Et Jean-Christophe en fait partie ! Il faut le sortir de là… Oui, oui, je suis à Poitiers, je t’avais dit, mais pas eu le temps de descendre en ville, c’est compliqué, je t’expliquerai… Bon, OK, je te tiens au courant…

David était tétanisé et les regards d’incompréhension braqués sur lui n’atténuaient pas la tension. Sa mère, qui avait réagi moins vite à la sonnerie du téléphone, était maintenant près de la console où David venait de reposer le combiné, visiblement inquiète.  

-          Qu’est-ce qui se passe, David ? Qu’est-ce qu’il y a avec Jean-Christophe ?
-          J’ai pas compris grand chose, mais c’était son frère, papa, on va avoir besoin de toi, Jean-Christophe est en garde à vue, une histoire de fous…
-          Mais qu’est-ce que tu veux que fasse ton père à une histoire de garde à vue ? Sois logique…
-          Là y a plus de logique, il faut mettre toutes les chances de notre côté ; et, papa, tu connais du monde…

 M. Demba regardait son fils, médusé, une légère fierté teintant le bas de son visage d’un sourire naissant.
-          Je ne sais pas ce que je peux faire, je suis content que tu me le demandes en tout cas, mais il faudrait que tu nous en dises un peu plus ; c’est pas du genre de Jean-Christophe, même si je ne l’ai pas vu depuis longtemps.

David se mit à reconstituer ce qu’il avait compris du frère de son copain, qu’il y avait eu des débordements au centre ville, on ne savait pas très bien, une manif en marge des Expressifs, ce festival des arts de la rue qui avait pourtant du mal à tenir, manif contre la prison, visiblement des extérieurs avaient débarqué, organisés, cassant tout sur leur passage et semant la police, c’étaient les Poitevins qui morflaient, une vingtaine d’arrêtés pour l’exemple, le fils d’une personnalité embarqué lui aussi. La mère de David venait d’allumer la télé et zappait sur les chaines d’infos, toutes en boucle relataient les évènements, il fallait, comme eux, avoir été drôlement reclus ce soir-là pour n’être encore au courant de rien. Privés d’une participation en direct, pour une fois que Poitiers faisait la Une au national, ils suivaient tous avidement les images télévisées ; ils en auraient des choses à raconter, à leur retour dans leurs villes respectives, même s’ils n’avaient rien vu, ils n’étaient pas loin et connaissaient bien les lieux, cela leur permettrait de broder.

-          Bon, cela ne parait pas simple ! Il y a des chances qu’ils ne les gardent pas bien longtemps. A cette heure-ci, je ne sais pas très bien s’il y a quelque chose à faire, il vaut mieux attendre quelques heures que les esprits se calment. Au pire, il passera une nuit au poste, une expérience comme une autre ! Je veux bien appeler le maire, mais là il est un peu tard… Je préfèrerais attendre demain matin…
-          Peut-être… Je vais rappeler chez lui pour savoir s’ils ont des nouvelles… Occupé… Ah, c’est bon, ça sonne. Allo, oui, c’est moi, c’est David, où vous en êtes ? Garde à vue, vingt-quatre heures maxi. Bon, on se rappelle, mon père veut bien appeler le maire, mais il vaut peut-être mieux attendre demain matin, là il est tard. Oui, bon courage, tchao !

Un soupir de soulagement parcourut la pièce. Une fois jouée la carte étonnement, la chose ne leur paraissait pas si grave ; évidemment il y avait la casse en ville, les vitrines, la boutique Bouygues surtout, mais qui allait pleurer sur eux ? Melissa venait de terminer son thé, elle reposa sa tasse sur le plateau. Cette diversion lui avait fait du bien, ses yeux, maintenant tout à fait secs, brillaient d’un léger sourire. Elle grignotait, un biscuit et un carré de chocolat, savourant le moment où un petit morceau de l’un entrait en contact avec l’autre. Il faisait nuit noire. Une atmosphère cotonneuse planait.
 
