Il n’y a rien de pire que les fêtes de fin d’année. Les anniversaires, passent encore. Mais pas les fêtes de fin d’année.
En cette veille de Noël, le vent était glacial, et la neige au rendez-vous.
Léna chaussa ses après-skis, s’emmitoufla dans son manteau rouge. Elle arrangea avec ses doigts sa longue chevelure ondulée face au miroir de l’entrée, enfila son bonnet de laine à gros pompon et ses moufles, puis ferma la porte à clé.
Elle était sortie de chez elle pour accompagner son jeune frère Rémi, de treize ans son cadet, dans la nouvelle galerie commerçante du centre-ville, à quelques rues de là. Il lui avait demandé de l’aider à trouver un cadeau pour Julie, sa fiancée. Ils devaient se marier cet été ; date à marquer en rouge sur son agenda : le 16 juillet 2011. Surtout ne pas oublier !
Léna ne connaissait pas bien sa future belle-sœur, mais Rémi avait l’air si désemparé- « il avait déjà cherché partout ! »- qu’elle n’eut pas le cœur à refuser.
Elle lui avait annoncé que ce serait son cadeau à elle de l’accompagner. Car habituellement, Léna ne faisait pas de cadeau.
Rémi et Léna déambulaient dans cette « ziggourat » de la consommation. Une foule joyeuse se pressait dans la galerie. Des gens attendaient à la queue leu-leu à l’extérieur des magasins pour faire empaqueter leurs cadeaux au stand du secours catholique. Les chants de noël nasillaient à tue-tête dans cette frénésie grouillante.
Ils étaient rentrés dans une boutique, puis une autre, et encore une autre sans trouver le présent adéquat.
- Il faut que ça fasse tilt, tu comprends ? s’était excusé Rémi en passant le portique de
Léna avait acquiescé d’un sourire las. Elle avait mal à la tête.
- Va voir, moi je t’attends là, désignant un pouf, bizarrement inoccupé, au seuil du magasin. Si tu trouves quelque chose, viens me chercher.
Léna se laissa tomber sur le sofa, lequel, tout en se dégonflant, claironna un « jingle-belle-jingle belle, nananananananan…. Et bonne année grand-mère ! », avant de la laisser choir à moitié sur le sol.
- Toi, tu manques pas d’air ! se surprit elle à crier.
Léna frémit.
Est-ce que çà se voyait, du dehors ? Est-ce que sa famille, ses amis, ses voisins l’avaient remarqué ? Est-ce qu’on parlait d’elle en son dos ? Disait-on simplement, comme elle l’entendait depuis sa plus tendre enfance, qu’elle transformait tout ce qu’elle touchait en « dons du ciel », les choses comme les personnes ?
C’est vrai, Léna avait des doigts de fée, un cœur en or.
A l’école, elle buvait les paroles du maitre et complétait même ses leçons, au plaisir de toute la classe. Ses parents ne tarissaient pas d’éloges à son sujet. Elle était jolie et si gentille ! Chez la bouchère, l’épicière, la boulangère : à chaque fois qu’elle franchissait le seuil de la boutique, le monde se transformait ; les gens lui souriaient, les friandises apparaissaient… Tous les enfants voulaient être son ami(e). Tous les adultes la félicitaient.
Elle n’y était pas pour grand-chose, protestait-elle, en inclinant la tête. Une fée s’était sans doute penchée sur son berceau à sa naissance. C’était elle qu’il fallait féliciter… avec un bémol tout de même, un petit bémol qu’elle avait découvert, peu à peu, d’abord à l’adolescence, puis à l’âge adulte, et qu’elle espérait garder secret : cette fée lui avait offert tous les dons, sauf celui d’Aimer, plus exactement, de se donner par Amour.
Elle en était sûre à présent. Elle allait avoir 45 ans. Elle était condamnée. A vie. Au célibat. Comme Dalida !
- Amore Amore A mort… fredonna t-elle à son image dans la devanture, où les guirlandes étoilées clignotaient en continu.
Résignée, elle commençait juste à pardonner : Les fées, c’est un peu distrait parfois ! Et surtout très occupé ! Sa bonne fée, elle se l’était sans doute gardé pour elle le don d’Aimer… Charité bien ordonnée commence par soi-même…
…Ou bien l’avait-elle simplement oublié au fond de sa corbeille parmi les fleurs et les rubans!
- Léna ! Je crois que j’ai enfin trouvé ! Grâce à toi ! Tu... tu peux venir voir ?
Qu’est-ce qu’il faisait chaud ici ! Léna déboutonna son manteau, et passa la main devant ses yeux comme pour chasser des mouches virtuelles. Son mal de tête ne cédait pas. Prenant une longue inspiration, elle suivit son frère à l’intérieur du magasin. Ils se précipitèrent vers le rayon informatique.
- Regarde-moi ce bijou de technologie, Léna. Regarde bien tout ce qu’on peut faire avec, c’est incroyable !!! dit-il en désignant une tablette tactile.
- ???
- C’est le tout nouveau Galaxy Tab de Samsung…encore mieux que l’Ipad, de Sony, m’a expliqué le vendeur. : il a en plus une caméra recto-verso et des ports USB ! Et puis, je le trouve chic et… pas cher ! Qu’en penses-tu, franchement, ça lui, plaira ? supplia Rémi du regard.
- Euh ? Julie, elle est documentaliste, je crois ?
- Oui !!!
Léna observait son frère. Elle était heureuse pour lui. Quelle chance il avait de l’aimer si fort. Deux ou trois secondes s’écoulèrent.
- …
- ALORS ?
- C’est…. Un beau CADEAU, acquiesça t-elle.
- Tu es un Amour de grande sœur ! Je t’adore !
Léna n’eut pas le temps de lui dire qu’elle n’avait aucun mérite. Déjà, Rémi se faufilait entre les clients vers les caisses, avec un bon d’achat à bout de bras, qu’il secouait avec jubilation. Elle voulut le suivre malgré la pesanteur grandissante de ses jambes.
Et ce mal de crâne derrière la nuque qui était toujours là !
« Ce monde là n’est le monde de Léna, protège-toi », susurra une voie douce à son oreille.
Ses tempes, comme dans un essaim bourdonnaient. Avec toutes les peines du monde, elle se retourna pour voir. Une vive douleur écarlate inonda ses orbites et raidit tous ses membres.
Puis elle chut. Sa tête fit un bruit sourd en percutant la moquette.
Et elle se vit.
Du sang perlait de ses yeux restés grands ouverts.
Elle entendit de nouveau la douce voix emporter son esprit, jusqu’à le laisser toucher par la grâce.
Un sourire d’ange illumina son visage.
Il y eut un grand silence.
Ensuite,
Plus rien.
(à suivre...)