- Vous auriez du feu s'il vous plaît ?

 

Je fouille dans mon sac à la recherche d'un des briquets jetables qui y traînent, je ne vais pas lui prêter mon zippo, c'est un souvenir d'Antoine, et s'il se barrait avec ?

 

                - Et une cigarette tant que vous y êtes ?

 

Evidemment. J'attends ma mère devant la gare et ce type, là, mas si mal sapé pourtant, sa sacoche de portable en bandoulière, en profite pour me taper...à moins qu'il ne me prenne pour ce que je ne suis pas ! Il fait beau, j'ai mis ma robe courte et des talons hauts, non mais faut pas croire ! Je lui donne, sa clope ? Au prix où elles sont !

 

                - Vous avez de la chance, d'habitude, je refuse...

 

Je regarde ma montre, histoire de lui faire comprendre que l'entretien est terminé, 16h41. Une montre digitale, cadeau de mon père, mais est-ce que j'ai besoin d'une telle précision ? Et qu'est-de qui m'a pris de venir si tôt, le Paris-Nantes est à 17h14. Et même pas moyen d'aller attendre sur le quai, on ne peut plus fumer dans les gares maintenant.

Je regarde du coin de l'œil. Pas si mal, en fait, à peu près mon âge, cheveux chatain-roux et visage ouvert, les lunettes à monture bleue ne sont pas du meilleur goût mais... Ah, lui aussi me regarde, il va s'imaginer des choses, si j'avais su !

 

            - Vous attendez le train de Paris ?

            - Oui en effet, j'attends quelqu'un.

 

Je ne vais quand même pas lui dire qu'il s'agit de ma mère, il va se croire tout permis. Je me demande quand même comment il me trouve, je suis à peine maquillée aujourd'hui. Mais je divague, on dirait ! Depuis qu'Antoine est parti, je ne peux m'empêcher d'imaginer les mecs comme des successeurs potentiels...

 

            - Moi aussi, mais on est très en avance, je vous offre un pot ?

 

Voilà la drague qui continue...

 

            - Il y a un café juste à côté, avec une terrasse, nous serons mieux qu'ici, non ?

 

Après tout, il peut bien se racheter de son culot de tout à l'heure, un café, cela n'engage à rien, non ? Et puis, cela me permettra de ne pas trop barjoter sur Maman, qui tient à me présenter son nouveau compagnon.

 

            - Allons-y !

 

Et nous voilà assis devant nos expresso, comme si nous n'étions pas assez nerveux comme cela ! Je n'ose pas lui demander qui il vient chercher, sa copine sans doute, alors bien sûr nous parlons de tout et de rien, du projet d'aéroport à Notre Dame des Landes, il se trouve que son père fait partie des contestataires, lui aussi d'ailleurs. Moi, je ne sais pas trop quoi en penser, c'est vrai que ça peut encore dynamiser la ville, un nouvel aéroport, et puis j'ai voté socialo, comme toujours, alors maintenant je les laisse faire...

 

            - Mais moi aussi, j'ai voté socialiste, mais cela ne m'empêche pas de garder mon libre-arbitre, mademoiselle ! Et toutes ces zones naturelles qu'on va couvrir de macadam, ça ne vous fait rien, qu'est-ce qu'on va laisser à nos enfants ?

 

Ah, encore un comme Antoine, qui va me bassiner avec ses grandes idées, alors que tout ce dont je rêve, c'est de grands sentiments... Mais qu'est-ce qu'ils ont donc, tous ces donneurs de leçons prétentieux... Heureusement que je ne suis pas à un rancart amoureux, et que dans 10 minutes, 9 exactement, je vais être débarrassée de lui !

 

            - Pas mal, ce café, elle est bien aménagée, à Nantes, la place de la gare, c'est pas comme à Poitiers !

 

Il a compris, il me regarde d'un air déçu, il doit même me considérer comme une minette écervelée, mais je m'en fous !   

 

            - Bon, si on y allait ! Vous allez chercher qui, à la gare ?

            - C'est mon père, il m'invite ce soir au restaurant avec sa nouvelle compagne et sa fille qui habite Nantes. Je m'entends super bien avec mon père ! Et vous ?

 

Ah non, pitié, ils vont pas encore y passer la soirée, faut que je me trouve une excuse, faut pas croire que je vais supporter ça !