Quelle bagarre, qui aurait jamais pensé qu’il puisse être aussi difficile de garder sa part de couette toute une nuit, avec insistance il avait tiré dessus sans arrêt, mais sans parvenir un seul instant à en obtenir un centimètre de plus.

Résultat, il avait eu très froid, et se sentait tout engourdi…

Maintenant c’est un bruit sourd qui l’empêchait de se rendormir.

-         Wouf, wouf, wouf

Qu’avait-elle encore bien pu inventer pour faire un barouf pareil ? Car dans tous les cas de figures cela ne pouvait provenir que d’elle.

Il ouvrit un œil puis l’autre, et là, la réalité lui arriva en pleine face, l’habitacle de la voiture, sa position fœtale, recroquevillé sous le volant, et la ceinture de sécurité qui l’étranglait.

 

Elle, elle n’est pas là, heureusement, car le spectacle est surréaliste, de plus il y a cette odeur tenace qui monte de ses vêtements.

 

-         Mon costume en laine peignée risque d’être foutu, comme si je n’avais pas pu faire comme les autres et venir en jean ;

 

Wouf, wouf, wouf, le bruit est cette fois tout proche et augmente en intensité.

 

Il détache sa ceinture, actionne les essuie glaces, et là stupeur ! Le spectacle qu’il découvre l’aurait fait mourir de rire en d’autres circonstances, ici ce n’est pas le cas mais tout de même :

Il est au beau milieu de ce qui semble un potager…A droite des poireaux, à gauche des salades devant ce doit être des pommiers, en fait il n’y connaît pas grand chose !

Quelques instants de stupéfaction, un temps de concentration pour faire redémarrer ses neurones, et mettre en perspective des éclats de souvenir qui flottent dans son cerveau, c’est qu’hier au soir je n’étais pas très clair pense t’il

 

Ah oui, hier soir, la soirée, l’ambiance…Puis la Pastorale, le choc, les bruits et toute la cavalcade, et cette nuit de cauchemars. C’est étrange de voir comment les souvenirs remontent en vrac pour doucement s’ordonner de manière cohérente

 

Prés de la portière se tient un gros berger des Pyrénées avec sa frange sur les yeux et son air bonasse ce qui ne l’empêche pas de paraître très énervé par cette présence insolite sur son territoire, aussi s’abstient-il pour l’instant d’ouvrir sa portière.

 

Le face à face semble devoir durer, quand un coup de sifflet vient bousculer l’équilibre de la confrontation, le chien se redresse et se tourne dans la direction d’où est venu le commandement.

 

Un homme se tient au coin du jardin, un homme qu’il aurait très bien pu prendre pour un épouvantail en raison de son accoutrement : Silhouette massive, lourde canadienne qui l’engonce, un bonnet de laine assorti à la canadienne lui descend au ras des yeux et semble retenu par ses sourcils broussailleux, un pantalon de bleu de chauffe et des sabots de caoutchouc complètent le tableau.

Il porte une barbe de deux jours à la Gainsbourg, mais ne paraît pas plus souriant que son modèle.

 

-         Vous alors, vous alors, s’exclame t-il, regardez-moi ce chantier que vous avez fait, c’est que vous avez écrasé la moitié de mon potager ! Qu’est-ce-que vous fabriquez là au milieu de mes laitues d’hiver et de mes poireaux ?

 

Sur ce, il lui fait un geste de la main, tourne les talons et commence à s’éloigner…

Lui dans sa voiture n’ose et ne sait pas s’il doit bouger, quand il entend.

 

-  Eh alors au point où nous en sommes, vous n’allez tout de même pas rester planté là ?

 

Cette remarque le pique au vif, il débloque la portière et entreprend de s’extirper de la voiture en gémissant tant il a mal partout…

Il pousse un grognement de désespoir en se rendant compte de l’endroit dans lequel il vient de planter ses boots chipirelli à sept cents euros, il a plu toute la nuit et la terre de la planche de salade est boueuse à souhait, les boots ne s’en remettront surement pas et resteront définitivement tachées.

 

Progressant sur la pointe des pieds il finit par atteindre l’allée au bout du jardin et là, découvre la maison, que jusqu'à cet instant un ensemble touffu de buissons et de fruitiers avait dérobé à sa vue.