-          Et alors, vous parliez de quoi quand on nous sommes revenus tout à l’heure ?
-          Oh, je leur racontais l’histoire de la petite Fatoumata, tu sais combien ça m’a tracassée ! Mais, tu en as de bonnes, toi, et votre entretien, vos messes basses dans ton bureau, on a le droit d’en profiter nous aussi, ou non ?
-          Ecoute, maintenant ça va dépendre de Melissa, elle est grande, elle sait ce qu’elle a à faire ; je crois qu’elle a compris la ligne à ne pas franchir, maintenant…

Elodie venait de se rapprocher de Melissa, s’asseyant à sa gauche, sas de protection contre la famille que ces derniers mots venaient de ramener à la réalité, la tentative de sa mère de prendre la parole étouffée par une pression ferme de la main de son mari sur son bras. Elodie s’y attendait, Melissa piqua du nez vers la table, son teint, d’un noir encore brillant quelques instants plus tôt, s’affadissait d’un ton cendré. Fallait-il qu’ils se retrouvent à la case départ après une si belle avancée ? Elle ne mesurait pas bien l’ampleur des perturbations qui les occupaient depuis un moment, mais s’énervait intérieurement que tant d’efforts puissent si rapidement se retrouver face contre terre. Et la tension qui montait autour de la table immense qui les avait réunis, les regards qui, n’osant se poser, n’en étaient pas moins lourds, lui faisaient craindre le pire, elle sentait son amie encore bien fragile.
Des toussotements se faisaient entendre, Clotaire fut pris d’une quinte de toux irrépressible, il ne faisait pourtant pas encore bien froid en ce début octobre. Melissa leva les yeux vers lui, les rabaissa. Puis, brutalement, elle se redressa sur sa chaise, fixa sa tête droite devant elle, son visage se teinta d’une nouvelle lueur. Le silence s’assourdissait d’une impatience ineffable.

-          Oncle Demba a raison ; je n’ai pas toujours dit la vérité ; ou plutôt, je l’ai arrangée, pour ne pas trop vous inquiéter. Mais je vois bien que c’était idiot, ça ne tenait pas debout mes histoires… Mais j’ai du mal… Par où commencer ?...
Insensiblement M. Demba et Elodie se rapprochèrent de Melissa, l’un l’entourant de son bras, l’autre lui pressant doucement la main. Double gage de sécurité que Melissa sembla incorporer, elle se détendit, sa nuque eut un mouvement de recul, sa gorge se creusa.

