-         Nous avons une belle arrière saison ne trouvez-vous pas ?

 

Depuis un quart d’heure le chauffeur tente d’engager la conversation…Devant son peu d’empressement à lui répondre il finit par se lasser et enclenche radio Nostalgie.

 

-         Ouf toujours cela de gagné !

 

Ce pauvre homme n’y est pour rien, mais il commençait à la fatiguer, il n’avait pas cessé de la regarder dans son rétroviseur, et comme si cela ne suffisait pas il s’était mis à la questionner lui demandant son assentiment en terminant toutes ses phrases par des « Hein » appuyés, enfin devant son silence il a mis cette radio. Ce qu’il y a de bien avec elle c’est qu’on y entend toujours une chanson ou un morceau de musique qui vous rappelle quelque chose.

 

-         Madame, madame, nous sommes arrivés, voulez vous que je vous aide ?

 

-          Merci j’y parviendrai seule.

 

Le départ du véhicule lui fait pousser un soupir de soulagement, et elle peut concentrer son attention sur sa maison. Depuis son dernier passage la situation ne s’est pas arrangée, l’herbe sauvage et les plantes des massifs offrent un curieux spectacle de biodiversité, mais il ne reste plus grand-chose de ses savants arrangements et les herbes folles commencent à effacer les allées.

 Le sac de voyage lui broie l’épaule, elle pousse la grille et le dépose au pied du perron se disant qu’elle le récupèrera plus tard…

 

Ne pas entrer tout de suite, faire durer l’instant, respirer tout son soûl et se gorger de lumière. Elle entreprend de faire le tour du jardin à petits pas, cueillant une fleur, repoussant une branche de rosier, s’emplissant les narines de senteurs presque automnales.

Il faudra que je demande au jardinier de passer pour un grand nettoyage, elle se fait cette réflexion en reprenant son souffle assise sur le banc de pierre où elle aime tant venir lire les jours de grande chaleur. Il présente le charme d’être presque recouvert par un saule pleureur et des lauriers roses, une chambre de paix et de silence.

 

C’est un lieu parfait pour écouter les oiseaux qui s’ébattent sans crainte, quand ils ne voient personne, et là après quelques instants de silence ils s’en donnent à pleine joie.

Le soleil est trompeur, et le vent qui traverse le jardin la glace et l’amène à se diriger vers la porte d’entrée pour se mettre à l’abri. Elle a la bouche sèche et il lui faut d’urgence boire quelque chose pour retrouver un état de sérénité.

Elle contourne son sac en se disant qu’elle ressortira le récupérer tout à l’heure.

La porte se montre récalcitrante et il faut qu’elle la brusque un peu pour qu’elle cède, ce grincement et ce cliquetis de la vitre derrière la grille en fonte, elle les a souvent maudits se disant qu’il fallait qu’elle y remédie, mais aujourd’hui ils sont symbole de vie et cela la rassure et lui fait du bien.

 

La maison n’est pas très accueillante, il n’y a pas de chauffage, et les plantes abandonnées sans soins sont desséchées dans leurs assiettes, certaines sont entourées d’une couronne de feuilles mortes.

En entrant elle s’est effondrée dans un angle du canapé, et maintenant cela lui coûte de devoir s’arracher à la douceur de cet endroit où elle s’est lovée pour récupérer de ses efforts, et retrouver des sensations familières.

 

Si encore il n’y avait pas ce miroir au dessus de la cheminée qui lui renvoie l’image de l’ombre qu’elle est d’elle-même et ce visage sans sourcils qui ne la satisfait pas, mais qu’y peut-elle ?

 

Elle a sciemment organisé sa solitude dans un moment où elle aurait eu tant besoin d’une épaule solide et de bras chaleureux pour la réconforter, ne pas se montrer faible, ne rien devoir, ne pas s’afficher, son petit caractère quoi ! Ce n’est pas l’instant d’y penser, il faudrait mettre la chaudière en route, ce ne devrait pas être une tâche insurmontable, mais il faut tout de même aller jusqu’au fond du garage, puis allumer un peu de feu dans la cheminée pour l’ambiance et la chaleur car elle a froid jusqu’au fond des os.

Rester assise devant le feu enveloppée dans une couverture, avec posés près de soi une théière ventrue toute fumante, des petits gâteaux au gingembre, et un bon livre, la félicité presque suprême.

Elle s’attarde plus que nécessaire dans la cuisine qui est la pièce de la maison qu’elle préfère, lieu stratégique de vie, où tout ce qui est indispensable au bien être est là à portée de main.

 

Un voyant clignote sur le téléphone et machinalement elle enclenche la touche du répondeur :

-         C’est maman tu aurais pu nous indiquer la date de ton retour quand même, enfin appelle dès que tu seras là…

-         Alors ce stage cela valait le déplacement ? Toute la chorale t’attend, nous avons concert dans quinze jours…

-         C’est encore maman en arrivant téléphone moi et vient diner à la maison, cela t’évitera de faire des courses dès ton retour…

-         C’est moi, Louis mais je pense que tu as reconnu ma voix, c’est quoi ce silence, tu pars cinq semaines et pas un mot, pas un Mel, tu peux comprendre que je me pose des questions, si c’est terminé tu pourrais me le dire, mais pas ce silence. Je suis passé souvent devant ta maison, J’ai toujours les clés mais je n’ai pas osé entrer.

 

Après quelques minutes elle appuie sur stop, les messages se succèdent et se répètent, le répondeur est saturé, elle est bien consciente des problèmes qu’elle leur cause, mais comment faire autrement.

C’est particulièrement vrai pour Louis, dommage tout de même, elle commençait à être bien avec lui, pour une fois elle n’avait pas eu envie de partir en courant après quarante huit heures, mais désormais qu’avait-elle à lui offrir comme perspectives d’avenir.

 

Il n’y a rien dans le frigo, elle l’avait vidé avant de partir en pensant qu’elle ne reviendrait peut-être pas. Il faudra qu’elle appelle le chinois pour se faire apporter quelque chose de chaud.

Le lit n’est pas fait, de toute façon il est à l’étage et elle n’aurait pas la force de monter jusque là, elle dormira sur le canapé ou sur le tapis devant la cheminée.

 

En tirant sur son écharpe elle découvre son crâne et réalise en se voyant dans une vitre de la porte fenêtre qu’elle a un visage lunaire, elle se renveloppe la tête comme on ferait un pansement… mais ne peut retenir ses larmes

Et il va falloir rencontrer mademoiselle Christine, c’est même étonnant qu’elle n’ait pas encore sonné, Christine c’est la voisine qui assure la coordination et circulation de l’information dans le quartier.

Avant de partir elle lui avait promis de lui envoyer des cartes postales de Québec…

 

Vous en avez de la chance d’avoir obtenu ce stage lui avait-elle dit vous allez surement bénéficier d’une promotion à votre retour, mais n’allez pas vous installer là bas, vous nous manqueriez trop…

Pauvre mademoiselle toujours aux petits soins mais au regard trop perspicace et qui la regardait d’un œil scrutateur !

 

Allo le temple d’Asie, pourriez vous m’apporter un plateau repas, des nems et des bouchées vapeur avec un riz cantonais, c’est au 17 rue Alexandre Perrin. Merci.

 

Le vent a soufflé toute la nuit et brassé les feuilles sèches, ce matin le sac de voyage a presque complètement disparu…