un chemin qui si on le suit s’arrête aux berges de la Charente, et de l’autre côté du chemin, sur une butte une autre maison avec elle aussi un jardin.

Et dans ce jardin, une silhouette qui m’observe de loin

  • Regarde, maman, la petite fille.

Elle s’appelle Françoise. Encore une bonne Française ! 

 

 

                                                                                                          A suivre