-          Le début de ce que je vous ai raconté était exact, mon départ après le bac, j’aspirais à autre chose que cette vie poitevine rangée qui m’attendait, le groupe évangélique africain que je fréquentais à Paris, et c’est là où tout a basculé. Je n’ai rien vu venir. Trop jeune. Trop mystique. Ils m’avaient appâtée pendant que j’étais au lycée, ils avaient bien compris mes tendances mystiques, mais ils me demandaient d’abord de passer mon bac, d’attendre mes dix-huit ans. Et moi qui ne voyais rien ; quand vous êtes majeure, les recours sont beaucoup plus difficiles. Mais, ça, j’ai mis du temps à le comprendre. J’ai beaucoup fréquenté le groupe à mon arrivée à Paris, ils avaient un local accueillant, on y priait, on y parlait des nuits entières, et, bien évidemment, moi, la jeune provinciale prude, je suis tombée amoureuse d’un des chefs ; avec le recul, je me dis que tout était programmé, y compris cette relation ; rien à voir avec ce que j’avais vécu avec toi, Julien, là on passait à une autre échelle. Evidemment, je suis tombée enceinte, mais, là aussi, ça faisait partie du programme, les enfants de Dieu et tout le tralala, je l’ai compris plus tard. Alors quand le toubib vous a tout révélé, après ma chute à la gare, j’étais effondrée. Normalement je ne devais pas le dire à ma famille, je serais envoyée en Afrique avec mon bébé pour qu’il soit élevé selon les préceptes. Vous imaginez ? Comme si, en Afrique, il n’y avait pas assez de bébés ! Alors je me suis sauvée de l’hôpital, sans vous dire où j’allais, pour être bien sure que vous ne m’empêcheriez pas de suivre ma voie.
-          Et alors, en Afrique, tu y es vraiment allée ?
-          Oui. Mais il n’y a pas eu de bébé. Fausse couche juste avant de partir. Peut-être malgré tout la conséquence de ma chute dans les escaliers, on ne le saura jamais. Et maintenant, je me dis que heureusement que j’ai fait cette fausse couche. Qu’est-ce que je serais devenue avec mon bébé, je ne sais pas…
-          Mais alors, ils t’ont envoyée en Afrique quand même ?
-          J’ai plongé. Le monde s’est écroulé autour de moi. Je ne savais pas ce que c’était quand j’ai fait cette fausse couche, une gamine de cet âge-là, elle en a bien entendu parler, mais de là à mettre une réalité, des mots sur ce qui se passe à l’intérieur de vous, il y a un gouffre. Vu ma mentalité de l’époque, religieuse à fond, c’était la pire catastrophe qui pouvait m’arriver. Je ne savais plus où aller, quoi faire…
-          Et les copains, notre pacte…
-          Et la famille…
-          Mais je vous ai dit que j’étais larguée ; copains, famille, j’étais plus dans ce karma ; mon billet d’avion était déjà pris, ils m’ont proposé de partir quand même et d’aider sur place, il y avait des besoins, ça me changerait les idées. Et c’est vrai que dans un premier temps, ça me les a changées. Je découvrais. L’Afrique, vous imaginez pour une fille de dix-huit ans, ses paysages à perte de vue, sa population riante. Je ne voyais que cela au début, j’étais prête à aider partout, j’en oubliais les symptômes dépressifs qui m’avaient fait quitter la France. J’ai connu de vrais moments de bonheur. Petit à petit je me suis stabilisée, j’allais de mieux en mieux, je travaillais pour leur organisation, je vivais à l’africaine. Et j’ai eu envie de vous faire partager mon bonheur, maintenant que je me sentais sortie d’affaire. J’ai voulu vous écrire, vous téléphoner, à l’époque on n’avait pas Skype. Et je me suis aperçue que le téléphone était inaccessible, sous prétexte que c’était beaucoup trop cher, j’étais dans la brousse, il n’y avait pas beaucoup de téléphones publics, et s’il y en avait ils étaient souvent hors de service. Quant au courrier, j’ai écrit plusieurs lettres, qui me sont revenues, ou plutôt qui ne sont jamais parties. Là j’ai commencé à me sentir piégée. Un rideau tombait sur les illusions idylliques que j’avais eues jusque-là. Mais j’ai quand même mis du temps à y croire. J’oscillais entre l’impression d’être parano, l’excuse dq             es dysfonctionnements africains, l’éloignement qui me mettait des œillères. Et puis, j’étais partie lâchement, j’avais du mal à m’avouer que j’avais pu me tromper. Alors j’ai recommencé à plonger, nouvelle dépression, plus la force de me lever le matin, je pleurais, ne voyais plus d’horizon, je ne pouvais plus travailler. L’organisation a commencé à s’en inquiéter, à vouloir faire pression sur moi pour que je reprenne mais plus rien ne m’atteignait. Alors, en désespoir de cause, ils m’ont confiée à une famille du village, la mamma avait une réputation de guérisseuse, elle m’a soignée comme sa propre fille, écoutée, nourrie, puis cachée, aidée, car c’est bien grâce à elle que j’ai compris dans quel traquenard j’étais tombée, et que ce ne serait pas facile de m’en sortir. Visiblement, elle avait de sérieux doutes depuis un certain temps sur les intentions de cette organisation qui était venue s’installer dans ce coin perdu d’Afrique. Elle m’a conseillée, tempérée, nous avons décidé d’agir doucement, en secret, pour avoir des chances de réussir. Un jour, elle a eu besoin d’aller en ville pour du ravitaillement et des papiers, elle a dit qu’elle m’emmenait parce qu’elle avait besoin d’aide et que ça me changerait les idées. On a pris le taxi-brousse avec les couffins vides. Et elle est revenue seule. Elle avait tout préparé pour mon départ vers Dakar, c’était plus facile à organiser, elle avait de la famille ; et rentrer à Paris aurait été dangereux ; à Dakar, je pouvais plus facilement noyer le poisson.
-          Et donc, tu as vécu à Dakar ? Mais tu aurais pu nous faire signe, on a de la famille, ils t’auraient aidée…
-          J’ai bien pensé à vous, Mme Demba, mais je n’étais pas encore prête à renouer les liens ; j’avais eu trop honte de ce que j’avais fait, j’avais du mal à m’en remettre. Et mamma Kadi m’avait conseillé d’être prudente, de ne pas me faire remarquer, on ne savait jamais, ils pouvaient me surveiller à distance, et venir fouiller à Poitiers aurait été le meilleur moyen de me retrouver si on avait su où j’étais.
-          Mais, qu’est-ce que tu craignais ?
-          Je ne sais pas. Difficile à dire. Mais vu les manœuvres d’intimidation que j’ai subies ensuite, je crois que je faisais bien de me méfier. Ils devaient avoir peur de ce que j’avais vécu de l’intérieur de l’organisation quand j’étais dans le village. Je n’avais pas compris grand chose, alors, mais avec du recul je pouvais dénouer les fils. Et c’est ce que j’ai fait, lentement, patiemment, pendant que j’étais à Dakar.
-          Mais tu vivais comment ?
-          Au début, j’ai été prise en charge par la famille de mamma Kadi, puis j’ai trouvé du boulot, j’enseignais le français et les maths dans un collège, mais je suis toujours restée vivre avec eux, je me sentais plus en sécurité ; et un des cousins, avocat, m’a beaucoup aidée à comprendre dans quoi j’étais tombée. C’est avec lui que j’ai pu remonter la filière et trouver comment les contrer. mais ça a pris du temps ; pendant des années je n’ai pas osé donner signe de vie, par honte comme je vous l’ai dit, puis par peur pour moi, pour vous…

