J’ai suivi point par point, heure par heure ces journées de Printemps 2012 à Toulouse .

Une semaine après les faits, le soleil est radieux.  Je porte en moi cependant, un poids indicible. Celui d’un gâchis terrible de vies, tranchées en plein envol  celles des victimes et celle du tueur.

 

Nous sommes surement peu nombreux à avoir une pensée pour la souffrance du tueur. Seules quelques personnes isolées ont voulu exprimer quelques mots sur le sujet. Je sais qu’il est inconvenant de revenir sur la victimisation d’un tueur, mais je veux m’y essayer.

 

Je suis aujourd’hui à Toulouse. La traque du tueur s’est terminée. Tout s’est passé dans le quartier de la Côte Pavée. Je l’ai connue cette Côte Pavée il y a  une cinquantaine d’années. Ma tante, son mari et ses onze enfants y avaient élu domicile après avoir été rapatriés d’Algérie. J’ai appris au fil des informations de l’AFP que je reçois en direct que la famille du  tueur était aussi originaire d’Algérie.

 

J’ai noté l’allocution d’un homme étonné

 

 -« J e suis l’avocat de Mohammed Merah.  Je voudrais mettre un bémol sur le portrait que les médias  viennent de dresser de celui qui fut mon client :

 

J’ai connu un jeune homme grand, sportif. Il avait un visage avenant.  Quand il souriait son visage s’éclairait et toute  la lumière bleutée du pays dont il était d’origine m’éclaboussait.

Sa mère était née à Tlemcen, il y a cinquante cinq ans  , et souvent, il revenait sur ce passé perdu ; quel gâchis !

 

Oui, il avait commis des méfaits, mais rien d’extraordinaire pour un gosse des banlieues comme des centaines d’autres. Quelques petits larcins d’une certaine importance, bien sur. Par contre, il n’était pas violent

 

J’insiste pour déclarer que le jeune homme que j’ai connu voilà de cela deux ans, n’avait pas l’étoffe du tueur froid et déterminé qui a perpétré des crimes aussi horribles. Que lui est-il arrivé pour qu’il change à ce point »

Je lui demande :

« n’a-t – il pas été incarcéré à la prison de….

 

Je sais, ses crimes sont impardonnables : tuer de sang froid trois militaires en tenue, devant leur caserne et recommencer la semaine suivante en tuant à bout portant trois enfants et un adulte devant une école juive est un acte intolérable.  Je me demande seulement  quels sont les auteurs de son endoctrinement, qui sont ces instructeurs de la mort qu’il a pu aller contacter tant au Pakistan qu’en Afghanistan. »

 

Je voudrais maintenant  évoquer  sa mère Malika Merah, née Sefraoui que les policiers sont allés chercher au commissariat où ils l’avaient emmenée avec son fils ainé. Je pense ainsi que mes collègues qu’ils avaient bien fait au départ d’isoler le jeune homme de sa famille.

Cette mère de famille éplorée est en état de choc. Ses seuls mots sont

-       «allah  est grand. Il m’a repris mon fils. Il sait ce qu’il fait » aouili, aouili, quel désastre, quel désastre. »

Depuis quelques semaines la police et donc les agences de presse ont suivi le parcours de cette famille, qui au demeurant,  n’avait jamais eu affaire à la justice

La mère de famille est originaire d’une petite ville d’Algérie, à la frontière du Maroc : Tlemcen. J’ai eu l’occasion lors de mon unique voyage en Algérie de passer par cette ville. J’ai le souvenir d’un endroit clos bordé de grands cyprès bleutés : l’ancien cimetière chrétien et juif de la ville.

