Si en plus il faut le faire en s’arrêtant tous les cinq minutes sur l’autoroute pour repartir en roulant à dix à l’heure, il n’y a rien de plus crispant.

Enfin un policier de la route est là planté au milieu de l’asphalte sa moto derrière lui.

-         Monsieur l’agent s’il vous plait ?

-         Un camion en feu à quelques kilomètres. Circulez, pressez le mouvement, suivez les autres sortez de l’autoroute, allez, allez !

 

C’est ainsi que l’on se retrouve en famille à quatre heures de l’après midi en rase campagne sans carte ni fléchage de déviation, foutu camion, brûler un jour de retour de vacances, ça ne devrait pas être permis, je vous le jure.

-  Tiens, un homme sur le bas côté, demande-lui la route à suivre pour remonter sur Tours ?

-         Monsieur s’il vous plait, la route pour Tours ?

-         Suivez le mouvement tout le monde va par là.

-         Merci. Tu vois je te l’avais bien dit…

 

A un embranchement, trouvant que cela bouchonnait trop, ils bifurquèrent espérant trouver leur salut en prenant les raccourcis. Il est vrai que là c’était plus calme l’environnement plus agréable, quant à l’efficacité, allez savoir...

Lui marmonnait dans ses dents, il savait bien que c’était par là qu’il avait habité avec ses parents quand il était enfant…Et.

-         Qu’est ce qu’il y avait de marqué sur le panneau ?

-         La Chapelle saint…

 

 Il n’écoute plus gorge nouée, son esprit s’est remis en marche, comment voulez-vous qu’il leur raconte l’épisode de sa vie qui a marqué ces années là. Pourtant par ici le temps a fait le ménage, la vieille maison où ils habitaient n’est apparemment plus qu’un tas de pierres, le village qu’il imaginait si grand, n’est en fait qu’un hameau, et le café, lieu de sa terrible aventure, ne ressemble plus à un café, son enseigne pend lamentablement et ses portes et ses fenêtres sont barrées par de grandes planches qu’on y a clouées. Ca n’empêche rien, tout à coup la vague déferle emportant les années.

  

   Il n’aimait rien tant que d’aller faire des courses pour son père, et en particulier quand il lui fallait aller au café tabac chercher un paquet de gris.

   Beaucoup de lumière, de la musique que l’on faisait jaillir au choix d’un jute box, en y introduisant une pièce après avoir choisi sa chanson sur un clavier.

   Contrairement à la maison, ici les hommes étaient détendus, ils riaient se tapaient dans le dos et se racontaient tout ce qu’ils ne pouvaient pas raconter ailleurs. Tout y passait, les femmes, la leur et les autres, le patron ce con, la politique et les politiciens ces chancres de la société, les collègues, le travail, quand on en avait un, les affres du chômage quand on n’en avait pas, et on arrivait au sexe pas le sien s’il vous plaît. Ils jouaient au jeu des : « Tu sais qui couche avec qui, et de rire à gorge déployée en se tapant sur les cuisses ».

Au moins quand ils sortaient de là, un peu moins riches et écarlates, ils étaient purgés et pouvaient regagner leur domicile en étant moins agressifs. Certains diront que ceux qui rentraient ivres… Soit mais qu’est ce que ça aurait été s’ils n’avaient pas subi cette purge ?

 

Lui il ne pouvait qu’écouter et regarder, complétant son éducation dans des domaines dont on ne lui parlait jamais à la maison.

C’était rageant, il rêvait de jouer au flipper, machine mythique qu’il fallait secouer juste ce qu’il fallait pour éviter le tilt ! Elle clignotait, bringuebalait, émettait des sons bizarres et quelques fois quand le joueur était adroit, elle émettait un clac qui annonçait une partie gratuite. Il ne fallait en aucun cas toucher l’appareil faute de gêner le compétiteur qui n’hésitait alors pas à vous allonger un bon coup de savate.