Le calme de la nuit noire rendait plus intense le silence qui absorbait les paroles de Melissa ; tous avaient sur les lèvres des questions qui ne sortaient pas, accrochés qu’ils étaient à la suite de ses révélations.

-          Drissa s’est mis à fouiller dans cette organisation, ah oui, Drissa c’est le cousin avocat, il a trouvé des trucs pas clairs, des ramifications entre Paris et le Mali, avec des extensions dans d’autres pays environnants, Côte d’Ivoire, Guinée, apparemment rien au Sénégal. A Paris ils ont pignon sur rue, vous étiez sur la bonne voie, Julien et Elo, au Canal Saint Martin. Des drôles d’illuminés propres sur eux. Les seconds couteaux font de la retape auprès des jeunes, mais aussi des gens qui sont dans une mauvaise passe, faibles, ils les embobinent, récupèrent leur fric ou celui de leurs familles, les font bosser, piquent les gosses pour les embrigader plus facilement ; une secte, quoi, banal, mais secte quand même, ils n’ont d’évangélique que le nom. Et apparemment les gros bonnets sont dans une situation plus que confortable, je vous passe les détails…
-          Mais, comment t’as fait pour t’en sortir ?
-          Je ne m’en suis pas sortie, j’ai fui… Les éléments mis au jour par Drissa m’exposaient au premier plan ; lui, il était relativement protégé par sa fonction, à Dakar c’est un peu moins pourri qu’ailleurs, et par la famille qui veillait au grain à différents niveaux. Mais moi, ils risquaient de me retrouver, les soupçons devenaient de plus en plus sérieux. Jusqu’à ce que, en rentrant un soir de mon boulot, dans une petite rue que j’empruntais pour rentrer dans la maison de Drissa, ils me sont tombés dessus, à plusieurs, légère comme je suis ils n’ont pas eu de mal, ils m’ont trainée, frappée, mis la tête dans un sac, je me suis vue morte, je ne sais pas combien de temps ça a duré, je ne respirais plus, ne gémissais plus, silence absolu, je me suis recroquevillée pour ne pas attirer l’attention et plus de coups. J’ai été sauvée par un chien qui passait et s’est mis à aboyer, de plus en plus fort, attirant les autres chiens des alentours qui se sont tous mis à hurler ; les voisins sont sortis, mes agresseurs ont pris peur, ils sont partis en me menaçant, me disant qu’ils me retrouveraient et ne me rateraient pas. On m’a ramené chez Drissa, les gens de la rue me connaissaient, ils m’ont soignée, mais finalement les coups avaient laissé des traces spectaculaires mais sans gravité. Drissa est arrivé peu de temps après, il avait été prévenu par téléphone. Pas question que je reste plus longtemps chez eux, je courais trop de risques, et pouvais de ruiner tous les efforts qu’il faisait pour démasquer l’organisation. Des voisins ont proposé de m’héberger le temps que je puisse partir. Je rentrais à Paris, sans adresse, et ne pouvais pas venir à Poitiers sans vous mettre en danger.
-          Et c’est comme ça que tu m’as contactée ?
-          Oui, Elo, j’avais encore ton contact, adresse mél et portable, dont tu n’avais pas changé depuis quelques années. Je savais que tu ne m’accueillerais sans poser de questions, je ne voulais pas te faire courir de risques, mais j’avais besoin de me cacher…
-          Je me suis quand même fait tabasser, tu en as de bonnes…
-          C’est vrai, et là, ça m’a énervée, je ne savais plus comment faire, la situation était bloquée à nouveau ; j’ai voulu appeler au secours, en me disant qu’à nous tous nous serions plus forts, nous arriverions peut-être à les démasquer une fois pour toutes ; c’est pendant ce weekend que vous avez tous passés et auquel il n’était bien sûr pas question que j’aille, je suis restée sagement chez Elo, et là j’ai ruminé l’idée de ces messages que je vous ai envoyés le lundi, déposés pour ceux qui étaient à Paris, par téléphone à Toulouse ; je n’ai pas eu le temps de finir. Le dernier aurait été pour toi, Julien, j’avais très envie de te revoir ; mais là, ça s’est emballé, tu as retrouvé Elo, ou elle t’a mis sur la voie, en tout cas je ne pouvais plus continuer… Et là, vous avez commencé à fouiller, je ne savais pas ce que vous pouviez trouver, et les dangers que vous couriez, il fallait que j’agisse…
-          Que tu agisses ?
-          Oui, avec Drissa, nous avions monté une association internationale, une ONG si vous préférez ; c’est elle qui m’avait permis de rentrer à Paris. L’organisation avait pris peur depuis quelques jours, notre ONG avait déposé une plainte qui avait de grandes chances d’aboutir ; là il fallait aller plus loin, intimidation contre intimidation. Je crois qu’ils ont compris, en tout cas avec moi ; ça ne veut pas dire qu’ils ne continuent pas leurs manigances avec d’autres, mais je crois qu’ils vont mettre la pédale douce, pendant quelque temps du moins. Et je ne désespère pas que nous réussissions à les faire arrêter, mais là j’ai plus de doutes.

