Il y avait une famille de cinq enfants qui vivaient dans un domaine agricole aux confins d’une profonde forêt. Ils prospéraient grâce aux productions du domaine et pratiquaient un commerce dont nulle personne n’eut été capable de dire en quoi il consistait

 

La charge des enfants incombait à la gouvernante, comme toutes les charges d’ailleurs. Autant elle pouvait être à l’aise avec le personnel et les fournisseurs, autant elle se trouvait à la peine avec les enfants, à qui elle ne savait rien refuser ;

Quand leur mère prenait le temps de les regarder, elle se retournait vers la gouvernante les yeux écarquillés en disant « Ne trouvez vous pas qu’ils sont un peu replets ? Entendant par là grassouillets, rondouillards, ou encore dodus »

 

Il n’était jamais question de les mettre au régime quand leurs parents étaient là, ils n’auraient pas supporté de les entendre gémir et récriminer. Il fallait donc attendre que les parents soient absents, pour que la pauvre gouvernante, se retrouve avec en plus de son travail habituel, la responsabilité de les faires maigrir.

Avant de partir madame mère expliquait avec moult mouvements de bras et effets de châle

« Diable ma pauvre Sigismonde il faut vous secouer, ce n’est pourtant pas bien difficile il suffira de :

  • Diminuer les rations,
  • Choisir des mets adaptés : soupe aux herbes, carpe bouillie, tisanes
  • De leur faire faire de l’exercice
  • De leur donner l’habitude de travailler au jardin. »

 

Sigismonde pensait de par devers elle, que Madame et Monsieur étaient eux aussi fort replets et qu’il aurait été sage qu’ils s’appliquassent ce traitement à eux mêmes, mais même entre les mains du bourreau elle ne l’aurait pas avoué.

 

Par un printemps pluvieux, les maîtres prirent la route avec quantités de marchandises à vendre sur les foires, si l’on tenait compte du fait qu’ils devraient monter dans la charabine cela annonçait une tâche bien difficile pour l’attelage. Diable pensa la gouvernante en se signant que peuvent-ils bien fricoter avec tous ces sacs ?

 

Comme elle l’avait prévu, la mise au régime se passa très mal, elle dut fermer à double tour toutes les resserres et buffets, gardant les clefs pendus à sa châtelaine, faute de quoi les enfants auraient dévoré poulets et cochonnailles et vidé tous les pots de confiture.

 

Elle dut utiliser l’arme de dernier ressort pour venir à bout de leurs résistances. « Si vous continuez ainsi je vous mets à la soupe à la salsepareille (1)» c'est-à-dire à la diète.

 

La vie continua entre ronchonnements et tentatives de révoltes, trois valets ne furent pas de trop pour les prendre sous leur coupe et les emmener travailler dans les jardins.

Ils les installaient chacun dans un carré entouré de plessis avec la charge de le désherber sans endommager les cultures, ils finirent par y prendre plaisir et mettre du cœur à l’ouvrage.

Après quelques semaines de ce régime ils commencèrent à se sentir plus en forme et avaient perdu une partie de leurs rondeurs.

 

Un matin la plus jeune des sœurs vint les chercher, elle avait trouvé des légumes magnifiques qui poussaient dans les fins fonds du jardin, derrière une palissade.

Ils ramenèrent triomphalement ce qui ressemblait à une grosse courge et la jetèrent bruyamment sur la table de la cuisine.         1 : Liseron épineux

- Avec cela nous allons faire bombance et comme c’est un légume tu n’auras rien à redire, ce faisant ils firent une sarabande endiablée, tournant autour de la table comme des derviches.

 

- Jamais de la vie, vos parents ne mangent pas de ces légumes et il n’est donc pas question de vous les cuisiner…Deux minute de conciliabules, les garçons les voulaient frites dans l’huile, les filles préféraient une purée ; Une heure après, ils rotaient allègrement très fiers de leur exploit. Il faut dire que depuis des semaines c’était la première fois qu’ils étaient repus.

 

Le lendemain, ils ne renouvelèrent pas l’opération, leur digestion ayant été difficile. Mais le surlendemain nouveau festin, cette fois tout le monde les mangea en purée, et ainsi de suite purée, frites, et vice versa, pris dans leur frénésie ils ne se rendirent même pas compte que les courges étaient de plus en plus petites…Et qu’un beau matin il n’y en eut même plus du tout, ils constatèrent que le traitement infligé aux pauvres plantes les avait fait crever.

 

Privilège de la jeunesse, ils eurent très vite oublié l’affaire des courges, ayant jeté leur dévolu sur de nouveaux produits, les framboises, les fraises et tout ce qui avait le malheur de se trouver dans leur environnement immédiat. Ils étaient beaux, avaient grandi, étaient colorés comme des abricots d’avoir galopé tout l’été dans les jardins.

Seule Sigismonde s’arrachait les cheveux se demandant bien comment elle allait pouvoir justifier de la disparition des pieds de courge.

 

Un matin ce qui devait arriver arriva, un valet tout hurlant fit irruption dans la cuisine : « Les voila, les voila ». L’heure des comptes allait sonner, Sigismonde changea de bonnet, quitta son tablier, et partit attendre ses maîtres en haut des marches.

 

Comme de bien entendu, ils étaient moulu par leur voyage, ravis de leurs affaires, un peu plus replets que par le passé, après avoir festoyé de domaine en domaine.

 

L’arrivée des enfants les éberlua, ils ne les reconnurent pas tant ils avaient changé.

 

Madame profita d’un temps mort dans les congratulations, pour aller visiter son jardin secret.

 

On entendit un cri, puis plus rien ! Tout le monde avait fait silence et Sigismonde se signa.

 

Ayant couru jusqu’au jardin, ils trouvèrent Madame pâmée, le nez dans une cressonnière. Après quelques claques et avoir été adossée contre le tronc d’un cerisier elle hoqueta : «Mes courges où sont mes courges de longévité, elles me venaient d’un ancêtre Croisé, c’était des courges Mathusalem, il suffisait de manger les pépins pour vivre très longtemps, mais elles n’étaient pas mures, et maintenant il ne me reste plus rien !

 

Les enfants n’étaient pas fiérots, l’aîné décida de prendre la parole : nous les avons mangées, c’est ce qui fait que nous sommes si beaux et en si bonne forme, c’était très bon !

 

Sigismonde essaya bien de les disculper, je leur avais dit qu’il ne fallait pas manger ces légumes, mais Madame : «Vous le savez bien, ventre affamé n’à point d’oreille, reconnaissez par ma foi que ce régime forcé vous a donné de beaux enfants !...

 

Madame redevint Mère et regarda ses enfants, c’est vrai qu’ils étaient beaux.  

 

« - Sigismonde ne trouvez vous pas qu’ils sont moins replets »

 

Eux n’étaient déjà plus là, repris par leur esprit de vagabondage et leurs essais culinaires, ils venaient de découvrir des choux étranges qui, un jour, s’appelleraient « de Bruxelles »

 

 

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Atelier Contes : écrire un conte dont les protagonistes seront des frères ou/et des soeurs et dont la "morale" sera : "Ventre affamé n'a pas d'oreilles".