Quand elle est rentrée dans la boulangerie tout à l’heure, le silence s’est fait, mais ce n’est pas que l’on soit mal embouchés dans le village. Sa famille y est arrivée en septembre, et les enfants ont été bien accueillis à l’école. L’aîné, en CM2 avec Madame Bouchard, a rejoint l’équipe de foot, et la petite va au catéchisme et prépare sa communion.

Le maire avait fait retaper la maison accolée à la mienne, et j’en suis bien content, car depuis la mort d’Odette Toulem, elle n’avait pas fière allure. Quelques tuiles manquaient, le vent soufflait les graminées du jardin abandonné sur mes plates-bandes, si cela avait continué ainsi cela aurait pu dévaloriser ma maison. Sans compter le vieux noyer qui menaçait de s’abattre sur mon mur.

Mais au Conseil Municipal, il n’y avait pas eu de contestation : si l’on voulait garder l’école, et un peu de vie au village, il fallait prendre des mesures,  et accueillir des réfugiés était la meilleure solution. C’est ainsi qu’ils étaient arrivés, fuyant Alep et ses bombardements.

On espérait trois enfants, mais elle avait fait une fausse couche à 6 mois, porter un enfant sur les routes de l’exode, c’était risqué, et elle avait l’air si fatiguée alors. On s’en était émus au village, et le temps qu’elle se remette, on lui avait porté qui, un gratin, un civet, que sais-je ! Moi-même je m’étais fendu de ma fameuse tarte Tatin.

L’intégration avait été facilitée car ils parlaient tous français, quoiqu’avec difficulté, et étaient de confession catholique. Bon nombre d’entre nous étant vieillissants, son mari avait toujours de l’ouvrage, quand il fallait rentrer du bois, faucher un pré, ou faire de menus travaux de bricolage dans les maisons. Elle, c’était du ménage, du repassage… Tous deux étaient durs à la tâche.

Elle était assez jolie, avec ses longs cheveux qui encadraient un visage aux traits réguliers, des yeux bleu acier soigneusement maquillés, du rouge à lèvres, et peut-être un peu trop de fond de teint sur les joues. Lui, c’était un grand homme mince au visage en lame de rasoir, peu amène à mon sens, mais qui sait ce qu’il avait enduré avant. Les enfants, ils étaient comme les autres, seuls leurs cheveux très foncés dénonçaient leur origine.

Il avait retourné mon jardin en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, et le sien aussi, je lui avais prêté mes outils, et il avait aménagé, au cordeau, un potager, et mis quelques plantes d’agrément. Peu, car le nécessaire était plus important que le superflu. Il avait quand même suspendu une planche avec deux cordes au pommier pour les petits. Nous n’étions pas grands amis, ça, non, mais nous entretenions des relations de bon voisinage. Tout allait bien.

Sauf la nuit.

Nos maisons, elles ont beau ne pas être toutes neuves, elles ne sont pas non plus en pierre de taille. Une fois que les gamins étaient couchés, j’entendais tout. Après le film, j’avais l’impression que c’était toujours le film ! Des bruits étouffés au début, puis des coups sur le mur, et ces derniers temps, c’était des cris à n’en plus finir, que dis-je, des hurlements ! J’ai eu peur qu’il ne s’en prenne aux enfants, ça je n’aurais pas supporté. Mais je guettais leur départ pour l’école le matin, ils étaient toujours là tous les deux, bien mis, pas trop tristes, joyeux c’aurait été beaucoup leur demander.

Je n’arrivais plus à dormir. Même quand il ne se passait rien, j’avais l’oreille collée au mur, guettant les premiers coups. Résultat, je n’étais pas en forme le matin. Au café, ils rigolaient, car la partie de dominos était de plus en plus souvent écourtée, et il faut dire que je suis mauvais perdant… Ca ne pouvait plus durer comme ça, je me faisais quand même bien du souci.

Mais que faire ? Je n’aime pas me mêler des histoires des gens, et il était bien gentil avec moi, ce gars-là. Se doutait-il seulement que les murs laissaient passer tous les bruits ? Et s’ils partaient, que deviendraient-ils, et leur maison ?

Il m’a fallu 6 mois pour me décider, mais hier je suis allé à la police. Demain, quand j’irai chercher mon pain, ils me remercieront d’avoir aidé cette pauvre femme, c’est sûr !