-       Je me suis perdu, je ne comprends pas.

La phrase est tombée dans un silence glacial.

C’est que l’homme, assis là en face, lui a parlé sur un ton qui a mis à mal sa faible volonté de se défendre.

Ce n’est quand même pas à lui qu’il va aller raconter les sombres méandres de son existence.

Quand il est entré dans la pièce un quart d’heure plus tôt, il s’attendait à un lieu sombre et triste. La surprise est venue de découvrir la lumière qui l’inondait et la magnifique tapisserie qui ornait le mur au-dessus d’une rangée de fauteuils rouges.

C’est qu’une heure plus tôt il avait été secoué quand une jeune femme était entrée dans la pièce où il était enfermé, portant sur le bras, ce qui semblait être une soutane.

-       Je suis votre avocate, j’ai été commis d’office pour assurer votre défense. Il faut me raconter toute votre histoire.

Une avocate ? manquait plus que cela, pourquoi ? je n’avais rien fait de répréhensible.

     Quelle histoire, ils vont finir par me faire sombrer dans la folie.

Hier au soir, le brigadier qui l’avait interpellé, lui avait saisi le bras avec une certaine rudesse.

-       Suivez-moi monsieur, montrez-vous raisonnable, pas d’histoire, vous en avez fait assez pour aujourd’hui.

Ils sont drôles, en attendant, moi après tout cela je reprends espoir.

Quand il était arrivé devant la maison, la luminosité commençait à décroître. Il avait compris que c’était là, que sa quête était terminée, qu’il était arrivé et qu’il avait enfin trouvé.

Depuis le temps qu’il errait de place en place, enchainant rues et boulevards, mais aussi galopant dans sa tête, vivant une sorte de déambulation cauchemardesque emplie d’espoirs et de déceptions.

Après cet éclair de joie lié à la reconnaissance de la maison, ne lui restait plus qu’à vérifier si son hypothèse était la bonne, juste besoin d’entrer, regarder et repartir.

C’est à cet instant qu’avaient commencé les problèmes, il avait sonné, une femme avait ouvert.

-       C’est pourquoi ?

-       Bonjour madame. Je dois juste vérifier quelque chose dans votre séjour.

À cet instant, mal lui en prit, il avait tenté d’entrer.

Visiblement déstabilisée par sa demande, elle lui avait opposé une fin de non-recevoir et fait barrage de son corps.

À partir de là, leurs récits divergeaient.

De son point de vue, il avait seulement exprimé son besoin d’entrer.

Pour elle, il y avait eu violation de domicile et presque violences corporelles.

En effet, il l’avait touchée, la repoussant du plat de la main, mais sans violence, tout en douceur, c’est alors que la voix de la femme était montée dans les aigus :

-       Si vous pénétrez chez moi, je hurle et j’appelle la police.

Sans attendre la suite elle avait commencé à hurler sur le pas de la porte. Ses appels avaient provoqué un début d’attroupement.

Sans se préoccuper de tout ce tintamarre, il était entré, s’était dirigé vers là où il espérait découvrir la salle de séjour, avait poussé la porte et regardé.

Puis il avait refermé et regagné la sortie sans plus se préoccuper de la femme qui hurlait dans son téléphone, au moment de tirer la porte il lui avait dit.

-       Je vous prie de bien vouloir excuser mon intrusion, mais il fallait absolument que je sache si c’était bien là.

Le président devient de plus en plus nerveux, il regarde sa montre, il pensait expédier cette comparution illico presto, et voilà que cet olibrius s’entêtait à ne pas répondre à ses questions.

Quant à l’autre, la commise, elle aurait pu s’abstenir de venir l’assister, elle n’était même pas capable de l’aider en explicitant la situation.

-       Monsieur en l’absence de réponse cohérente de votre part je vais me voir dans l’obligation de demander une expertise psychiatrique.

-       Vous comprenez ce que le président vient de vous dire murmure la pauvre avocate à l’oreille de son client. Voulez-vous que je demande une interruption de séance pour que nous puissions en discuter ?

Il n’est plus là, il a repris son voyage, il est reparti et chemine dans sa tête, cette fois il ne flotte plus au gré de ses pensées, il a un point d’ancrage. Là au-dessus du lit d’enfant où on le couchait pour la sieste, il y a au plafond une grande rosace en stuc.

Pendant des années elle a servi de point de départ à toutes ses rêveries. Il l’imaginait comme île ou oasis, lieux protecteurs où il se réfugiait pour attendre le retour de sa mère. Ce sont des lieux qui font rêver soit, mais sont perdus au milieu de rien, Désert où Océan et cela fait toute la différence.

Un jour, elle n’était plus revenue le chercher !

Depuis je me suis perdu, je ne comprends pas !