Je dois vous avouer que j’y étais venu avec réticence et arrière pensée, réticence car venir à la fac un dimanche ne fait pas partie de mes habitudes, arrière pensée, car votre séminaire permettant d’obtenir une unité de valeur en un weekend n’était pas sans intérêts. J’avais entendu dire que nous serions deux-cent-cinquante, ce qui me faisait craindre le pire, et puis reconnaissez que venir travailler des heures durant dans des bâtiments sans âme et crasseux, n’était pas une accroche de nature à provoquer des transports.
Jusqu’à présent, je n’avais jamais été votre étudiant, je peux même vous confier que je ne vous connaissais pas du tout.
En dépit de ce préambule peu engageant, je me dois de vous dire qu’il s’est produit un véritable renversement, et qu’à chacun de vos exercices : « J’ai connu de vrais moments de bonheur. »
Vous avez une façon d’aborder les problématiques, qui de prime abord peut paraitre simple pour ne pas dire simpliste et qui au résultat s’avère diablement efficace. Vous le faites avec un naturel époustouflant, que ce soit le ton de votre voix, votre façon de vous mouvoir, d’interpeler tel ou tel participant de l’assemblée, de toucher physiquement les personnes quand cela vous paraît nécessaire, sont totalement hors de ce que l’on peut connaître, et que l’on a l’habitude de rencontrer dans les cours à l’université.
Il y a eu des séquences dans vos interventions pendant lesquelles on se serait cru la proie d’un songe, en particulier lorsqu’il a fallu accepter rapidement et sans barguigner de se laisser conduire en aveugle par une personne inconnue dans les mains de laquelle il fallait complètement s’abandonner. Le groupe s’est un peu agité, la nervosité a fait monter les voix, il y a eu des fous rires et petits cris, puis tout doucement paix et silence se sont établis. Juste la sensation de la main de l’autre à laquelle il faut bien que l’on s’abandonne, une fois sortie du bâtiment, l’air sur le visage, les odeurs de sous-bois, passées les trois premières minutes où l’on se sentait raide et craintif, ensuite on se serait laissé emmener au bout du monde.
-         Croyez-vous si vous me le permettez, que ce soit la façon dont nous abordons le monde qui fait que nous le trouvions aussi compliqué ?
-         Pensez-vous que votre méthode soit compatible avec toutes les situations, à moins que vous n’ayez pas particulièrement de méthode, mais que ce soit votre charisme qui emporte tout ?
Je vous entends déjà me répondre comme au cours de ces journées, que je repars vers mes vieux démons… Après le bonheur de vous avoir rencontré, je retrouve le doute de mes habitudes et me sens bien loin de votre pratique.

Bien à vous !
                                          

                                                                                                               HENRI
 

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Il avait attendu quelques jours avant de se décider à écrire, n’étant pas certain que cela se fasse. Puis après encore quelques hésitations il s’était décidé à franchir le pas.
Il faut lui excuser l’emploi de cette expression, mais jamais il n’avait rencontré quelqu’un, qui en un weekend de travail, fût capable de lui ébouriffer la vie à ce point en lui racontant des histoires !
Pourtant, ce petit bonhomme d’un mètre soixante avait su le faire avec une maestria que l’on rencontrait rarement sur les campus.
UV optionnelle, deux cents personnes dans un baraquement pas très reluisant, le tout dans un brouhaha à faire tomber les murs, (au moins à Jéricho, ils avaient des trompettes !). C’est peu dire qu’en ce temps-là, la vie de certaines facultés était particulièrement agitée.
Thème des journées « La Relation d’Aide » Un thème pareil, un jour d’hiver gris et pluvieux, il fallait avoir le moral.
Il n’y avait pas eu un mot de prononcé, mais petit à petit le silence s’était fait…
Tout à coup tous les regards avaient convergé vers l’un des angles de la pièce, là où au milieu de bien d’autres un homme était assis.
Si vous avez déjà joué avec un aimant et de la limaille de fer, vous pouvez imaginer ce qui était en train de se produire, comme capté par sa posture, tous les regards de l’assistance s’étaient progressivement scotchés sur lui.
Lui, il était ailleurs, tout à sa concentration.
Cela a duré deux jours, pas la posture, le travail, mais au moment de partir, tous les participants seraient bien restés plus longtemps à l’écouter parler de sa voix calme et posée, un petit sourire au coin de la lèvre.
C’est pourquoi ce matin après bien des tergiversations, l’envie a été la plus forte de lui écrire.

 

Cher Henri

Je me dois de vous confier que je n’ai pas un penchant naturel à échanger des courriers avec mes étudiants. Non que ça me paraisse inintéressant, mais très peu d’entre vous s’adonnent à cette pratique. Vous constatez cependant que si l’on m’écrit, je réponds.