 

Certains jours, il s’installait en bout du Baby foot pour regarder les hommes s’affronter en poussant des cris épouvantables qui finissaient par amener le patron à leur demander de baisser d’un ton, mais le plus souvent en vain. Un œil sur le Baby, car dans ses moments exceptionnels, il poussait la bille qui indiquait le nombre de buts marqués, l’oreille tournée vers le bar où se racontaient les nouvelles les plus intéressantes dont il ne voulait pas perdre une miette, c’était un difficile exercice de dédoublement de la personnalité.

 

Or ce matin là, l’ambiance était électrique quand il était entré dans la place, il était question d’une augmentation de la taxe sur les tabacs et les boissons alcoolisées, ce qui, il faut bien en convenir était une information de nature à gâcher la journée du patron qui brandissait les Nouvelles du centre, en écumant de rage.

Par deux fois en passant prés de l’enfant, il l’avait invectivé, lui reprochant d’être là dans ses jambes, alors qu’il ne consommait même pas.

 

A son troisième passage, il lui intima l’ordre de déguerpir, ajoutant d’un ton méprisant « Espèce de Petit Gueux » se laissant aller à son penchant naturel de personnage rugueux.

 

Le choc fut terrible, il ne s’attendait pas à une injonction aussi infamante, de plus un grand silence s’était fait dans la salle, chacun voulant voir qui était le petit gueux en question, il était devenu le point de mire rougissant de toute l’assistance.

Cela durait et sous l’opprobre des regards de tous les clients, il se trouva contraint de reculer pas à pas vers la porte, rouge comme la crête d’un coq en colère…

 

Il aurait voulu leur cracher son mépris au visage, mais sa bouche était si sèche et si sableuse, sans la moindre once de liquide qu’il ne put rien faire, quant aux injures, il n’aurait jamais osé en prononcer une, par crainte des représailles, tant de la part du patron du café que de son père en retour, et la baffe aurait renforcé l’humiliation.

 

Il ne voulait pas pleurer, les imaginant riants de sa déconvenue, se moquant de lui. Le patron grand rouquin gueulard pérorant derrière son bar et prenant à témoins ses clients avinés, comme il savait si bien le faire pour se faire plébisciter.

 

Il se sentait blessé à cœur, humilié comme jamais il ne l’avait été dans sa vie d’enfant. Ses jambes tremblaient et il donnait des coups de pieds rageurs dans chaque arbre ou poteau qu’il rencontra sur son chemin. De plus, il n’avait personne à qui se confier, ni amie, ni grand-mère…Quant à ses parents, n’en parlons pas !

 

Il se disait qu’il ne pourrait en rester là, où qu’il lui faudrait mourir de honte. Dans cette affaire toute la faute en revenait à son père, et à l’autre grand singe comme il qualifiait le patron du café.

Il ruminait sa vengeance, qui au fil des pas, prit progressivement des proportions énormes à hauteur du préjudice subit.

Tant de malheurs par la faute d’un père qui lui faisait faire ses courses sans jamais lui laisser la moindre petite pièce, d’ailleurs dans sa tête il était passé de courses à corvées comme au temps de la féodalité eh bien oui, il fallait bien appeler un chat un chat !

Et l’autre le singe, est-ce qu’il le volait en quoi que ce soit à rester là à regarder les autres s’amuser et à écouter leurs bravades.

 

Une idée avait germé à petit feu dans sa tête d’enfant, pour se venger à part égale de ces deux êtres maléfiques qui venaient de lui voler une partie de son ciel et de le plonger dans le désespoir.

 

En rentrant à la maison il jeta d’un air chafouin le paquet de tabac gris sur la table et fit mine de quitter la pièce en claquant la porte.

Son père le rattrapa par le col de son blouson :

 

-         Est-ce ainsi que l’on se comporte quand on est un enfant bien élevé ?

-         J’en ai rien à foutre d’être bien élevé, pour ce que vous êtes bien élevés vous les adultes !

 

C’était parti il ne fallait pas mollir, même si au passage il y avait risque de se faire claquer le museau.