Tlemcen abritait  était à l’époque française et coloniale une importante communauté juive. La ville religieuse prospérait on lui avait même donné le nom de  la Medine d’Afrique du Nord

Tlemcen est restée longtemps une ville amarrée à l’Andalousie décrite et chantée par ses poètes. Les habitants des deux capitales avaient beaucoup d’affinités et partageaient les mêmes traditions dans l’habillement, l’art culinaire enfin, le parler avec ses inflexions particulières communes 32

Les poètes andalous, Ibn KhafadjaLissan Eddine Ibn el Khatib, le soufi Mahieddine Ibn Arabi de Murcie témoigneront chacun de sa beauté, la comparant souvent à Grenade. Tout comme les poètes, les princes zianides feront également des séjours fréquents en Andalousie. Honaïne le port de Tlemcen, était distant de Murcie de deux jours de bateau seulement, ce qui la rendait très proche par mer et plus que d’autres villes dans le Maghreb.  Cette proximité rendait plus ou moins facile les échanges entre Tlemcen et Grenade les deux capitales zianide et nasride au destin commun né, qui, rappelons-le, au même moment, sur les décombres de l’ancien empire almohade au xiiie siècle s’y sont taillés des royaumes. Le grand poète tlemcenien Ibn el Khamis (xiiiie siècle) passa plusieurs années de sa vie à Grenade où il mourut33 ;

 

Une famille comme les autres, qui était venue s’installer  en France après la guerre d’Algérie.

Le père avait été un citoyen français de la première heure. Il avait combattu ses frères aux côtés de l’armée française.

 

Mohamed >Merah était leur dernier fils , le plus jeune de cette union entre une fille de Tlemcen, amoureuse des belles lettres et ce militaire bellâtre et infidèle qui a disparu sans laisser de traces un matin de Mars

D’ailleurs, Mohamed avait récemment voulu intégrer l’armée française, comme son père. On n’avait pas voulu de lui.

Alors, sa colère, longtemps contenue dans son enfance avait éclaté. Froide, obstinée.

Son éducation s’était faite dans les écoles primaires où son nom incitait ses petits camarades à l’appeler « sale arabe ». Il avait courbé le dos. Obstiné, il s’était dit qu’un jour, il ferait de grandes choses comme ses ancêtres.

Ceux de Tlemcen étaient partis combattre et envahir Grenade. Ils avaient fondé un royaume florissant.

Puis, sous l’impulsion d’Isabelle la catholique et Ferdinand d’Aragon, il avait fallu revenir à Tlemcen, et ravaler les désirs de vengeance et de combat.

 

Je revois la petite fille dansant sur le trottoir en revenant de l’école. Ses longues tresses battant son dos sur le cartable à bandoulière, elle était heureuse. Elle ne savait pas.

Petit à petit, elle a compris que la famille n’était pas française, mais plutôt Italienne. D’ailleurs à la maison, sa grand-mère ne parlait pas français. Elle ne parlait même pas l’italien, mais un dialecte sicilien. Comment arriver à construire sa personnalité avec autant d’éléments disparates.

Les autres copines de classe étaient françaises, au moins elles portaient un nom français.

Des sarcasmes, elle en avait essuyé. Sales macaronis.

Ce n’est pas par la pensée que je peux comprendre le long cheminement de Mohamed Merah, mais avec mes émotions.

Quelles vexations quelles humiliations a-t-il subi pour en arriver à un acte aussi désespéré ?

Il faut avoir vécu dans sa propre famille la différence de langue, celle que l’on parle à l’école, dans laquelle on est éduqué, et celle que l’on parle à la maison, la langue de sa propre culture pour en saisir toute la violence.

 

Il faut avoir vécu le fossé qui sépare la culture française : « nos ancêtres les gaulois, notre roi Louis XIV «  et l’humiliation de ne pas pouvoir exprimer la fierté de ses propres ancêtres, pour comprendre le psychisme du jeune tueur.

 

Mohamed Merah était beau, grand, élégant. >Il sortait en boites de nuit régulièrement. J’imagine qu’il plaisait aux filles.

