Les portes coulissent lentement, les clients sont là, sur la ligne de départ, arrimés à leurs caddies. En pôle position, Roger, polo rayé, casquette américaine, négocie habilement son démarrage, il dépasse les deux ou trois petites mamies qui poussent leurs chariots comme des déambulateurs et hop là, le voilà qui fonce vers le fond du magasin.

Etre le premier au rayon poissonnerie, c’est son petit challenge personnel du samedi, il se précipite vers le distributeur de tickets et arrache triomphalement le morceau de papier.

-       Un colin s’il vous plait…non pas çui-là… çui-là… il a les ouïes bien rouges, signe de fraîcheur.

Satisfait, Roger dépose son paquet dans le fond du chariot et file vers le rayon charcuterie, la perspective d’un petit barbec à la fraîche ce soir avec ses potes le fait saliver d’avance.

Il est planté devant les saucissons, tous plus d’Auvergne les uns que les autres, quand  une odeur de fumée vient lui importuner les narines.

Bizarre…. Le gars de la pizzeria serait-il en train de cramer ses pizzas ?…

            La fumée semble s’épaissir, l’odeur âcre saisit à la gorge.

Autour de Roger, les clients se sont arrêtés, la truffe en l’air, ils évaluent, supputent, s’inquiètent et comme une chorégraphie bien réglée, ils se mettent soudain en branle, tous en même temps, chariots en boucliers, il s’élancent vers l’allée centrale.

Un vent de panique passe entre les linéaires, à l’autre bout du magasin, Roger constate que les caissières ont déjà abandonné leurs postes, des vigiles talkies collés aux lèvres, obéissant à des ordres mystérieux se faufilent entre les clients et dans le brouhaha qui s’installe, une voix venue d’en haut recommande à ses chers clients de regagner calmement la sortie.

Curieusement, c’est le « calmement » qui soudain affole Roger. Il constate que la fumée semblant sourdre du sol s’est encore épaissie et le son des sirènes de pompiers se rapproche.

Roger laisse alors son chariot et abandonnant le colin à son sort, il joue des coudes pour s’extraire de la foule conditionnée qui se dirige ver les caisses.

Il opte résolument pour la sortie par l’entrée et manque d’être renversé par un bataillon de pompiers conduit par un homme qui haletant,  répète : « par là, par là, le gaz…vite…tout risque d’exploser… »

Quand Roger franchit la porte de la galerie marchande, il constate qu’un cordon de policiers est installé devant le magasin, sur le parking des ambulances sont arrêtées, portes ouvertes.

Roger cherche des yeux sa voiture quand deux hommes l’interpellent, l’un est armé d’un micro, l’autre d’une grosse caméra.

- Monsieur, monsieur, vous étiez à l’intérieur ? Que s’est-il passé ?

- Ben…j’étais au rayon charcuterie. J’avais acheté mon colin, j’en prends tous les samedis, le dimanche,  on le mange avec les enfants. Ils aiment bien ça.

- Oui, et après…

- J’voulais des merguez pour ce soir, quand j’ai senti de la fumée…Un peu plus…et c’est moi qui finissais merguez !…

Roger retient un petit rire et reprend.

-       Tout à coup, y’a eu plein de fumée, les gens couraient partout avec leurs chariots, moi j’ai laissé le mien, tant pis pour le colin et j’ai couru comme j’ai pu, c’était pas facile parce que même s’il est encore tôt, le samedi, y’a toujours du monde.

 

 

 

 

 

Le gars au micro, se tourne alors vers le caméraman et déclare.

-       Pour l’instant, on ne déplore aucune victime mais les clients de cet hypermarché sont sous le choc

Puis il tend le micro à Roger.

-       Je pense qu’avec toutes ses émotions, vous avez hâte de rentrer chez vous ?

-       Ben non, dans tout ça, j’ai pas fait mes courses, moi. J’vais aller à la supérette…mais y’a moins de choix…

 

                 

Fin

 

Juin 2015