La maison de la dune

L’arbre ! L’arbre dans la maison ! Venez voir l’arbre dans la maison ! L’arbre sans feuilles et sans racines, tortueux, torturé, entrelacé.

Il se résoud en lignes pures, droites qui forment la charpente d’une pergola.

Oui c’est bien une pergola, la maison y ouvre sa porte fenêtre, d’ailleurs je m’en souviens ;… je la connais bien !..  . Je suis dans la maison et je franchis le seuil, je vais vers la lumière, je veux voir cet arbre extraordinaire, le voir de près, toucher son torse contourné. Deux poutres s’y greffent soutenant la pergola ; elles s’attirent sans se rejoindre, liées par un entrelacs de branches fines semblables à des racines ; la terre et le ciel à la fois reliés et séparés !

Cette maison fût notre maison, notre maison au bord de la plage. Maintenant c’est une ruine, une belle ruine ; elle a perdu son toit et ses murs sont fendillés. La partie vivante c’est cette véranda ouverte sur la mer. L’arbre dans la maison, l’arbre issu du sable fin qui entoure ses pieds ! Là, tout en bas, des racines surgissent, serpents véloces blanchis par la mer.

D’ailleurs tout est gris et blanc, nuance des gris….. Blanc de la peinture écaillée….les bois flottés qu’on trouve sur la plage, tordus  par la houle, résistants et puissants » contre vents et marées », comme cet arbre-poutre. A la fois, il soutient et s’enroule sur lui-même dans un étau mortel. Peut être finira t il à la force de ses multiples bras par faire écrouler la véranda centenaire. ?

Je suis debout entre la porte fenêtre et l’arbre-racine

L’arbre – squelette

L’arbre –poutre 

Et j’ai peur ! J’ai peur qu’il avance...

Va  t il resserrer son étreinte insinuante ? Va-t-il étendre ses longs bras et me happer ?

Peurs d’enfants : je me retrouve aussi dans une autre maison qui me paraissait si grande et mes souvenirs se mêlent se superposent en multiples surimpressions.

Enfant , on voit le monde à sa hauteur  et je me souviens tout de même du bignonia qui ornait  cette avancée sur la plage. Nous déjeunions au soleil et J’entends les bruits de voix, les rires, le raclement des chaises, le claquement du grille pain, le grincement des lattes disjointes ; je revois les traces mouillées des pieds revenant de la plage.

« L’enfant et les sortilèges » me voilà dans la maison enchantée par la grâce de ce vieil arbre dur à la peine ; et dure a la peine aussi cette maison !

Arbre –métaphore

Arbre-poutre

Arbre-serpent

Arbre de la forêt enchantée  de l’enfance.

 

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Coup de foudre

 

Cet arbre, je l’ai photographié dans la lumière crue du grand soleil, me disant que ce n’était pas vraiment le moment propice pour une bonne photo et je l’ai entreposé dans mon téléphone …

A l’arrière de la maison, dans ce qui fut le jardin, envahi par les pierrailles et les chardons bleus, des enfants se poursuivaient en criant ; et ces rires se mêlaient au ressac de la mer.

J’ai avancé sur le caillebotis qui menait à la plage ;la lumière était blanche, un tesson de bouteille fiché dans le sable renvoyait des éclats   aveuglants.

A l’endroit ou cessait le caillebotis, le sable avait avancé en festons poudreux et je sentis sous mes pieds chaussés des minces sandales de l’été le glissement du sable ;il s’insinuait entre mes orteils ,chaud et insistant ,il emplit mes chaussures ,augmentant  leur poids .C’était une sensation bizarre qui me faisait vaciller et je revis en un éclair ce matin de Mai, doux et encore frais ou je tombai en amour pour cette maison

J’étais passée par la plage en revenant du village ; aux alentours tout dormait encore. Dans mon sac a dos le pain chaud du boulanger croustillait encore et les oranges que je venais d’acheter brinquebalaient contre mon dos

C’est alors que je la vis, cette maison sur la pointe de la dune, juste devant la courbe de la mer. Fermée depuis quelques saisons, elle avait ouvert ses volets ; des échafaudages bordaient la façade, on piquetait le crépi pour mettre la pierre a nu, le « moellon »charentais commençait à apparaitre dans sa tendre blondeur, la génoise sous le toit déroulait sa dentelle raffinée

Je m’approchai par le sentier de pierraille et de sable ;les chardons bleus mordaient mes chevilles ;je sautais de pierre en pierre pour les éviter.

Arrivée en haut de la dune, essoufflée, je posai mon sac a dos sur un gros bloc veiné de gris Les maçons avaient entreposé dans ce petit jardin qui deviendra le notre des  sacs de ciment, de  plâtre et des poutrelles On sentait  que quelque chose se préparait ;un chantier s’organisait une brouette emplie d’une boue grisâtre ,du ciment sans doute, attendait là ;divers outils jonchaient l’herbe rare et sableuse

Je m’approchai de la porte d’entrée ; sur le linteau, il y avait ,jaillie de la pierre une sorte de chimère à demi rongée par le temps et les embruns On distinguait une face plate, des oreilles pointues et un large sourire grimaçant avec ,en son milieu entre l’écartement des dents absentes, un bout de langue irrévérencieux Une queue de serpent ou de poisson achevait le creux de ce qui avait du être un corps et que les ans avaient effacé  Des volutes fleuries ornaient cette chimère de part et d’autre, elles contrastaient par leur raffinement avec la rudesse du motif et je pensai : »le diable en rit encore » ce qui me venait de je ne sais ou !!

, La mer poudroyait et le soleil rendait le moindre caillou étincelant Je franchis les derniers mètres dans le sable brulant,  je regardai par la fenêtre du rez de chaussée, entre les barres de l’échafaudage et je vis une masse sombre L’intérieur était noir et vide

Cette façade de lumière et l’obscurité de ses entrailles c’était comme un grand corps mystérieux avec ses ombres et ses silences

 Et je le vis !!sur un appentis sans grâce : un bignonia qui lançait son tronc noueux à l’assaut de la fenêtre aux carreaux cassés ;pour l’instant, il ne l’avait pas encore atteinte mais on sentait la poussée de la sève de Mai dans ses entrelacs et la vigueur de ses lianes  pression de la force organique ,inéluctable

« Bignonias : plante peu courante, la bignone orangée séduit par son feuillage quasiment persistant et sa floraison printanière généreuse diffusant des senteurs de café »

Je connaissais –et je reconnaissais là cette plante qui recouvrait une petite pergola dans le jardin de mes parents ;elle croulait sous les longs calices orange clair bordé de rouge ;on taillait dedans à grands coups pour limiter ses ardeurs et » il y en avait toujours ! » disait mon père

Mon impression de re-connaissance se fortifiait s’enrichissant des souvenirs de cette autre maison celle ou je suis née

L’énorme  bignone, j’allais la retrouver bien des années plus tard survivante dans la maison de la dune : arbre-poutre ,arbre serpent, insolente de vitalité ;elle me lançait par ce matin de Mai l’appel de l’amour

Les lieux et les âges de la vie se mêlent, échos de ma propre enfance dans les strates de ma mémoire L’enfant de la maison de la dune, ce n’est pas moi et c’est moi aussi et encore la femme adulte qui a fait de cette maison celle des jours heureux.

 

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A Poitiers le 11 mars 2014