-         Croyez-vous qu’il serait nécessaire de monter des journées sur ce thème, si tout le monde s’en sortait bien dans la vie et pouvait être heureux sans problème ? 

1.                  D’une part, ce serait étonnant que ca puisse être possible pour tous !
2.                  D’autre part ce serait vite lassant, la vie étant pleine d’imprévus, il faut apprendre à se laisser porter et à s’adapter, joies et bonheurs, mais aussi avancées et reculs, peines et soucis c’est dans la gestion de toutes ces approches que l’on se forge un caractère et que l’on donne une ossature à sa vie.

Vous me dites que vous avez connu de vrais instants de bonheur à m’entendre et à participer à ma session, c’est bien, si j’étais un intervenant sans scrupules, j’en resterais là me contentant d’être flatté. Je pense cependant que ce n’est pas ce que vous attendez de moi, alors allons voir si chez vous il est possible de vous pousser plus avant dans vos retranchements et dans vos résistances.
Vous me parlez de Vrais moments de bonheur soit, j’ai envie de vous dire : «Un peu léger tout de même », il va falloir m’approfondir ce concept. Si vous en restiez là, à cette simple énonciation, cela resterait un concept mou, sans contenu et sans envergure.
Alors à vous de vous mettre à la tâche !
Si vous m’avez écrit, c’est déjà un premier pas, c’est que vous avez intégré ce que sont les fondamentaux de la relation d’aide.

Amicalement. A bientôt de vous lire.
 

                                                                              RH…

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Trois semaines déjà et toujours rien, il ne m’aura pas pris au sérieux. En en parlant avec Valentine que je côtoie en UV de statistiques, celle-ci m’a dit de ne pas m’alarmer, qu’il croulait sous le boulot et qu’il réservait son temps libre à ses troisièmes cycles…
Une enveloppe dans la boite, ouah, il m’a répondu ?
C’est maintenant que je commence à être dans mes petits souliers. Une première lecture en diagonale et là surprise, il a répondu c’est très bien, mais si je comprends son propos, il voudrait que je bosse ! C’est que je n’ai pas que cela à faire, enfin on verra bien.

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Trois semaines plus tard !

Cher monsieur Holberg
 

J’ai été étonné et agréablement surpris que vous preniez le temps de me répondre.      Je vous avais envoyé cette lettre un peu comme on jette une bouteille à la mer, c'est-à-dire sans trop y croire vraiment. Merci tout de même de votre démarche généreuse. 
Vous me trouvez aujourd’hui un peu désemparé et déboussolé par votre remarque à propos du « bonheur ». Au départ j’étais craintif, mais tranquille dans la vie que je m’étais organisée, après avoir lu votre courrier, je me retrouve en questionnement. Lors de notre rencontre au stage, j’étais venu en consommateur de savoir ce qui m’allait très bien, et j’ai eu le sentiment d’y trouver mon compte. Dans votre lettre, vous me demandez de construire ma représentation du bonheur et de vous l’expliciter...
C’est que le travail à la Fac est très lourd et qu’avec le job d’appoint que j’ai dû prendre pour subvenir à mes besoins, je n’ai pas une minute à moi…
Ce que vous me demandez de produire semble dépasser mes capacités, je vais voir ce que je peux faire.

Recevez monsieur mes…

                                                                                                         HENRI

 
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 Mon cher Henri

 J’ai cru percevoir un certain désarroi dans vos derniers propos, je me dois de vous rassurer, c’est si vous m’aviez répondu le contraire que j’aurais été inquiet.
C’est de la vie dont nous sommes entrain de parler et de la vôtre en particulier, à l’expérience, pensez-vous que ce soit une chose simple ?
Ok, je vous vois comme si vous étiez en face de moi, vous opinez du bonnet en plissant le nez, et je crois même vous entendre dire : « Le vieux con, c’est facile pour lui de me dire ca ». Pas vrai ?
Bien à vous…
PS : Etes vous heureux dans votre vie ? Si oui, c’est déjà un bon postulat de départ
 

