Quelle idée encore a eu ce prof de nous donner comme sujet de rédaction la neuvième promenade de J.J. Rousseau ! Déjà qu'il faut se taper la lecture des Rêveries. Pas de pot d'avoir ce vieux croûton.  Ma copine, elle, elle étudie Roméo et Juliette avec Madame Seigneur. Ils parlent même de monter la pièce. Quelle veine !

 

Tiens, voilà qu'il grêle, on dirait. Pour un mois d'avril, qu'est-ce qu'on caille !

 

Je regarderais bien sur Facebook si j'ai des messages, mais il vaut mieux que je me colle à la tâche. Une page, ça lui suffira bien, la dernière fois j'ai réussi à lui pondre trois-quarts de feuille sur un sujet absurde, une histoire de cambriolage et de bikini, comme de toutes façons je n'ai jamais la moyenne... Trop sec, à ce qu'il dit.

            On n'aimera peut-être plus demain ce qu'on aime aujourd'hui. Mamie, bien plus simplement, elle dit : « Tout passe, tout casse, tout lasse. » Au collège, le temps passe, ils me cassent, et tout cela me lasse. Haha. Il y a tant d'autres choses à faire ! Moi, j'aime bien bricoler avec Papa, faire du vélo, jouer au foot avec les copains, traîner sur les bancs avec Emilie, des joies simples, quoi, et au lieu de cela, je vais gâcher mon après-midi à suer sur cette copie. Et pourquoi j'arrêterais d'aimer jouer au foot, Papa, lui, il est encore fan, même si c'est plutôt le ballon rond de la télé qui le passionne maintenant.

            Prenons mon histoire avec Emilie, pourquoi cesserait-elle un jour, mon père et ma mère se sont bien rencontrés dans la cour du collège !

 

Ah, voilà Madame Denis qui vient porter son linge à Maman, avec ce qu'il tombe, elle va se faire rincer !

 

            Je peux peut-être prendre la phrase à l'envers. Ça donne : « Nul ne peut s'assurer qu'il n'aimera pas demain ce qu'il déteste aujourd'hui ». Quelle idée ! Alors peut-être qu'à la retraite j'irai à un atelier d'écriture, comme Mamie ? N'importe quoi, ça ne marche pas non plus dans ce sens-là.

            Et pourquoi Mamie elle dit ça, tout passe et bla bla ? J'ai longtemps pris ça pour une ritournelle, mais maintenant j'ai peur qu'elle ne le pense vraiment. Elle a quand elle dit ça un pli amer au coin de la bouche, ses yeux sont mornes, on dirait qu'elle s'ennuie. Pourtant, elle est bien libre de son temps, elle, elle n'a pas à rester sept heures par jour le cul sur une chaise, à écouter des profs qui eux ne font que s'écouter parler...

 

Bon, tout cela ne me mène pas à grand'chose, je n'ai toujours pas l'ombre d'une idée, j'ai les crocs, je vais aller voir dans la cuisine si il n'y a pas quelque chose à se mettre sous la dent. J'ai aperçu un paquet de kinders bueno dans le placard, et si je me l'enfile, je n'aurai pas à me le disputer avec la petite... comme les gamines de Rouseau qui se chamaillent pour des « oublies », dans la Promenade. Le prof, il a tenu à ce qu'on cherche sur Google à quoi ressemblaient ces biscuits d'autrefois. Comme si on en avait quelque chose à faire...

Bon, mission accomplie, je m'y remets.

 

            Soyons positif, il a peut-être raison, le vieux. Quand j'étais petit, je passais des heures à jouer à la voiture télécommandée, celle que j'ai vendue l'an passé au vide-greniers. On était là avec Benoît à rigoler de voir les gosses fouiller dans nos vieux trucs, les sacs de billes, le skateboard, les Tom-Tom et Nana, mais finalement on a eu un petit coup de nostalgie à se rappeler les après-midi à s'éclater tous les deux à jouer avec tout ça. Bingo ! Je n'ai qu'à allonger la sauce et le vieux croûton aura sa rédac. Décrire le skateboard customisé, donner le nom de toutes les billes...

