A la manière qu'elle a de m'empoigner, je sais qu'elle me trouve trop gros.

 

Et j'en souffre.

 

         J'aime bien être manié par des professionnels, dont la souplesse du poignet me fait frétiller sur les murs. Elle préférerait quelque chose de plus élancé, qu'elle calerait entre trois doigts et ferait courir sur la feuille, en lignes de petites galipettes, ou volutes, et il en sortirait quelque chose d'intelligent.

 

Un texte.

 

         Mais ça, depuis quelque temps, elle n'y arrive plus. Elle est obsédée par l'état de ses murs, elle n'en dort plus, il va falloir que ça s'arrête, alors elle est allée chez Casto.

Elle a troqué l'encre pour un liquide plus visqueux, gluant presque, que grâce à moi elle étale, en croisant mes soies, sans trop d'application, car on sent qu'elle le fait parce qu'il faut le faire, et qu'elle se laisse distraire par l'émission sur Gainsbourg à la radio. Elle en barbouille des gros paquets, elle bave sur les boiseries des fenêtres, je dégouline sur un sol qu'elle a mal protégé avec des vieux journaux tous neufs car elle ne les a même pas lus.

         Depuis le début je sais que je suis mal tombé. Quand elle m'a pris sur l'étagère après que le petit moisieur en salopette bleue m'ait reposé, m'ayant préalablement caressé le manche et les poils, j'aurais voulu crier « non ! », si n'avais pu crier.

         Cela fait quinze jours qu'elle me laisse tremper toutes les nuits dans un bocal d'eau, elle ne se rend pas compte que je suis cerclé de fer, et bientôt ce sera ma faute si ses barbouillages n'ont pas d'allure. Elle a déjà salopé la belle robe rouge de mon bois, et le comble c'est que pour me manier, elle met des gants, comme si j'étais contagieux...

         C'est dur d'être mal tombé. J'aimerais tant qu'elle enclanche une procédure de divorce, qu'elle retourne à ses anciennes amours, et qu'elle me laisse entre les mains de quelqu'un de compétent.

         Par transmission de pensée, elle me fait comprendre qu'elle n'était pas meilleure avec mon collègue à encre, qu'ell séchait tout autant avec lui, que quand elle produisait quelque chose, ça ne servait à rien qu'à encombrer un blog, alors qu'avec moi, au moins, elle pourrait contempler tous les jours les résultats de notre collaboration, et qu'elle en tirerait une grande satisfaction.

 

 

         Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre...