le boeing 777 en provenance de Los Angeles venait de s’abîmer en mer, on ne connaissait pas les causes du crash, accident ou acte de terrorisme, aucune piste n’était à écarter, d’importantes recherches étaient mises en œuvre pour retrouver d’éventuels survivants.

Angéla restait pétrifiée, la télévision continuait de dérouler sous ses yeux des images que son cerveau n’enregistrait pas.

L’avion…

Venant de Los Angeles…

La jeune fille tentait fébrilement de se rappeler la note qu’elle avait consignée sur son agenda.

14h15 – Roissy- Arrivée de Mme Leroy…

Un rapide calcul en tenant compte du décalage horaire…l’avion qui venait de disparaître ne pouvait être que celui dans lequel voyageait la patronne des Ets LEROY Père & Fils

Angéla se leva et se mit à arpenter les 15 m² de son studio. Elle ne savait que faire.

Retourner au bureau au risque de devoir jouer les messagers de la mort si personne n’était encore au courant ?

Se rendre à l’aéroport comme prévu ?

La sonnerie du téléphone la tira d’embarras, elle décrocha, une voix déformée par l’angoisse mais qu’elle reconnut aussitôt, lui lâcha dans un souffle

            ¾ Angéla, Geneviève est morte, son avion s’est écrasé…

La voix de Raymond Leroy se cassa dans un sanglot contenu.

            ¾ Viens vite.

Et la communication fut coupée.

Angéla attrapa sac et manteau et se retrouva dans la rue. Elle vola plus qu’elle marcha jusqu’aux portes de l’usine, elle n’eut pas la patience d’attendre l’ascenseur et elle se précipita dans l’escalier.

Quelques minutes plus tard, elle frappait à la porte du « boss » comme l’appelaient familièrement ses employés.

Raymond Leroy était assis à son bureau et il faisait tourner machinalement son fauteuil de gauche à droite et de droite à gauche. Son grand corps avachi ressemblait à une marionnette géante animée du  seul mouvement mécanique imprimé du bout de son pied.

Son regard était morne, ses traits s’étaient affaissés, il ne restait plus rien en lui de cet impétueux patron craint de ses concurrents et respecté de son personnel.

            Angéla le regardait sans oser approcher. Elle, la petite stagiaire choyée que ses patrons avaient pris en affection à tel point qu’elle se sentait de la famille ne savait plus quelle conduite adopter. Elle finit par choisir de s’asseoir sur  une des chaises destinées aux visiteurs, son regard balaya la pièce et par habitude, elle saisit au passage les tâches qu’elle allait devoir accomplir :

les dossiers à trier et classer, le papier à remettre sur le support du télécopieur, les cartouches de l’imprimante à vérifier, les cendriers à vider…

Elle en était là de son inventaire quand la voix de Raymond Leroy se fit entendre.

¾ Qu’allons-nous devenir, ma petite Angéla ? Sans elle, qu’allons-nous devenir ?

Il semblait attendre une réponse de Geneviève qui lui souriait sur la photo posée sur son bureau.

Angéla le regardait, pleine de commisération.

¾ Ne vous inquiétez pas, je suis là, je vais vous aider, murmura –t-elle.

Raymond Leroy leva la tête, il lui adressa un demi sourire et comme il s’apprêtait à lui répondre, un coup discret mais ferme fut frappé à la porte.

Sans attendre la réponse une femme entra dans le bureau. C’était une grande et belle quinquagénaire brune à l’allure altière qui semblait avoir posé sur son visage le masque de circonstance. L’air à la fois grave et soucieux, les gestes contenant leur naturelle impatience, Dorothée (qui s’appelait en réalité, Mauricette), la secrétaire de direction,  s’approcha du bureau.

Angéla s’était levée en la voyant entrer.

¾ Angéla ,vous pouvez nous laisser.

La jeune fille se dirigea vers la porte et avant de la refermer doucement derrière elle , elle jeta un dernier regard vers son patron qui s’était redressé dans son fauteuil.

Elle ne sut jamais ce qui s’était passé dans le bureau ce jour-là mais dès les premiers jours qui suivirent les obsèques de Geneviève Leroy, elle sentit un changement notable dans l’atmosphère de l’entreprise.

            Raymond Leroy avait repris ses voyages se déchargeant sur Dorothée de la gestion des affaires au quotidien. Cette dernière se comportait à l’égard de tous comme la nouvelle patronne et les rumeurs concernant une éventuelle liaison avec M. Leroy allaient bon train.

            Seule Angéla refusait de croire à cette éventualité tant elle restait persuadée que Raymond Leroy était trop attaché au souvenir de la défunte pour s’intéresser à une autre femme.

            Elle déchanta quand un matin, elle apprit par une note sur le panneau d’affichage, que tout le personnel était convié à un coktail devant fêter  les noces de M. Raymond Leroy avec Melle Dorothée Guérineau.