Petit à petit, s’est creusé en lui une tombe, celle de la fierté de ses ancêtres, de sa culture qu’il faut réprimer, cacher, pour s’intégrer, le maître mot du pays qui nous a adopté. Se monter à la hauteur, se montrer fier des valeurs de la république, alors que au fond de lui s’élevaient les désirs inassouvis de ses ancêtres : reprendre la terre, les villes, la gloire passée.

 

Difficile de continuer le dossier démarré avec les éléments que je possède.

Il faut aller plus loin, interroger sa mère, ses frères pour cerner mieux sa personnalité ;

 

Je reviens au cas de Malika et j’apprends qu’elle vient de faire une déclaration à la presse.

« Je n’étais pas au courant des agissement de mon fils »

Je la comprends cette mère de famille de 50 ans. J’imagine que son fils de 24 ans ne la tenait pas au courant de ses « exploits de malfrat ».

Une vidéo le montre souriant, essayer une voiture et en sortir en souriant de toutes ses dents. Vraiment, un visage au demeurant  sympathique.

Quelles peuvent être les relations d’un mère arabe de 50 ans et de son fils de 24 ans, français .

Je sais que les jeunes ignorent complètement leur ainés, cela, aussi à mes dépens. Car pour ma part, mon fils ne me tient pas au courant de » ses faits et gestes ; il part en voyage, je ne reçois aucuns messages, et me retrouve souvent  angoissée.

-       Que fait-il ?, est –ce qu’il va bien ?

J’aimerais tant être au courant de sa vie, comme je mettais au courant ma mère de mes projets, de mes axes de vie., de mes espoirs.

Les temps ont changé. Je me dis que nos enfants nous protégent quelque part en ne nous tenant pas au courant de leur vie, comme Mohamed a épargné sa mère.

Elle se sent coupable de ne pas avoir investigué. De ne pas s’être montrée plus curieuse quand il disparaissait pour quelques jours, quelques mois. Le pouvait-elle vraiment avec un fils tel que lui.

Le puis-je moi-même me montrer plus curieuse de la vie de mon fils ?

Je crois que non. On ne peut pas aller plus avant, entrer dans sa tête. Si je lui pose des questions. Il ne me répond pas ou me dit :

-       « ce ne sont pas tes affaires ».

J’imagine que c’est ce que le jeune homme a du répondre à sa mère.

 

Cependant, comment s’est-il laissé embobiner par les Salafistes musulmans ? Comment s’est-il retrouvé dans les jeunes recrues d’Al-Qaïda au Pakistan et en Afghanistan ?

L’avocat va m’apporter des renseignements concrets :

-       M. Merah, fréquentait la mosquée …… de Toulouse. Son frère Abdelkader et son ami Karim prêchaient tous les  vendredi. Ils avaient éliminé le moufti  par la violence.

Ils recrutaient un jeune bien éduqué, intelligent qui devait servir de « rabatteur »

Ce rabatteur, aussi jeune que ceux qu’il avait à endoctriner ne se retrouvait jamais dans les pays instructeurs

 

 

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                                 Suite à l'atelier d'écriture du 22 février (6ème séance) :

Puis, tout en continuant à travailler sur la relation entre le réel et le moi (l’intime, thème de l’année), nous chercherons des moyens de transposer, transcender une brève. Nous choisirons chacun une brève du type dépêche (ou tweet, ou information courte tirée de différents médias) traitant plutôt d’un sujet social (ex. fermeture d’usine…) qui nous interpelle. Pour ce travail, nous pourrons par exemple du côté de François BON (Daewoo), …
Exercice d’écriture : A partir d'une brève, écrire un texte qui intègre à la fois des éléments d’un récit réaliste et d’un récit autobiographique qui montre comment le narrateur est affecté par les faits.
Situation de départ : une brève (dépêche, tweet…)
Type de discours : alternance de réalisme (détails de lieu, de temps, faits, portraits de personnages…) et d’autobiographie (perception, affects…)
Genre : au choix : nouvelle ou journal