Les visages s’éclairaient autour de la table, des sourires remplaçaient peu à peu l’état de tension qui les avait tous tenus en suspens depuis le début du récit de Melissa.

-          Mais alors, c’est qui ces trois zigotos qui se sont empiffrés de beignets ?
-          Ah, eux ? Ils vous ont fait peur ? Rien à craindre, c’est des sympathisants de l’ONG qui voulaient me protéger, quand ils ont su que je venais à Poitiers, ils ont fait comme vous, tonton Clotaire et tata Dorinda, ils ont sauté dans leur bagnole. Comme David les avait repérés, il valait mieux ne pas faire durer le suspense.
-          Donc, tout va bien, maintenant, tu peux réintégrer ta famille et retrouver tes amis ?
-          Oh là, pas si vite… Je suis devenue un peu sauvage, moi, pendant toutes ces années…

 
Le téléphone les fit sursauter, le fixe à une heure aussi tardive, même chez un médecin, c’est toujours inquiétant. M. Demba raccrochait après quelques réponses laconiques.

-          Bon, tout s’arrange, Jean-Christophe est rentré chez lui, apparemment ils n’en ont gardé que quelques uns, les autres viennent de sortir du commissariat. David, si tu veux, on ira le voir ensemble demain, ça me permettra de saluer ses parents, et j’aimerais bien avoir une conversation avec lui, je ne l’ai pas vu depuis un moment, et j’aimerais bien qu’il m’explique un peu ce qui s’est passé cette nuit. Grâce à toi, j’aurai enfin l’occasion de comprendre un peu mieux ces descentes de casseurs qui me surprennent toujours.

David sourit. Juliette le regardait, avec ces yeux auxquels il ne savait pas résister quelques années plus tôt. Sa mère revenait de la cuisine avec deux bouteilles de champagne. Son père sortait les flutes du buffet.

-          Qu’est-ce qu’on fête ? La libération de Jean-Christophe ?
-          Non. La vôtre. Je crois que vous avez tous pris un coup de vieux ce soir, les jeunes ! La majorité, c’est à dix-huit ans, mais la maturité, ça prend souvent un peu plus de temps !

A ces mots, David avait ouvert la porte sur la nuit sombre. Une sirène d’ambulance retentit, puis une autre. L’hôpital n’était pas loin. Un samedi soir banal avec son lot d’accidents. Il revint bientôt, encadré des trois gardes du corps de Melissa. Le champagne circulait. Les familles se rapprochaient. Les couples se reconstituaient. Bref instant de bonheur. Leurs trains repartiraient. Leurs vies s'épaissiraient. Ils se retrouveraient à espaces comptés, moins seuls peut-être.

 
                                                                                                                          Fin