Ce que je pense de Nathalie ? ...

 Je cherche mes mots. Je l'ai revue, il y a quelque temps, par hasard, dans un cinéma. Lors de l'entracte, le visage d'une des ouvreuses n'avait pas été sans m'évoquer un souvenir.

Et c'était bien elle, la petite crêpière du quartier latin. Toujours l'air aussi nunuche, toujours aussi mignonne, mais, hélas, toujours maquillée comme un sapin de Noël.

 Je l'avais connue alors que je travaillais dans une salle de cinéma voisine. Entre « commerçants » du coin, on sympathisait, bien sûr ; une place de cinéma contre un petit café... Ce genre de choses. Avec elle, cela n'avait pas été plus loin. Si mignonne qu'elle fut, ce n'était pas mon genre. Tout au moins était-ce l'alibi que je voulais me donner.

 

Il est vrai que je roulais à Mobylette.

 

Et Nathalie ne fréquentait pas à moins de 750 cm3…

 

Tous les soirs, un motard venait la chercher, après son service. Je dis « un motard », car c'était rarement le même. Un client de la journée, dont l'engin pétaradant avait séduit la belle. Après sa dernière crêpe, ma reine des abeilles montait derrière son bourdon d'un soir et s'éloignait en vrombissant.

 

Le lendemain, c'était le tour d'un autre.

 

Bon, un petit pincement au cœur, pour moi, mais cela n'allait pas plus loin. Je le redis, elle était mignonne. Mais le trou noir qui naissait du vide abyssal de sa conversation combattait vigoureusement l'attrait physique que j'éprouvais pour elle.

 

-         « Hein, qu'est-ce que tu en penses ? »

 

Mon interlocuteur, serveur dans ce même restaurant, insiste.

Je cherche mes mots ; comme on le fait parfois pour bien assassiner ce que l'on a, même petitement, adoré.

Mais c'est vrai que je l'ai trouvée encore plus bête qu'avant, encore plus maquillée, encore plus vulgaire, et que j'ai éprouvé une délectation malsaine en constatant que le temps n'avait pas travaillé pour elle.

 

Je cherche mes mots...

 

-         Eh bien... je l'ai trouvée... comment dire... elle a l'air de plus en plus....

 

J'ai le mot « pouffiasse » sur le bout de la langue, mais par miracle, j'ai un temps d'hésitation.

 

Mais lui s'impatiente. Il n'en peut plus :

 

-         « Eh bien tu sais, c'est ma femme ! »

 

Je ravale instantanément tout ce que je m’apprêtais à déballer, et je termine ma phrase :

 

-         « ... de plus en plus épanouie ».

 

Il a senti mon flottement :

 

-         J'ai l'impression que tu allais dire autre chose...

-         Ah bon ? Non, c'est simplement parce qu'elle semblait tellement mieux que je me demandais ce qui avait bien pu la changer à ce point. Maintenant, je sais. Félicitations, mon vieux.

 

Je sens bien qu'il a perçu mon moment de gêne, et qu'il n'est pas tout à fait convaincu.

 

Il ne m'a pas offert de café.

 

Je n'en avais pas besoin. J'avais eu chaud !

                  

                            _______________________