Moi, j’aime mon papa et j’aime ma maman, mais j’aimais plus quand mon papa aimait ma maman. Maintenant mes parents sont séparés. Cela veut dire qu’ils ont chacun une maison, une voiture, un travail, des amis, chacun leur activité. Mais moi, je reste leur enfant à tous les deux, ça veut dire qu’ils m’aiment tous les deux comme avant, c’est ce qu’ils m’ont expliqué. C’est pour ça que je vais une semaine dans la maison de papa et une semaine dans la maison de maman.

Maman dit « tu es la prunelle de mes yeux » papa dit que « je suis la chair de sa chair. » Quand je suis chez maman et que je me mouche elle trouve que je fais comme papa, que j’ai pris l’habitude de papa. Je crois qu’elle n’aime pas. Quand je suis chez papa et que je souris parce que je suis content il dit que je suis naïf comme ma mère, je sens qu’il me trouve un peu bête.  J’aime beaucoup ma grand-mère parce que quand elle me regarde, je sens que je suis important, qu’elle fait attention à moi je ne sais pas comment dire, mais je sens qu’elle me voit vraiment, elle me voit moi, moi tout seul.

Mes parents sont tous les deux d’accord pour une chose : tous les deux, ils veulent que je travaille bien à l’école. Quand j’ai une bonne note, ma maman est contente, elle me félicite. Papa, il dit que c’est bien mais il pense aussi que j’aurais pu faire mieux, que la prochaine fois il faut que j’aie encore une meilleure note. Il faut que je progresse, c’est ce qu’il dit toujours. Moi, j’ai un défaut, un gros défaut, enfin, c’est ce que pensent mes parents : je ne peux pas m’empêcher de dessiner, parfois c’est simplement des gribouillages, mais je dessine tout le temps et sur n’importe quoi. Ils voudraient que je perde cette habitude.

Depuis qu’ils sont séparés, je trouve que je suis plus sage, en fait je n’aime plus faire des bêtises. Maman, elle voudrait que je reste toujours son petit garçon chéri, que je sois toujours sage, que j’obéisse, si non, elle est triste, et après moi aussi.

Papa, si je fais une bêtise, il se fâche ou il se moque de moi, il a toujours peur que je ne grandisse pas assez, que je reste comme un bébé, que je ne devienne pas un homme responsable, c’est toujours ce qu’il dit. Il veut que je devienne un grand garçon, que je me débrouille tout seul. Maman, elle aime m’habiller, elle veut me doucher, elle me prépare mon petit déjeuner, elle aime s’occuper de moi.

Mes parents sont tous les deux sportifs, mais mon père aime la mer, ma mère n’aime pas la mer, elle aime la nature, la campagne, la montagne et surtout la botanique. Donc moi, avec mon père je fais du bateau et avec ma mère des randonnées. Mon père veut que je sois un bon marin. Moi, sur le bateau, quand il y a beaucoup de vents et de grosses vagues j’ai le mal de mer et j’ai toujours froid mais il dit que cela passera, je dois supporter, c’est comme ça qu’on grandit, qu’on devient un homme. Maman a toujours peur quand je vais sur le bateau, elle me fait plein de recommandations et parfois, elle se fâche avec papa. Ma mère, elle veut que je connaisse tous les noms de fleurs, papa dit que cela ne sert à rien. Mais tous les deux ils ne comprennent pas pourquoi je dessine toujours, ils disent que je perds mon temps, que ce n’est pas avec ça que je gagnerai ma vie.

 

Pour Noël, ma grand-mère m’a acheté des cahiers et des carnets pour dessiner avec pleins de super crayons. Je ne la vois pas souvent car elle habite loin, mais je vais en vacances chez elle au moins trois fois dans l’année. Ma grand-mère aime bien mon papa, elle dit que c’est un homme sérieux, responsable et très gentil. Bien sûr, elle aime bien ma maman puisque c’est sa fille. Elle ne dit pas grand-chose, elle m’écoute, elle s’intéresse à mes histoires, je lui raconte beaucoup de choses.

L’autre jour, elle a pris de la laine et a tricoté avec des aiguilles très fines, il lui a fallu du temps pour faire un rectangle de dix centimètres. Puis elle a pris de très grosses aiguilles, là, ça allait super vite. Elle m’a demandé quel tricot je préférais, j’ai regardé et j’ai fait une grimace. Le tricot avec les petites aiguilles était raide, dur, celui avec les grosses aiguilles était très mou et il y avait des trous. Elle m’a dit alors : « tu vois, c’est à toi de choisir les bonnes aiguilles pour tricoter le fil de ta vie, si tu prends des aiguilles trop petites tu ne grandis pas vite et tu peux rester tout raide, comme si tu étais timide, que tu avais peur, si tu prends de trop grandes, ce n’est pas très bien non plus, ça fait des trous. Tu vois, tu ne dois jamais abdiquer devant qui que ce soit. » « Abdiquer. » Je n’ai pas bien compris ce que cela voulait dire, elle m’a expliqué que je ne devais pas renoncer à ce que j’avais envie de faire dans la vie, à ce qui était important pour moi.

Avec maman, j’ai trouvé un truc, je dessine les fleurs ou les plantes qu’on a trouvées au cours d’une balade. Elle a trouvé ça très bien et elle m’a félicité.

Le weekend dernier, sur le bateau, mon père s’est mis en colère : j’étais trop mou, je n’avais rien dans les bras, je devais border plus vite, ta mère t’élève dans du coton, tu ne seras jamais un homme, ce n’est pas en gribouillant que tu deviendras quelqu’un. Là, je me suis senti en colère. Je me suis redressé, je sentais mes pieds bien ancrés, je me sentais solide comme un roc, inébranlable. J’ai regardé mon père dans les yeux, déterminé, et je lui ai dit : « moi quand je serai grand je serai dessinateur, je veux faire des bandes dessinées. » Mon père m’a regardé un long moment, sans rien dire, il avait de grands yeux étonnés, surpris, puis il a tourné la tête avec un léger sourire. J’ai pensé qu’il était fier de moi.