 

 Bon, on peut dire que le plus gros est fait, je peux m'octroyer un petit break. Juste un quart d'heure de Facebook, montre en main ! 

Une heure plus tard…

Nul ne peut s’assurer qu’il aimera demain ce qu’il aime aujourd’hui ! C’est bien vrai ! Dimanche dernier, les amis du quartier avaient organisé un vide-greniers. C’est l’occasion, m’a dit Maman, de débarrasser ta chambre de tous ces vieux trucs dont tu ne te sers plus ! Moi, cela ne me gêne pas, ma chambre, c’est ma chambre, elle n’a pas à y entrer ! Mais cela me permettrait de me faire un peu d’argent, alors j’ai appelé Benoît pour qu’il m’accompagne et qu’il se fasse lui aussi une petite cagnotte. Nous avons envie de passer un week-end en camping, loin des parents, et ceci financera peut-être cela. Nous sommes arrivés chacun avec deux cartons pleins. Benoît avait une voiture télécommandée, moi une patinette, et elles sont parties en premier, pour trois euros chacune. On ne peut demander à un gosse de six ans de vider sa tirelire en un seul achat, quoi ! On était déjà très contents et les affaires s’annonçaient bonnes, et quand une gamine m’a demandé le prix du skateboard sur lequel j’avais peint un spiderman, maladroitement, mais quand même, en prince, je le lui ai laissé à deux euros.  Nos clients ont dû nous faire de la pub, car notre stand était pris d’assaut ! Qui des sacs de billes, qui du taboo junior, on s’arrachait même les Tom Tom et Nana et pourtant qu’est-ce que c’est bête, ces BD, rien à voir avec les mangas que nous lisons maintenant.

Ouh là là ! Onze lignes et j’ai déjà presque tout raconté… Je vais écrire bien gros en recopiant, j’espère que ça ira !

A midi, il ne nous restait plus rien, ce que c’est que de casser les prix ! Ca tombait bien, le ciel était bien noir… On s’est repliés à la maison et là, on a commencé à compter nos sous. 27,45 euros ! Quelle déception ! Il nous faudrait encore au moins deux vide-greniers pour réaliser notre projet ! Benoît me consola en me disant que nous avions fait des heureux, quel grand cœur celui-là ! Et moi, je lui en ai mis plein la vue en citant Rousseau : « Les petites privations s’endurent sans peine, quand le cœur est mieux traité que le corps »

Fin de la rédaction !!! Ben quoi, j’ai rempli le contrat, non ? Vite, un coup de fil à Mamie, elle va bien trouver le moyen d’allonger la sauce, moi, il est déjà 5 heures, et je dois rejoindre Emilie au ciné à 6 heures. Ouf !   


 Atelier d'écriture du 18 avril :
Retour à Rousseau, Les Rêveries du Promeneur solitaire.
A partir du début et de la fin de neuvième rêverie, nous écrirons notre propre « Rêverie » en faisant appel à des souvenirs réels ou imaginaires.
Nous pourrons nous inspirer des thèmes de Rousseau dans cette neuvième Rêverie (l’abandon de ses enfants, l’éducation des enfants, promenades dans Paris, aux Invalides, rencontres…)
Début :
« Le bonheur est un état permanent qui ne semble pas fait ici-bas pour l’homme. Tout est sur la terre dans un flux continuel qui ne permet à rien d’y prendre une forme constante. Tout change autour de nous. Nous changeons nous-mêmes et nul ne peut s’assurer qu’il aimera demain ce qu’il aime aujourd’hui. »
Fin :
« Mais n’est-ce rien que de se dire : je suis homme et reçu chez des humains. C’est l’humanité pure qui me donne le couvert. Les petites privations s’endurent sans peine, quand le cœur est mieux traité que le corps. »
Employer absolument le mot « une oublie ».
Notre « Rêverie » devra commencer par tout ou partie de ce début et se terminer par tout ou partie de cette fin.