« Tiens ! Tiens ! Direz vous, on se connait !... Je suis Melle Legris, la souris grise d’Allo  Néfertiti ;  je veux bien vous raconter ma vie, mais il ne m’est pas arrivé grand- chose, une vie grise, oui !

                  J’ai 55 ans depuis 8 jours ; j’ai porté un gros gâteau à la bibliothèque et du cidre aussi, on a arrosé ça.

Depuis 15 ans,  je travaille dans cette bibliothèque. J’habite Nantes depuis toujours ; j’ai de la chance, c’est à 5 mn de chez moi, 3 sections de bus pour être plus précise, entre mon appartement et mon travail, ça fait comme un triangle équilatéral. Mêmes collègues depuis le début, on est 3 plus le responsable, il est plus jeune, il est arrivé il a 5 ans et avec lui, ça bouge ! Grosse panique à ce moment-là : on a tout informatisé !... Finies les fiches en carton, les boites à fiches et les archives en classeurs métallisés ! Elles tenaient toute la cave. À l’arrivée de Geoffroy, on a dû partir en stage à Paris, les unes après les autres, en plus ! On a reçu des stagiaires chaque année. Que du travail en plus ! Il faut tout expliquer, les former ; mais elles pigent vite les systèmes informatiques ! Elles se débrouillent tout de suite ! et elles la ramènent, ces petites jeunettes !

Mais c’est bien aussi, le travail est simplifié ! Moi, je suis à la sauvegarde informatique, je gère des années de prêts, des kilomètres de lettres de relance ; je n’ai pas voulu travailler à l’accueil, on me l’a proposé, j’aurais eu l’impression de ne rien faire ! Je suis dans mon coin !...enfin, pas tout à fait ! Mon bureau est dans un petit local, comme un bocal ; en fait…on l’a créé dans la grande salle de lecture, il est vitré sur deux côtés… On me voit de partout…ça ne me convient pas trop ! ça fait que je suis bien contente de retrouver mon petit appartement, rez de chaussée, vieil immeuble dans le vieux quartier près du château ...C’est très joli, ce quartier !

Comme vous avez peut-être compris, je vis seule. J’ai pu acheter ce studio tout confort à la mort de ma grand-mère ; elle m’avait couchée sur son testament. J’étais sa petite fille adorée… elle disait comme ça…En fait, elle m’a élevée ! Mes parents : ils habitent toujours Nantes mais je ne les connais pas vraiment ! Des commerçants très occupés. Ils tenaient un bureau de tabac journaux  dans le vieux Nantes. Quand j’étais petite, on habitait un 3 pièces au dessus du magasin. Des parents jamais là. « Dépêchez vous ! on n’a pas le temps ! » C’était ça à longueur d’année ! Très jeunes, on s’est gérées toutes seules…Ma grande sœur et moi, on était tout le temps fourrées chez Grand-Mère ; elle habitait à quelques rues de là. Elle avait un grand jardin avec des légumes et des poiriers, un peu de vigne aussi ! On se serait crus à la campagne. On a même eu des poules et des lapins, vous vous rendez compte ! En pleine ville !

A sa mort, tout a été vendu. Ce que j ai pu pleurer ! Tout ça qui partait….et Mémée  aussi ! Je vais tous les samedis sur sa tombe ! il n’y a bien que moi qui y aille ; je l’entretiens ! j’ai mis des petits conifères, des vrais ! pas de l’artificiel ! A la Toussaint, ma sœur et moi on achète des chrysanthèmes, des mordorés, comme elle aimait. Petites, on venait beaucoup là  s’occuper de grand père  mort à la guerre.

En fait, que je vous dise, je ne viens pas tous les samedis parce que j’ai répétition !

J’ai deux passions, l’Egypte et la musique ! Encore un cadeau de ma grand-mère. Que je vous explique : elle était très religieuse ; elle nous amenait à la messe du dimanche, juste avant le repas de famille qu’on faisait toujours chez elle avec nos parents. Le bureau de tabac était fermé ce jour-là.

                  On allait toutes les trois à la messe. Mémée chantait dans la chorale. Les chants, c’était vraiment pas terrible ! Ma grand-mère, on n’entendait qu’elle, sa voix montait sous la voûte, magnifique, colorée et chaude, à réveiller les morts  si j’ose dire ! Elle a vite vu et entendu que j’aimais ça ; je suis allée chanter avec les Dames et j’ai continué. Dans la semaine, après l’école j’apprenais avec elle le programme du dimanche. On se plaisait bien ! Ma sœur s’était vite désintéressée de la question ! 

                  Pour l’office de Noël, j’ai chanté toute seule. Oui, toute  seule !  Le grégorien de la Nativité ! Oui vous savez ! PUER NATUS EST…un enfant est né ; un fils nous est donné ! Quel trac ! Mais aussi quelle joie ! Comment dire ? une autre fille est née, une respiration…. Et ma grand-mère qui suivait contre moi sur le livre, de peur que je me trompe ! Elle chuchotait tout pour moi, tout ce que je chantais ! On faisait souffle commun. Elle a dit après que c’avait été la Courte Echelle des Anges ! Elle était aussi poète, ma grand-mère !

                  A partir de là j’ai eu comme un déclic : une folle envie de chanter. La musique est entrée dans ma vie. J’ai dit, moi qui ne demande jamais rien à personne, « je veux un tourne disques ! » Je l’ai eu pour mon BAC ; et c’était parti !

Mémée est toujours à côté de moi. J’y pense tous les jours. Quand elle s’en est allée, ça m’a fait repenser à l’histoire de La Courte échelle des Anges… Comme je ne suis pas douée pour le chagrin, à ses obsèques je lui ai chanté  le plus bel Ave Maria, celui de Caccini qu’elle aimait tant.

 

Poitiers le 24 octobre 2015.

Denise MICHEL LABADOT