Ça bringuebale, ça se balade, quel bazar ! Encore un vase renversé, les fleurs en vrac par terre, l'eau sur le tapis, ça va mouiller le parquet, un peu plus le vase y passait. Déjà, la semaine dernière, le vase chinois, mon cadeau des dix ans de mariage, s'était retrouvé en mille morceaux, Chantal qui pleurait, inconsolable. Tous les jours, des trucs à remettre en place. Des bouquins qui tombent. Des assiettes, des verres, fendus, des cuillers et des fourchettes, tordues. Les couteaux résistent, pour l'instant, juste un planté dans le buffet de la salle à manger. Et les rideaux, les tableaux, tout pendouille, tout est de traviole. Quelle kermesse !

 

-       Monsieur H. ?

-       Oui…

-       Bonjour Monsieur, est-ce que je peux entrer ?

-       Mais vous êtes qui ?

-       Le Républicain lorrain, nous avons entendu dire qu'il y a des phénomènes bizarres chez vous, votre femme serait allée porter plainte, vous pouvez nous dire quelques mots ?

-       Oh, le mieux, où nous en sommes, c'est que vous vous rendiez compte par vous-même, entrez, regardez. Franchement, si on m'avait dit il y a encore un mois que j'en arriverais là…

-       Que vous en arriveriez où ?

-       À croire aux fantômes, à des phénomènes surnaturels, je peux vous dire que ça me ressemble pas.

-       Vous avez raison, montrez moi. Je peux faire des photos ?

-       Faites, faites, si ça pouvait nous aider à comprendre.

 

Depuis deux semaines, une maison d'Amnéville est le foyer de phénomènes curieux qui prennent un caractère de plus en plus inquiétant. Tout a commencé par des objets qui se déplaçaient bizarrement, les tableaux du salon pendaient, les rideaux étaient à moitié décrochés, de la vaisselle tombait brisée des buffets, on ne comptait plus les morceaux de vases ni de miroirs au sol. Plus récemment des objets métalliques ont aussi été victimes de ces méfaits, des couverts ont été retrouvés sauvagement tordus et un couteau de cuisine bien aiguisé la pointe fichée dans un buffet. Les propriétaires ont assisté, ébahis, à ces dévastations mystérieuses. M. H. ramassait les morceaux et remettait de l'ordre sous le regard impuissant de sa femme, dépassée par ce désastre. Après quelques jours, celle-ci est allée déposer plainte pour "dégradations inexpliquées". La gendarmerie d'Amnéville a ouvert une enquête, une équipe de chasseurs de fantômes a été dépêchée sur place, mais rien ne permet pour l'instant de savoir quelles pistes sont privilégiées.

 

            Je ne comprends rien à ce qui se passe chez ma sœur. Elle m'appelle, affolée, au milieu de la nuit, soi-disant qu'il y aurait des fantômes. Elle m'en a fait voir quand elle était plus jeune, mais là, ça dépasse les bornes. Pourtant mon beau-frère avait l'air correct au début, travailleur, calme, pas du genre à aller voir ailleurs. Là, depuis un an, c'est comme s'il avait changé du tout au tout. Elle qui ne tarissait pas d'éloges sur lui les premières années de leur mariage, voilà qu'elle tient des propos incroyables, il faut que je l'arrête pour qu'elle ne me fasse pas le récit détaillé de scènes que j'ai tendance à considérer comme un peu trop intimes pour les déballer même à sa sœur. Est-ce que c'est depuis la naissance de Jules ? Ce petit dernier sept ans après Chloé, j'ai l'impression que le couple en a été bousculé. Mais de là à ce que lui perde les pédales comme elle le raconte, j'arrive pas à y croire, il lui dirait de ces trucs, insensé ! En tout cas, là, c'est autre chose, des bruits bizarres, tout se détraque dans la maison, je vois pas bien le rapport, elle est morte de peur, lui il essaie de la calmer, il ramasse, il range, calme comme je l'ai toujours connu, le Dominique ! Mais ça ne suffit pas, ça continue à valdinguer dans la maison, plus elle s'énerve, plus ça valdingue, et moins lui sait quoi y faire. C'est l'homme quand même, c'est à lui de ramener l'ordre à la maison. En tout cas, c'est ce qu'elle croit, Chantal, ce qu'elle a toujours cru. En attendant, la dernière, elle vient de m'annoncer qu'elle a déposé plainte, décidément la gendarmerie a du temps à perdre, "dégradations inexpliquées" qu'ils ont inscrit, tout ça pour un peu de grabuge familial!

 

-       Maman, maman, la honte, mon jean hype, mon seul vrai, je le trouvais nulle part… Et là, je regarde dans la petite salle d'eau, la machine à laver, complètement défoncée, on aurait donné des coups de marteau dessus ce serait pas pire, et mon jean, en vrac, des trous dedans partout, avec un couteau ou des ciseaux, je sais pas… J'en peux plus de cette baraque ! Enfin, bougez-vous tous les deux !

-       Écoute, Chloé, là, ça va, ton jean, ton jean, si y avait que ça, t'as vu le chantier, partout ? Tu crois que ça me rend pas malade de voir tout ce bazar ?

-       Mais alors bouge-toi, au lieu de rester vautrée à longueur de journée ; papa, lui, au moins, il range…

-       Dis donc, tu me parles pas comme ça. Moi aussi je me bouge, comme tu dis, qui est-ce qui est allé porter plainte, ton père peut-être ? Tu verras si c'est ta chambre qui est dévastée…

-       Encore heureux que non ! C'est drôle ça, d'ailleurs, que ça soit pas dans les chambres, juste dans la salle à manger, la cuisine, la petite salle d'eau, l'entrée…

-       C'est ça, continue la liste, la gendarmerie a bien besoin d'indices. Des incapables, tu sais qu'ils m'ont presque prise pour une folle, c'est pas de ma faute s'ils sont trop nuls pour débrouiller ce mystère.

