... Ce fut un moment charmant qui nous a permis d’échanger l’une et l’autre sur les sujets qui vous tiennent à cœur depuis toujours : la religion.

En même temps, je me suis sentie  motivée  par la transcription du récit que je vais vous livrer. Figurez-vous que j’ai des difficultés à écrire. En effet, les personnages de fiction m’ennuient et je ne me sens des ailes, mon écriture coule avec fluidité,  uniquement  pour raconter le quotidien. Seul le métier de journaliste aurait pu me convenir si j’avais choisi un métier de plume.  Celui d’écrivain me rebute, car il m’obligerait à imaginer des personnages fictifs, qui  plus est dans des vies ou des situations qu’ils n’ont pas vécues.  Je me demande si cela ne serait  pas la résultante d’une fidélité exacerbée à la réalité. Ou du moins à celle que j’imagine.

Je viens d’entendre aux informations un fait divers qui va vous intéresser, et pour la compréhension duquel, je réclame la lumière de vos compétences.

L’histoire s’est déroulée en France dans l’Abbaye de Sainte Madeleine du Barroux où vous étiez passée en pèlerinage avec votre grande amie Line, lors de votre périple dans le sud l’année dernière. Vous souvenez vous d’avoir entendu parler ou  fait la connaissance d’un jeune curé, nommé Antoine. D’après les journalistes, ce prêtre d’environ 40 ans a éveillé les soupçons des autres  occupants des lieux.

Je me suis posé la question justement de savoir quelles étaient les informations et le curriculum vitae que le  père supérieur et le collège de prêtres résidant dans une abbaye pouvaient bien demander à un curé demandant une hospitalité, en somme  presque définitive.

Le journaliste continuait en racontant que les agissements de ce curé Antoine ont paru suspects. Peut-être était-il incapable de mémoriser les textes de la bible en latin, ou bien ne connaissait-il pas la liturgie. Cela, chère tante, vous auriez su mieux que moi, pauvre mécréante, comment confondre un individu tel que celui-là.

Je me dis mécréante, mais je ne vous ai jamais raconté que j’ai fait il y a une dizaine d’années  une retraite à l’Abbaye de Ligugé. Ils disposent d’un grand appartement à partager entre plusieurs hôtes, en somme un gite équipé de plusieurs chambres.  J’ai croisé à cet endroit un jeune homme qui justement avait été accueilli au sein du groupe des moines. Et bien, il m’a confié qu’il ne croyait en rien du tout, et qu’il faisait semblant de croire et de réciter les prières uniquement pour disposer du gite et du couvert.

Et bien chère tante il s’agit de la même histoire que celle du fait divers qui s’est passé à  l’Abbaye Saint Madeleine du Barroux, ou du moins c’est moi qui l’imagine.

En fait ce jeune prêtre nommé Antoine a été confondu non par ses compagnons prêtres, comme vous pourriez le supposer, mais bien par un quidam, qui, comme je l’avais entrepris il y a quelques années, a rencontré le prêtre Antoine dans l’hostellerie de l’Abbaye.

Ce jeune homme avait donc recroisé le prêtre Antoine dans la bibliothèque, dans les cuisines, bref dans différents endroits, sans jamais pouvoir lui adresser la parole. Chaque jour, le jeune homme venait assister aux messes et laudes chantées. Chaque jour, il y croisait, après les cérémonies, le prêtre Antoine.

Un jour, le jeune homme avait proposé au prêtre Antoine de l’accompagner dans sa promenade quotidienne dans le bois de Lantagne.  En effet, chaque jour, à 14h, il sortait par la petite porte de bois grinçante qui ouvrait sur une ruelle conduisant à l’entrée d’un grand parc boisé, où il admirait des essences assez particulières comme des grands cèdres du Liban, plantés là il y a plusieurs centaines d’années. Ces cèdres avaient échappé à la grande intempérie de 1999. On avait procédé à quelques coupes de branches basses, mais les énormes troncs forçaient toujours son admiration.

Un jour donc, le prêtre Antoine l’accompagna. Il faisait froid, c’était l’hiver, des volutes de  buée sortaient de leurs bouches animées par des discussions qui semblaient de la plus haute importance.

Le prêtre Antoine raconta, vous voyez ma tante que tout arrive, même à ceux qui ne veulent pas trahir leur secret.

Il se trouve que le jeune homme demeurant à l’hostellerie révéla au prêtre Antoine qu’il l’avait reconnu. Ils s’étaient connus lors de leur formation dans les compagnons du devoir à Muret, dans le Lot et Garonne. Ils parlèrent longtemps de leurs jeunes années, de leur maître ouvrier, tailleur de pierres.

Ils s’assirent dans les taillis, entourés d’herbes hautes, bien à l’abri de la vue des rares promeneurs et échangèrent longtemps.

L’heure des laudes arriva bien vite.

Le prêtre Antoine demanda au jeune homme de révéler la supercherie dans laquelle il vivait depuis plusieurs dizaines d'années. Il n’en pouvait plus de ce lourd secret.

C’est ainsi que le faux prêtre fut démasqué par son compagnon de jeunesse, bien malgré lui.

Voyez-vous, ma tante, ce fait divers m’a émue. Moi qui me dis incapable d’écrire un texte d’imagination, je me suis senti des ailes pour vous raconter ce fait divers, qui, quelque part, je ne sais pas pourquoi, me touche profondément. Peut-être l’idée que quand le moment est venu de se démasquer, on ne peut faire autrement que d’accepter. 

J’ai besoin de votre point de vue. Nous avons discuté de religion la semaine dernière, mais jamais de sujets aussi brulants que celui-ci, où la religion et la culpabilité se mêlent. Dites–moi ce que vous inspire ce fait divers.

J’attends votre réponse avec impatience.