Il en est de beaux, il en est de joyeux, il en est de tristes. Il en existe aussi de vrais.

Celui que vous allez entendre ce soir est vrai.

Un vrai conte de Noël.

 

Et il est vrai tout simplement parce que c'est moi qui l'ai inventé, et que je vais maintenant vous le raconter.

 

Mais, tout d'abord, que faut-il pour faire un vrai conte de Noël ?

Il faut :

- De la musique.

- Des enfants.

- De la neige.

- Un père Noël.

 

- J'ai dit un Père Noël !

 

- Me voilàààà !

 

Il fait un peu Gros Nounours, celui-là, mais on va faire avec.

 

Quoi d'autre ?

 

Ah, oui ! Une cheminée !

 

Éteinte, la cheminée ! Sinon, le Père Noël ne pourra pas descendre !

 

- Des cadeaux ! Les cadeaux, bien sûr, vous savez tous ce que c'est : ce sont des paquets de toutes les formes, parfois légers, parfois pesants, entourés de papier craquant de toutes les couleurs, et remplis de choses qui se mangent, ou de choses qui ne se mangent pas. Quand ça ne se mange pas, on trouve de tout, dans ces cadeaux.

 

Quand ça se mange aussi.

 

Mais quand ça ne se mange pas, on trouve dans ces cadeaux des jouets pour les enfants, ou six mouchoirs pour les parents.

 

Et l’on y trouve bien d'autres choses, dans ces cadeaux entourés d'un ruban torsadé, qui nous semble bien souvent beaucoup plus solide que l'on ne le croyait, tellement l'impatience nous colle aux doigts !

 

Le carnet de commandes du Père Noël est plein de demandes bizarres, à faire rêver un chiffonnier ou un poète :

 

- Une valise pleine d'accents graves et aigus, pour un écrivain qui en manque.

- Des regards pleins d'amour, pour ceux qui croient que personne ne leur prête attention.

- Des rêves de bonheur, pour ceux qui sont trop malheureux dans la réalité.

- Des queues, pour les pianos qui veulent monter en grade.

- Des ratons laveurs, pour les poètes en train de faire leur inventaire.

- Des vagues caressantes, pour les rochers qui s'ennuient.

- Des pendules sur lesquelles une heure dure une journée, pour les amoureux qui trouvent que le temps passe trop vite.

 

Et ce n'est pas fini.

 

Il y a des jours ou le Père Noël en a plein la hotte, car son téléphone n'arrête pas de sonner.

Vous avez tous, déjà, téléphoné au moins une fois au Père Noël. Vous savez comment ça se passe :

 

« Vous avez demandé le Père Noël ; ne quittez pas, un Père Noël va vous répondre... Vous avez demandé le Père Noël, ne quittez pas ; un Père Noël va vous répondre... Vous avez demandé le Père Noël ; ne quittez pas, un Père Noël va vous répondre... Etc. »

 

Cela n'a pas changé, son numéro n'a pas changé ; mais je vous rappelle que maintenant, il faut faire le 01 pour obtenir son numéro, car le Père Noël habite la région parisienne.

 

Et pourquoi le Père Noël habite-t-il la région parisienne ?

 

Eh bien, je ne sais pas ! C'est sa vie privée. Mais je me suis laissé dire qu'il s'agissait d'une histoire de famille ; la Mère Noël aurait en effet des attaches dans la capitale, et se refuserait à partir en province. Mais je n'affirme rien.

Et, de toute façon, je ne devrais pas dire le Père Noël ; il n'y a pas qu'un Père Noël, il y en a des tas, des centaines, sans doute des milliers ; on dit « le Père Noël », comme on dit « le facteur ». Quand on dit « le facteur », on ne veut pas dire par là qu'il n'y a qu'un seul facteur pour tout le monde ; on dit « le facteur », parce que c'est le facteur que l'on rencontre habituellement.

Eh bien là, c'est la même chose ; quand on dit « le Père Noël », on parle du Père Noël auquel on a affaire habituellement.

 

Pas tous les jours, bien sûr, mais une fois par an.

 

On pourrait parler d'une vaste organisation de Pères Noëls, avec un Père-Noël-Chef, et tout un tas d'autres Pères-Noëls-Sous-Chefs.

 

Pendant quelques décades, et jusqu'à il y a quelques années, le Père Noël avait bien tenté de déléguer ses fonctions aux parents, car il était alors tout seul, et il devait s'occuper en une seule nuit des cadeaux de tous les enfants du monde. C'était un travail de Titan, et le pauvre mettait 364 jours à s'en remettre, excepté les années bissex­tiles, lors desquelles il disposait de 365 jours.

 

Mais il était revenu sur sa décision, car il avait finalement estimé que le merveilleux ne se partage pas, non plus que les souvenirs d'enfance, tout au moins avec des gens qui ne sont pas des Pères Noëls potentiels.