 

C’est une construction étrange, à un bout, cela tient de l’isba, à l’autre de la maison du facteur Cheval. Il apparait qu’initialement construite en bois comme un cabanon de jardin, on ait entrepris de la reconstruire en pierres, parpaings, mais aussi en briques et en béton qui présente un assemblage assez hétéroclite. Ce qui était curieux c’est que l’on effectue ce travail en recouvrant la structure en bois qui est demeurée en place, le tout n’est pas terminé et représentera encore bien des heures de travail.

 

Pendant qu’il se livre à cette séance d’étude et d’évaluation, il a perdu l’homme du regard et ne sait plus vers quelle partie de la maison il doit se diriger, c’est au jugé qu’il opte pour ce qui lui parait en être l’entrée.

Des bruits de voix lui parviennent, signe de ce qu’il est sur la bonne voie, quand il fait mine d’entrer, l’homme qu’il a suivi se tient dans l’embrassure de la porte de ce qui doit-être la cuisine, d’un geste prompt il lui fait signe d’attendre.

 

- Plus-tard, pour l’instant, vous allez vous nettoyer, car croyez moi, cette nuit je suis venu vérifier dans la voiture que vous n’étiez pas mort, et j’ai pu constater que vous ne sentiez pas la violette !

 

En effet, il est bien conscient de son état et de sa puanteur, mais jusqu'à cet instant il n’a pas encore réalisé l’image qu’il donne et les désagréments qui en découlent.

Il ressort sur le pas de la porte en attendant que l’on statue sur son sort, et regarde ébahi les animaux qui s’ébattent en toute liberté, sans clôture ni contrainte.

 

-         Tenez prenez ça !

 

     L’homme se tient prés de lui, lui tendant un nécessaire de toilette, gant, serviette, savon, ainsi qu’un ensemble de vêtements de rechange, un gros pull dans lequel est pliée une chemise à carreaux et une cote de travail comme en portaient les chauffeurs de locomotive à vapeur, ainsi qu’une paire de sabots en caoutchouc vert.

Il marque une hésitation que l’homme se dépêche de dissiper en lui indiquant du doigt un appentis adossé à la maison sous lequel trône une vaste plonge en ciment. C’est là que Simone fait sa lessive ajoute-il, l’eau est un peu froide, mais elle est très pure

 

- Il n’y a pas d’eau chaude ?

- Non, vous allez voir, cela surprend au début, mais vous en ressortirez tout revigoré.

 

Lui qui avait rêvé d’une bonne douche brulante et revigorante, avec bougie parfumée et Diana krall en fond sonore est très dépité, il commence à se demander s’il n’est pas tombé chez la famille Crusoé.

Pour ménager sa pudeur, ou échapper à l’odeur nauséabonde qu’exhalent ses vêtements et son corps, l’homme a disparu en direction du jardin.

 

A cet instant, il se produit comme un choc en retour, la soirée, l’accident, la nuit, il ressent un grand moment de solitude et Marianne lui manque un peu.

 Il se retrouve plongé dans un souvenir d’hospitalisation déjà lointain, il avait du subir une intervention pour faire enlever un kyste, après examen celui-ci s’était révélé bénin, mais il n’en demeure pas moins qu’il n’a jamais digéré ce cérémonial du passage de l’état d’homme sain à celui de malade.

Une fois dépiauté comme un lapin, rasé, et doté d’un bracelet d’identification, il s’était retrouvé dans le lit. Il avait-eu l’impression d’avoir changé de planète !

 

  Tout à coup, tous ces souvenirs remontent, moins violents, moins présents, mais provoquant une boule d’angoisse tout de même, à quoi joue-il ?

En cet instant précis, il se sent presque aussi gêné de devoir se dévêtir devant le seul témoin de la scène, un chien, qui semble le contempler d’un œil goguenard, que lors de ce séjour.

 

Le froid lui bleuit presque instantanément la peau, le contact de l’eau lui coupe le souffle et toute tentation de récrimination. Il doit s’y reprendre à plusieurs reprises pour débarrasser sa peau des traces suspectes qui la maculent.

La serviette de toilette a toute la qualité requise pour faire un bon gant de crin, mais elle permet de remettre très rapidement le sang en circulation, car elle est râpeuse comme de la laine d’acier. Une fois récuré, il doit convenir que le brave homme avait raison, il est tout revigoré et meurt de faim.