-       Oh, maman, stop, arrête ton délire, c'est pas ça qui va me rendre mon jean.

-       T'as qu'à en redemander un à ta tante pour ton anniv, elle rate jamais une occasion de te gâter, tu serais peut-être moins pourrie avec toutes ces marques sans elle…

-       Bon, laisse tomber, là…

 

Encore de nouveaux dégâts, tous les jours en revenant du boulot, j'en trouve d'autres, là c'est la machine à laver, complètement éventrée, dans l'entrée le miroir effondré dans le porte-parapluie. Je sais plus où donner de la tête. Avec mon patron qui râle parce que j'ai la tête ailleurs, que je rentre plus tôt… Mais faut bien, avec Jules, hypersensible, s'il voit ce chantier en rentrant de l'école, il pique des crises, comme sa mère. Et là, Chloé qui fait une scène à cause de son jean, je comprends, son jean préféré, mais quand même, elle voit pas tout le reste. Chantal, elle, c'est plus simple, elle se couche et elle attend que je fasse tout. Combien de temps ça va durer, ce cirque ? Je vais finir par rester debout toute la nuit pour les attendre ces fichus fantômes ! Pas sûr que je sois bien avancé, d'ailleurs, la machine à laver et le miroir, ils étaient pas cassés ce matin, je crois pas… Je crois que je deviens fou, c'est la sœur de Chantal qui va être contente, toujours à me critiquer depuis un an ou deux, avant elle était pas comme ça, qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu ?

-       Oui, j'arrive, je vous ouvre.

-       Monsieur H., excusez-nous de vous importuner. Nous voudrions vous poser quelques questions, à vous, et à votre femme.

-       Je l'appelle… Je crois qu'elle est dans la chambre…

-       Non, attendez s'il vous plait, nous voudrions bien vous entendre séparément.

-       Si vous croyez que c'est mieux, mais on n'a rien à cacher. Tant que vous laissez les enfants en dehors…

-       J'espère que nous n'aurons pas besoin de les interroger. Pouvez-vous nous expliquer encore une fois, les dégâts, les moments où ils se produisent, où vous êtes à ces moments-là.

 

Dominique commença le relevé par le détail, la première fois avec juste quelques trucs renversés ou cassés, puis quelque temps après, la vaisselle cassée, le couteau dans le buffet, puis là, aujourd'hui, la machine à laver, le miroir de l'entrée. Il récapitulait les moments où les faits s'étaient produits, ou plutôt où il les avait constatés, il n'était jamais là, il découvrait le désastre en rentrant ; les enfants non plus, heureusement, sinon qu'est-ce qui aurait pu leur arriver ? Il en mourait de peur.

-       Et votre femme, elle était là quand les faits se sont produits ?

-       Je ne crois pas. Elle était là quand je rentrais, effondrée par le spectacle de désolation sous nos yeux, c'est tout ce que je peux dire.

-       Merci M. H, pour votre collaboration précieuse. Nous allons maintenant interroger votre femme, si vous le permettez.

-       Je vous l'appelle, Chantal, tu viens s'il te plait, ces messieurs veulent te poser quelques questions.

-       Mais sans vous. Où pouvons-nous nous installer pour être tranquilles ?

-       Oh, restez ici. Je dois aller voir les enfants, surveiller les devoirs de Jules, quant à ma fille, elle fait la tête à sa mère, elle ne risque pas de sortir de sa chambre.

 

Ils sont partis avec Chantal, garde à vue, qu'ils ont dit. Comment expliquer aux enfants que leur mère est au commissariat, et qu'elle va y passer la nuit ? Il va falloir que je me débrouille. J'espère que ce sera pas long, je vois pas bien pourquoi ils l'emmènent. J'ai prévenu sa sœur, je ne sais pas pourquoi, peut-être que je devais en parler à quelqu'un, et qu'elle est la mieux à même de comprendre. Pas étonnée d'ailleurs, elle m'a proposé tout de suite de m'aider pour les enfants, elle a l'air plutôt lucide sur notre couple, dire que je me suis monté le bonnet, s'il y a quelqu'un qu'elle débinait, je crois bien que c'était plutôt Chantal.

Bon, courage !

-       Jules, Chloé, vous pouvez venir, il faut que je vous parle.

-       Oh, attends, y a pas le feu au lac, je parle avec une copine.

-       Tu dis à ta copine que tu lui parleras plus tard et tu viens, tout de suite. Et tu dis à ton frère de venir au passage. Y a pas le feu, mais c'est tout comme.

 

L'information a été rapportée ce lundi par Le Républicain Lorrain.

Le 21 août dernier, un couple propriétaire d'un pavillon à Amnéville (Moselle) avait révélé avoir été victime de phénomènes paranormaux en racontant que des meubles ainsi que du matériel électroménager étaient brusquement tombés au sol, sans raison apparente. Une équipe de chasseurs de fantômes avait même été dépêchée quelques jours plus tard sur les lieux pour vérifier la véracité des faits.

Dénonciation mensongère

Parallèlement, une enquête a été ouverte et a été confiée au commissariat de police d'Hagondange. Les policiers ont découvert que c'est Chantal Hachette, l'épouse, qui était à l'origine de tous les "phénomènes" constatés. Placée en garde à vue, elle a reconnu avoir saccagé sa maison sous le coup d'une "crise de nerfs. "Convoquée devant le tribunal correctionnel pour dénonciation mensongère, elle comparaitra le 8 octobre prochain. Son mari, quant à lui, ne fait l'objet d'aucune procédure.

Par Direct Matin, Publié le 16 septembre 2014 à 10h18