Victoire ! Ce soir encore, j’ai réussi à supplanter mes petits camarades stylos ! Ils sont tous restés blêmes de jalousie, serrés tels des sardines, les uns contre les autres, dans le pot à crayons de celle qui se targue d’écrire des nouvelles. Même les deux arrogants, si fiers de leur corps en ébonite ripple marbré marron et noir et de leurs attributs plaqués or, ont rejoint les laissés pour compte abandonnés sur le bureau. Je ne parlerai pas du tiroir-purgatoire où sont exilés depuis des lustres les anciens prétentieux entièrement plaqués or. Je n’évoquerai pas davantage le désappointement de l’ordinateur, cet éternel dédaigné sottement persuadé que son utilité est proportionnelle à sa taille. Ce fat trône seul, inutile, au milieu du bureau, vert de rage.

C’est que je suis le seul, mon frère jumeau étant pour l’instant gardé en réserve sous son emballage plastique, à bénéficier du privilège de vivre une soirée au Château. La dixième depuis le mois de septembre. Je suis, en effet, un assidu aux ateliers d’écriture du Château d’Avanton : l’Écritoire. Comme je me plais à répéter ce nom, cela me propulse dans le monde des intellectuels qui ont un blog sur le net !

Assidu car le seul élu parmi tant d’autres outils potentiels propres à noircir des pages durant toute une soirée. Des pages manifestement au contenu de la plus haute importance tant le langage employé m’est étranger.

Rien ne me prédisposait, moi, le vulgaire feutre gris-noir au corps intégralement plastique, à une destinée aussi prestigieuse. Celle qui consiste à participer à la rédaction de nouvelles sous l’autorité de Viviane, femme éminemment lettrée. Femme lettrée, certes, mais pas que… Hyper branchée aussi puisqu’elle opte exclusivement pour le clavier et ne semble pas posséder un seul stylo. En fait, je déclare Viviane femme dangereuse pour notre avenir à nous le petit peuple d’en bas, celui des pointes bics et des rollers.

            C’est donc elle qui mène le jeu. Le jeu, dis-je, mais est-ce réellement un jeu tant celle qui me tient serré dans sa main, celle qui se fait appeler Renée-Claude ne semble pas le considérer ainsi ? Cependant, rituellement, elle y retourne un mercredi soir par mois. J’en déduis qu’elle aime ça !

En fait, j’en ai compris la raison profonde, c’est qu’elle adore mon look, mes diverses tonalités de gris, rehaussées d’une touche de noir, la douceur de mon toucher. Oui, je crois, qu’elle se plait à me caresser ! Et puis, elle apprécie ma finesse d’écriture, mon encre stable d’un beau noir, mon art de courir avec légèreté, fluidité, sur la feuille. Elle a oublié ma marque, je le sais, cela me vexe un peu, mais peu importe, puisque je suis invité au CHATEAU !