Cependant avant de passer à cette étape primordiale, il en est une qu’il ne peut sauter faute d’avoir un change personnel. La chemise d’hôpital à côté de ce qu’il doit enfiler n’était qu’une gentille bluette, la cote peut contenir deux hommes de sa corpulence ce qui devait permettre à l’entreprise qui en habillait ses travailleurs une simplification dans la gestion des stocks de vêtements de travail, elle lui pend sur les fesses comme la peau d’un pachyderme vieillissant, la chemise, est aussi râpeuse que le linge de toilette mais bien à sa taille. Le pull quand il l’enfile s’avère fort chaud ce qui le réconcilie avec le climat, il a gardé ses chaussettes et les sabots verts se montrent beaucoup plus adapté au contexte que ses chaussures en cuir clair.

L’état de son costume lui fend le cœur, la vendeuse de chez Hugo Boss qui le lui a recommandé, serait effarée de voir dans quel état il a été capable de le mettre, il y a fort peu de chance qu’il puisse un jour retrouver son aspect initial.

 

Tout à coup le chien se fait entendre, ce qu’il y a d’agaçant avec cet animal c’est qu’on ne lui voit pas les yeux, la bête n’en a cure et semble japper pour le stimuler.

Enfin prêt, il fait une boule de ses vêtements qu’il pose sur le bout de la plonge, le chien semble avoir compris et se remet à aboyer en courant vers la cuisine.

 

Cette pièce, qu’il a entr’aperçue lors de sa première incursion se trouve dans la partie en bois de la maison, le mur de pierre en a déjà dépassé le seuil et commence à en encadrer la fenêtre.

Un bon point, c’est qu’après cette toilette à la dure il y fait bien chaud.

 

A son entrée, l’homme relève à peine les yeux de la cigarette qu’il est en train de se rouler, le paquet de gris coincé entre les genoux, et la langue assurant le collage. On peut parfaitement sentir qu’ici ce n’est pas lui le patron et qu’il faut attendre une réaction de Simone, puisque qu’une Simone il y a ! Penchée sur la plonge elle lui tourne le dos, mais à la façon presque imperceptible dont sa nuque s’est redressée, il sait bien qu’elle a perçu sa présence. Elle marque une pause pendant laquelle elle prend le temps de s’essuyer les mains, avant de se tourner vers lui.

 

-         Bonjour dit-elle, je suis Simone, la femme de Georges, il semble que vous avez un peu meilleur mine que tout à l’heure ?

 

Cela le ramène dans la réalité, et il se dit que les questions ne vont pas tarder à pleuvoir, il commence alors à réfléchir à ce qu’il va bien pouvoir leur raconter, le problème c’est qu’il n’en sait fichtrement rien.

Il se sent tout intimidé par ce couple qui le regarde, attendant qu’il leur dise qui il est, il craint que sa langue ne veuille jamais se décoller de son palais, mais il faut bien y aller…Car il a très soif et très faim, ce qui est déjà une bonne entrée en matière à la vue de ce qui est posé sur la table ;

 

-         Moi je suis Nicolas le naufragé !

 

Il n’a pas terminé de dire ces mots qu’il se demande pourquoi il les a prononcés, « Bonjour je suis Nicolas » aurait bien suffi, enfin ce qui est dit est dit et basta, mais il n’en est déjà plus aussi certain.

 

A son grand étonnement Simone ne pose pas d’autre question mais entreprend de s’occuper de lui :

 

- Que voulez vous boire ?

 

- Du Café, avec un peu de lait si possible dans un grand bol

- Si vous les aimez j’ai des céréales et des yaourts maison ?

 

Au vue de ce qu’il y a sur la table il a déjà fait son choix

 

-         Si vous permettez, ce sera des tartines beurrées avec du jambon ?

 

A cet instant Georges prend la parole ;

 

-         Avec nous pas de cérémonial, si tu as faim, tu te sers, et bon appétit

 

De l’autre coté de la table, Simone recommence à sourire, un homme qui mange de bon appétit ne peut être un méchant homme !

 

Il en aurait grogné de plaisir si sa tête ne lui avait pas fait aussi mal, mais c’est fichtrement bon, Simone a un don pour le café qu’elle prépare dans une grande cafetière posée sur la cuisinière, avec un filtre à l’ancienne, et le jambon doit être fait maison. Il est si affamé qu’au début il ne réalise pas que Simone et Georges après s’être regardés d’un air entendu se sont replongés dans leurs activités respectives, quand il en prend conscience il se sent plus à l’aise pour découvrir l’espace dans lequel il vient de faire intrusion.

Il n’imaginait même pas que cela puisse encore exister, une cuisine figée dans un aménagement des années soixante, c’est kitch à souhait, mais cela a une allure chaude et rassurante.