                                                            RH…

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Cher monsieur Holberg
 

Je crois que je commence à comprendre sur quel chemin vous voulez m’emmener.
Au départ j’avais cru que vous nous proposiez des pistes originales pour nous aider à comprendre nos cheminements personnels, on choisit l’une des voies que vous nous proposez et il n’y a plus qu’à se laisser porter, une sorte d’évangile laïque, enfin c’est une image.
J’ai mis noir sur blanc tous les concepts que vous nous aviez énoncés au cours de ces heures passées ensemble, ça avait quelque chose de rassurant, enfin tant que l’on s’en tient à la fonction d’auditeur. Si l’on déplace le curseur et que l’on se positionne en fonction d’acteur, c’est un véritable bouleversement, au bout du compte, l’important étant de faire ses choix et de les agir.  Pour nous aider à comprendre ce passage vous nous avez expliqué la notion du lâcher prise, votre façon de l’énoncer en nous présentant la situation sous forme de l’exercice de deux trapézistes nous a bien fait rire, mais il est évident que si l’un des deux ne lâche pas son trapèze pour tendre la main à l’autre, ils ne se rencontreront jamais. Ils ne tomberont peut-être pas, assurant leurs positions, mais le couple sera un échec. Il y a aussi le risque que l’un des deux se lance, lâche prise, que l’autre ne bouge pas pour l’attraper et c’est la chute.
En fait je voulais vous dire que c’est la piste que j’ai décidé de suivre pour essayer de comprendre ce que représente pour moi le bonheur, qu’est ce que j’ai peur de lâcher et qu’est-ce que je crains de trouver.
Le bonheur, serait d’accepter d’être en mouvement, d’aller vers l’autre, vers la vie en lâchant prise de ce qui à terme peut apparaître comme de fausses assurances, de vivre en acceptant qu’il y ait prises de risques !

 PS : je reste impatient de vous lire.
 

                                                                                                   HENRI
 

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Henri 

Ne vous engagez pas trop vite sur une seule piste, êtes vous si certain que c’est cette voie qui à elle seule sera de nature à vous aider à comprendre le bonheur.
Si j’ai énoncé un certain nombre d’idées au cours de ces journées, ce n’est aucunement pour poser un champ des opérations, cadré et figé comme vous semblez l’avoir perçu.
Au contraire le monde et les perceptions que nous en avons sont changeants et qui serait susceptible de nous annoncer ce que sera l’avenir ? 
J’ai énoncé des idées, tracé des pistes, tendu des pièges, tout un corpus pour vous obliger à penser par vous-même, à choisir, à trier. A certains moments je vous ai provoqué pour vous amener à des comportements de rejet. Vous ne devez rien vous laisser imposer. Attendre tout des autres est une solution de facilité et à la longue vous découvrirez que ce sont effectivement de fausses pistes.                                           
Rien n’est jamais adapté à cent pour cent à une personne, il n’y a pas de vie clé en main, encore moins de bonheur.
Vous allez rire, pleurer, être heureux, souffrir, avancer, reculer, avoir des certitudes et douter et après des années de gestation vous aurez peut-être une idée de ce qu’est votre idéal de vie.
On marche, on tâtonne, on est heureux quand on pense avoir des certitudes, pour découvrir aussi vite que l’on s’est trompé, mais c’est ça la vie.
Ce que vous devez rechercher, c’est à développer vos capacités à vous adapter aux changements, tout change et bouge sans arrêt, ce n’est pas grave, c’est ainsi depuis la nuit des temps. Ce qui fait la force de l’être humain, c’est sa capacité à s’adapter à composer, à s’unir…
Avez-vous déjà une idée de ce que seront vos lendemains ? Si oui vous prenez un risque, si non il faut vous y mettre ?

PS : Pas trop prenant le job. Pensez à vous distraire, les années passent vite !

 Redressez-vous, ce n’est pas la mer à boire…Bien à vous. 
 

                                                                      RH…

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Cher monsieur Holberg

Il faut que je vous dise que vos propos ont sur moi un double effet, d’un coté, ils me donnent du tonus et me rendent heureux, mais de l’autre ils m’embrouillent. Comme vous le dite, j’essaye de faire le tri. Je me suis fait un tableau à deux entrées, d’un coté je note ce qui me convient dans les idées que je rencontre, dans l’autre, les idées et concepts que je juge incompatible avec ma conception de la vie et du monde, j’en ai déjà rempli un plein carnet. Il faut que je me mette à lire pour compléter mon bagage théorique… 

J’espère avoir un jour l’occasion de…

 
                                                                      DG / Avanton / Mazeuil / Octobre 2011

 EXERCICE A CONTRAINTES: 
 Atelier du 12 octobre : Insérer dans son texte la phrase "J'ai connu de vrais moments de bonheur.", situation et destinataire au choix, genre : soit une nouvelle qui inclut une lettre (soit in extenso, soit évoquée, soit un extrait) ; soit seulement une ou plusieurs lettres qui s'insèrent dans une série.

Employer au moins cinq des dix mots de la semaine de la langue française : âme, autrement, caractère, chez, confier, histoire, naturel, penchant, songe, transports