 

-         Mais qu’est ce que c’est que ce cinéma, quel foutu caractère tu me fais, dit son père, prenant à témoin la mère qui venait d’entrer.

-         Oui dit-elle pourquoi te comportes-tu ainsi ?

-         Vous croyez que c’est facile pour moi de me faire insulter chaque fois que je dois aller faire une course chez le singe du tabac ?

 

Il y eut un blanc dans la conversation, puis le père se reprit :

 

-         Comment ça te faire insulter, c’est quoi encore que cette histoire que tu nous inventes, il ne manquerait plus que tu deviennes menteur ?

-         C’est pas une histoire, chaque fois que j’entre dans son café le patron me dit, ta crevure de père, (Il avait entendu cette expression dans la salle enfumée et il imaginait qu’elle ferait l’effet d’un bombe) il est trop fainéant pour se déplacer lui-même ou il a peur que je l’empoisonne avec une gentiane ou un pastis, et tout le monde de rire et de s’esclaffer, moi ca m’a fait mourir de honte !

 

Son père rugit aussi fort que là bas, le singe était capable de le faire dans ses grands jours, le résultat allait dépasser toutes les espérances.

 

-         Quoi, il dit ça ? Eh bien, ca ne va pas se passer comme ca, son penchant naturel de chaud bouillant reprenant le dessus.

-         Tiens-toi tranquille lui dit son épouse ne vas pas en faire toute une histoire !

-         Je voudrai bien voir ca moi, de rester là sans réagir, alors que l’on m’insulte en insultant mon fils

 

La machine était lancée, il allait falloir assumer.

 

Le Patron a eu l’épaule démise et un œil au beurre noir, et le père a passé deux nuits au commissariat les menottes aux poignets crachant ses dents cassées.

 

Je voulais me venger, se rappelle l’homme, tout en se remémorant ce souvenir inénarrable de sa jeunesse, l’âme encore toute contrite. Il avait réussi bien au-delà de toutes ses espérances, mais devant les larmes de sa mère, il avait pensé je vous en supplie, non pas ca, puis en se cachant les yeux « Qui croirait que la faute d’un enfant pût avoir des suites aussi cruelles »

 

-         Tu es bien silencieux tout à coup, tu ne m’as pas raconté que tu habitais cette région quand tu étais enfant ?

-         Oui, c’est vrai, mais je ne sais plus trop, je n’étais alors qu’un enfant !

 

 

 

 

 

 

                                                                                                                  DG Le Thivet Avanton novembre 2011

 

3ème séance - Atelier d’écriture 2011-2012

Mercredi 9 novembre

 

Thème des dix mots édition 2011-2012 : Dis-moi dix mots qui te racontent…

Une thématique sous le signe de l’intime (en hommage à Rousseau)

Les dix mots :

Ame – Autrement – Caractère – Chez – Confier – Histoire – Naturel – Penchant – Songe – Transports

 

Exercice d’écriture : Un souvenir coupable. Une lecture d’un extrait de Rousseau et une phrase comme déclencheur : La scène du ruban. « Qui croirait que la faute d’un enfant pût avoir des suites aussi cruelles ?» Phrase à insérer dans son texte.

 

Situation : le récit d’un souvenir d’enfance et de la culpabilité qu’il a entrainée.

 

Destinataire(s) :

-          à choisir en fonction de la situation retenue

 

Genre au choix :

-          nouvelle qui inclut le souvenir

-          lettre à une personne impliquée dans le souvenir

                                                  

 

Mots à employer :

Au moins : caractère, âme, confier, naturel, penchant…

 

Le dépliant :

http://www.dismoidixmots.culture.fr/wp-content/uploads/2010/11/DEPLIANT_DISMOIDIXMOTS_courriel.pdf

 

Le livret :

http://www.dismoidixmots.culture.fr/wp-content/uploads/2010/11/LIVRET-DMDM_COURRIEL_BD.pdf

 

Proposition de dates pour les prochaines séances :

Mercredi 12 octobre

Mercredi 9 novembre

Mercredi 21 décembre ?

Mercredi 11 janvier…..