 

Mais comment faire ?

 

Il avait longtemps cherché, puis l'idée d'engager du personnel lui était un beau jour passée par la tête.

 

Il était tout heureux d'avoir eu cette idée-là et se trouvait tout bête de ne pas l'avoir trouvé plus tôt.

 

Aussitôt dit, aussitôt fait, et le Père Noël fit passer une annon­ce dans les journaux. Il ne reçut pas autant de réponses qu'il l'espérait, car bien qu'il y eût beaucoup de chômage, il s'était avéré ardu de recruter des Pères Noëls, parce qu'il s'agit d'un travail extrêmement saisonnier, et donc pas très rentable sur l'année. Il en reçut toutes fois suffisamment pour pouvoir constituer une équipe, une solide équipe de Pères Noëls.

 

Donc, ce jour-là...

 

Ce jour-là, donc, le Père Noël - ou un Père Noël, si vous préférez - se leva de bon matin en se disant dedans sa tête :

 

- Bon, c'est pas tout ça, mais si je veux être fin prêt demain soir, il faut que je m'y mette ! Quand faut y aller, faut y aller !

 

Il l'avait pensé tellement fort que la Mère Noël, qui était alors en train d'écosser des petits pois, (et je me demande bien où elle les avait trouvés en cette saison), sursauta et lui dit :

 

- Mais... Qu'est-ce que tu fais donc demain soir ?

- Mère Noël, je me permets de te rappeler qu'en tant que Père Noël, j'ai la noble charge de faire naître des sourires sur les visages des enfants en leur apportant des cadeaux durant la nuit de la nativité ; que c'est cela qui me fait vivre, et qui te fait vivre, et qui nous nourrît, même que je te vois en train d'éplucher des petits pois, et que je me demande bien comment tu as fait pour en trouver en cette saison.

La nuit de Noël, c'est demain soir, et il faut que j'aille prendre les commandes de tous les petits chérubins !

 

La Mère Noël le regardait d'un œil rond.

 

Rond comme ses petits pois, dont on ne saura jamais l'origine.

 

- Mais enfin, Père Noël, la nuit de Noël, c'est ce soir !

- Comment ça, ce soir ?

- Oui, ce soir !

- Mais enfin, nous sommes bien le 23 décembre ?

- Mais non, nous sommes le 24 !

- Ce n'est pas possible, j'ai compté les jours depuis Noël dernier : 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31 décembre : sept jours ; janvier : Trente et Un jours ; février : vingt-neuf jours ;

- Comment ça, vingt-neuf jours ? Février n'avait que vingt-huit jours, cette année ; 2011 n'est pas une année bissextile !

- 2011 n'est pas une année bissextile ? 2011 n'est pas une année bissextile ! Oh, Sainte-Mère de Dieu !!!

 

Le Père Noël sauta dans sa barbe, enfila ses bottes, ou le contraire, il ne savait plus, agrippa sa houppelande, sa hotte et tout ce dont il avait besoin, puis reposa sa hotte, retira sa houppelande, retira ses bottes et mit son pantalon qu'il avait oublié, remit ses bottes, sa houppelande, et partit si vite qu'il ne laissa derrière lui qu'une fumée blanche, comme dans une bande dessinée.

 

Quant à la Mère Noël, elle arrêta d'éplucher ses petits pois, car ce n'était vraiment pas la saison.

 

Lorsque le Père Noël arriva à l'endroit ou se trouvait tous les autres Pères Noëls, il ne se sentait pas fier.

Il ne se sentait pas fier, et il était triste, car il avait raté la grande fête des Pères Noëls.

Il faut savoir que chaque année, la veille de Noël, les Pères Noëls font une grande fête, où il n'y a que des Pères Noëls. Et c'est alors qu'ils se font des cadeaux les uns aux autres.

S'ils ne se faisaient pas mutuellement des cadeaux, qui donc leur en offrirait ? C'est le Noël des Pères Noëls.

 

Notre Père Noël avait raté cela, et il était de plus très en retard.

 

Il fut en retard toute la journée, donc en retard le soir, et il faut bien dire que cela le perturba un peu.

 

C'est ainsi qu'il oublia la petite marchande d'allumettes du célèbre conte d'Andersen, ce qui fait que la pauvrette n'eut même plus d'allumettes pour se réchauffer.

Aussi ne resta-t-elle point dans son coin à gratter ses petites baguettes soufrées jusqu'au matin, alors que personne ne faisait attention à elle.

Elle se mit à baguenauder dans les rues, et un monsieur très gentil la rencontra, lui offrit un vison et l'emmena avec lui.

Comme quoi, il y avait du bon dans la distraction du Père Noël.

 

À part cette petite erreur, il fit son travail de Père Noël très consciencieusement ; Rires de joie et sourires de bonheur naissaient sur son passage comme se lèvent les barrières après le passage du Trans-Europe-Express.