 

Il y a une telle accumulation d’objets qu’il en est éberlué :

 

Un Frigidaire, le vrai avec la grande poignée et la porte bombée, posé sur le dessus, antenne déployée, un poste à transistors sous sa housse de plastique.

Les éléments de cuisine en formica semblent encore tout neufs, tant on en a pris soin, pour cuisiner, un réchaud à gaz avec le dessus à quatre feux plus large que le four est posé sur un meuble émaillé qui doit contenir la bouteille de gaz.

Une pierre d’évier en grés qui ferait le bonheur d’un brocanteur tant elle doit être ancienne, son poids en découragerait plus d’un, vu qu’elle est formée d’un seul bloc de pierre, la traditionnelle cuisinière émaillée blanc supporte plusieurs récipients entrain de bouillotter doucement. Une huche à pain en bois décoré avec un sapin peint sur le devant complète l’équipement de base, à gauche de la gazinière une plaque émaillée munie de crochets permet de suspendre casseroles et accessoires…

 

Au moment où il commence à examiner le mur de droite, Simone se tourne vers lui :

 

-         Vous regardez notre collection de calendriers, chaque année nous nous efforçons de trouver une gravure représentant une région ou un lieu où nous aimerions aller, c’est joli n’est-ce-pas !

 

Il n’en doute pas, si Simone trouve cela joli et que cela lui fait plaisir, il ne peut qu’acquiescer. Les premiers ont pris des tons sépia, grillés par le temps et la chaleur du fourneau, une sorte de résumé du temps qui passe

 

-         Regardez le il s’est encore endormi avec sa cigarette allumée, un beau jour je le retrouverai rôti comme une tranche de lard.

 

 

Tout en mangeant, il regarde Simone du coin de l’œil, il ressent l’impression étrange que désormais ils vont devoir mutuellement s’apprivoiser, il est passé au travers de la haie pour tomber dans ce jardin inconnu, comme Alice au pays des merveilles était tombée dans le terrier d’un lapin alors allez savoir ce qui va se passer ?

 

Cela a du être une jolie femme, encore que la vieillesse lui aille bien, des cheveux légers aux reflets ivoire s’échappent de son fichu et ses yeux sont rieurs, ils ont un peu perdus de leur éclat mais restent malicieux. Elle est plus grande que son mari, ou est-ce son port de tête qui donne cette impression, elle a des pommettes marquées cuites par le travail en plein air et une cicatrice pâle au coin du menton, souvenir d’enfance, reste d’apprentissage de la pratique du vélo ou morsure d’un chien qu’elle a taquiné de trop prés ?

Elle se débrouille sans lunette ce qui la rajeunit, aux oreilles, de petits anneaux d’or qui doivent être une survivance d’un cadeau de communion solennelle, elle est vêtue d’un sarrau comme on peut encore en acheter sur les marchés à la campagne et d’un grand tablier gris comme en portent certains jardiniers ou les plongeurs de restaurants, bien qu’il fasse très chaud, un châle frangé lui enveloppe les épaules…

 

Son attention retourne à Georges, elle a raison de s’inquiéter, car en effet la cigarette échappée de ses lèvres fume doucement sur ses genoux, il pense qu’il ne craint rien vu l’état de béatitude dans lequel il apparaît, Dieu ne pourrait pas lui faire ça.

Il sent bien que Simone a envie de lui poser une voir plusieurs questions, mais elle n’en fait rien, sentant que bientôt le Nicolas aura rejoint Georges dans sa course aux étoiles.

 

-         Vous ne semblez pas être bien remis de votre nuit, si vous le désirez je peux vous installer dans une chambre pour que vous puissiez vous reposer.

-         Ce n’est pas de refus, cette nuit à été difficile.

-          Suivez moi je vais vous montrer la chambre ! C’était celle de nos garçons, désormais elle est vide.

 

Il ne se fait pas prier, et ils entreprennent de traverser toute la maison pour gagner une pièce dans la partie en pierre, cependant il ne voit pas la différence, la maison en bois préservée donne à l’ensemble intérieur un aspect lambrissé.

 

Il voudrait prendre le temps de regarder ce qui l’entoure, mais les séquences qu’il a traversées depuis son réveil ont épuisé toutes ses capacités de discernement, aussi a-t-il juste le temps de s’allonger sur le lit et Simone n’est pas sortie de la chambre qu’il dort déjà.