Il se tapit dans l’ombre du porche tentant de reprendre son souffle, de calmer son cœur affolé, d’échapper aux voitures de police qui sillonnent, toutes sirènes hurlantes, les pavés ruisselants de la ville endormie.

Quelques minutes plus tôt, il a assisté, impuissant, au saccage de leur squat et de tout ce qui s’y trouvait, à l’arrestation de ses compagnons de misère avant de réussir à s’enfuir et à échapper à la rafle nocturne.

A présent, trempé jusqu’aux os par ce crachin glacé, il ne sait vers quel abri sûr se diriger pour passer les heures qui le séparent de l’aube.

Au moment où les gyrophares de l’estafette illuminent l’extrémité de la rue, la lourde porte cochère, contre laquelle il s’appuie, s’ouvre, livrant passage à un vieil homme précédé de son bedonnant Labrador.

Traqué, paniqué, le fugitif dévisage le vieillard qui, surpris, esquisse tout d’abord un mouvement de recul avant de se reprendre et de l’inviter d’un geste de la main, à pénétrer dans la cour de l’immeuble, juste au moment où les policiers descendent de leur fourgon pour se mettre en position de cerner le quartier.

A cet instant, Madame Lambert, propriétaire de l’appartement du rez de chaussée, ouvre la fenêtre de sa cuisine afin de fermer ses volets.

« -Mais dites-moi qu’je rêve ! C’est pas possible ! Après les chats perdus, les chiens sans collier, c’est les sans papiers ! C’est pas la cour des miracles ici. C’est un immeuble res-pec-ta-ble Monsieur Bürger. Res-pec-ta-ble ! C’est pourquoi j’viens d’me saigner aux quatr’veines pour y acheter cet appartement, vous comprenez ? Et vous, vous n’pensez qu’à y abriter des pouilleux !

Savez-vous c’ que ça coûte d’héberger un clandestin ? Cinq ans d’prison ! Trente mille euros d’amende ! Ca va p’t’être vous faire réfléchir.

 -Calmez-vous Madame Lambert je n’ai pas l’intention de garder cet homme pour la nuit. Je vais seulement lui servir une soupe et lui donner quelques vêtements secs avant de le confier au responsable de l’association Salam.

-Ah ! L’association Salam ! Vous m’ faites rire ! Tous des gauchistes ! Qui ont du temps à perdre ! On peut dire que les français ont bien changé !

Au jour d’aujourd’hui, c’est la mode, chez les intellos comm’ vous, d’héberger les déchets d’ la société. Mais j’vous préviens, moi,  Monsieur Bürger, s’il le faut j’vous dénoncerai, j’n’hésiterai pas. J’suis une citoyenne honorable, moi.

-Je n’en ai jamais douté Madame Lambert. Ce sont d’ailleurs des citoyens honorables, des citoyens tels que vous, qui ont livré des juifs à la police de Vichy.

-Les Juifs, eux, étaient français, Monsieur Bürger, c’étaient pas des sans papiers, des hors la loi !

-Madame Lambert, je ne comprends pas très bien. Tous les dimanches matins, je vous vois partir pour la messe. Croyez-vous que Dieu, à l’heure de votre mort, vous demandera de vous présenter devant lui avec des papiers ? »

Le bruit fracassant de la fenêtre refermée avec violence est l’unique réponse à la question posée.

Le vieil homme, épuisé par cet échange de paroles virulentes, hausse l’épaule avec lassitude. D’une main posée sur son bras il guide le fugitif vers l’entrée de son appartement tandis que, de l’autre, il tente de convaincre son chien récalcitrant de renoncer, pour l’instant, à sa promenade rituelle