Enfin, le Père Noël, notre Père Noël, arriva dans une petite maison. C'était sa dernière livraison, il ne lui restait plus qu'un seul cadeau dans sa hotte.

Il était satisfait du travail accompli, un peu triste d'avoir raté la fête des Pères Noëls, mais satisfait du travail accompli.

Il avait juste une petite faim, après cette longue soirée de travail, et cette petite faim se traduisait par des visions de petits pois fraîchement écossés.

 

Allez donc savoir pourquoi !

 

Dans la petite maison, notre Père Noël se trouve face à face avec une petite fille blonde, tenant par le cou un énorme chien blanc, et celui-ci le regarde avec un petit air penché.

Cela ne fait pas peur à notre Père Noël, car il y a bien longtemps que les chiens, petits ou grands, blancs ou noirs, ne mordent plus les Pères Noëls.

Et la petite fille, qui s'appelle Marina, (Le Père Noël connaît les noms et les prénoms de tous les enfants), elle va lui demander quelque chose qui va bien l'embarrasser !

 

En effet, le Père Noël a plutôt pour habitude de faire des cadeaux standard, des cadeaux traditionnels : un jouet, une poupée, ou six mouchoirs.

Oh, il arrive bien parfois une demande un peu originale, mais le Père Noël s'en sort généralement très bien. Après tout, il est là pour ça.

 

Mais la demande de la petite Marina est tellement inhabituelle qu'il ne sait faire autre chose que se gratter la tête, après avoir retiré son bonnet.

La petite est là, avec son grand chien blanc, et le Père Noël voit bien qu'elle va se mettre à pleurer.

Et s'il est bien une chose que ne supporte pas notre Père Noël, c'est de voir une petite fille blonde pleurer la nuit de Noël, que cette petite fille blonde soit ou non accompagnée par un grand chien blanc.

Et c'est le grand chien blanc qui pose un problème au Père Noël ; car la petite Marina voudrait qu'il soit noir, tel qu'il était lorsqu'il était jeune.

Ce n'est pas qu'elle ne l'aime plus parce qu'il est vieux, mais il est tellement blanc qu'elle a peur de le perdre dans la neige.

 

Et tout à coup, le Père Noël a une idée ; il dit à Marina :

 

- Ne bouge pas, je reviens tout de suite !

 

Et voilà notre Père Noël qui se met à chercher partout un autre Père Noël, jusqu'au moment où il trouve enfin celui qui lui convient : un Père Noël de fière allure, un Père Noël avec une splendide barbe noire, un jeune Père Noël !

Des jeunes Pères Noëls, on en voit rarement, mais il y en a ; il y a des jeunes Pères Noël à barbe noire, comme il y a de vieux chiens à poils blancs.

Je sais bien que certains vont dire que ce n'est pas vrai, que les vieux chiens n'ont pas forcément le poil blanc ; eh bien pourtant, c'est comme ça !

C'est comme pour les ours bruns et les ours blancs. Alphonse Allais en parlait d'ailleurs au début du XXe siècle : quand un ours brun voit apparaître quelques poils blancs dans sa toison, il se dit :

 

- Oh, oh, il est temps que je prenne ma retraite et que j'aille me mettre au vert.

 

Et il prend alors la route et se dirige vers le grand Nord. C'est pour cela que l'on ne voit jamais d'ours blancs en France, ils sont tous partis sur la banquise.

 

Toujours est-il que notre Père Noël explique son problème au jeune Père Noël, et que celui-ci, avec sa grande barbe noire, va rendre visite à la petite Marina avec son grand chien blanc.

 

Et là, tout doucement, pour ne pas lui faire de mal, il va lui enlever ses poils blancs ; (pas à Marina, au chien !) Et lui, il va se raser la barbe, et il va mettre les poils de sa barbe noire à la place des poils du grand chien blanc.

Et les poils du grand chien blanc, à la place des poils de sa barbe noire.

 

Cela paraît difficile, mais c'est possible, en visant bien.

 

Et voilà comment Marina eut le plus beau Noël de sa vie.

 

Et c'est pour ça que presque tous les Pères Noëls ont la barbe blanche.

 

Parce que les Pères Noëls que l’on voit, ce sont tous des Pères Noëls qui, un jour, ont rencontré une petite fille blonde avec un grand chien blanc…

Maurice PIAU

_______________________________

 

 

J’ai écrit ce conte en 84 ou 85 – ce qui explique quelque peu son titre… - pour Radio Tour Eiffel. Je suis absolument incapable de me souvenir si je l’ai déjà envoyé – à vous tous, ô mes bien aimé(e)s correspondant(e)s, l’une de ces dernières années.

Si c’est le cas, j’y ajoute comme cadeaux mes plus plates excuses… (c’est dans mes moyens).