Les employés se trouvèrent partagés en deux camps, ceux que la nouvelle réjouissait car ils avaient su à force d’intrigues se gagner les bonnes grâces de Dorothée et ceux qui se sentaient tout à coup sur un siège éjectable et s’en effrayaient.

Quant à Angéla, elle n’était de connivence avec personne, son statut de stagiaire la maintenait dans une sorte de non existence. Les liens qu’elle avait tissés avec l’entreprise passaient par Raymond et Geneviève ; la mort de l’une et le remariage de l’autre avait rompu cette fragile filiation.

Elle était devenue orpheline.

Le retour du voyage de noces fut le théâtre de grands bouleversements. Dorothée osa ce qu’un          vieux fond de réserve lui avait interdit jusque là :  elle  investit le bureau de Geneviève Leroy.

Elle le transforma de fond en comble. Tapisseries, moquettes, mobilier, tout fut changé. La froideur de l’acier, qu’elle jugeait plus moderne et plus apte à imposer le respect dû à un chef d’entreprise, remplaça les boiseries que le grand-père de Raymond Leroy avait payé avec ses premiers bénéfices.

Si Angéla fut choquée par ce qu’elle considérait comme un manque de respect envers le fondateur de l’entreprise, elle ne fit aucun commentaire.

En revanche, elle fut très étonnée des deux nouvelles recrues qui sans lettre de motivation, ni curriculum vitae, encore moins d’entretien d’embauche furent retenues pour occuper les postes d’adjointes de direction.

Son stage touchait à sa fin. Geneviève Leroy lui avait laissait entendre qu’elle donnait toute satisfaction à l’entreprise, elle avait le profil requis pour un poste de cadre,  elle était discrète, travailleuse et compétente, bref,  « on » allait la garder.

Avec ces  nominations intempestives, tous ses espoirs s’envolaient.

Et quand elle apprit le nom des nouvelles embauchées, elle sut qu’elle n’avait plus rien à attendre de l’entreprise LEROY Père & Fils qui venait d’accueillir dans son sein, Garance et Bérénice Guérineau-Borel, les propres filles que Dorothée, désormais Leroy, avait eu d’un premier mariage.

Les deux jeunes filles, que le personnel ne tarda pas à baptiser, « les demoiselles de Rochefort » tant elles semblaient préférer « la ritournelle, les calembours et les bons mots » au travail de bureau, avaient introduit dans l’entreprise un air de légèreté et d’insouciance qui risquait de perturber la bonne marche des affaires.

Elle avaient fait d’Angéla, leur secrétaire privée ou plutôt leur bonne à tout faire. Répugnant d’abîmer leurs jolis ongles nacrés sur les touches des claviers, elles passaient leurs journées armées du dictaphone sensé enregistrer le travail qu’elles auraient dû traiter elles-mêmes mais qu’elles déléguaient à Angéla. Cette dernière devait alors passer toutes ses soirées à tenter de débrouiller les fils du galimatias entrecoupé de conversations privées sur portable qui constituait l’essentiel des enregistrements.

Tant bien que mal, elle parvenait à reconstituer les dossiers, à finaliser les projets, à donner de la cohérence à un ensemble qui le plus souvent, relevait de la plus grande fantaisie.

Au fil des jours, Garance et Bérénice ne se donnèrent même plus la peine de faire semblant de travailler, elles passèrent leurs journées au téléphone où de mystérieux interlocuteurs les faisaient pouffer de rire.

Angéla dut transférer les données de l’entreprise sur son ordinateur personnel, puisque ces demoiselles, quand elles n’étaient pas au téléphone, s’absorbaient dans d’interminables conversations virtuelles via facebook.

Un matin qu’Angéla passait devant le bureau des Attachés de Direction, elle surprit une conversation entre les deux sœurs.

¾ Ce travail m’assomme, je n’en peux plus.

¾ Pareil pour moi, toute cette paperasse me rend dingue.

¾Et encore…Heureusement que nous avons la dévouée  Cendrillon !…

Et toutes deux de s’esclaffer bruyamment.

Angéla ne douta pas un instant que c’était elle qui avait hérité du sobriquet. Elle n’en fut pas choquée, tout juste un peu agacée de constater que ces deux pimbêches n’étaient pas même capables de reconnaître que c’était grâce à elle qu’elles pouvaient en toute humilité se trémousser de plaisir quand Raymond Leroy les félicitait pour la qualité de leur travail et les donnait en exemple à toute l’équipe du personnel qui ne disait mot mais n’en pensait pas moins.

En effet, depuis l’arrivée de Garance et Bérénice, leur mère elle-même, s’était relâchée.

Elle avait délaissé la gestion des affaires pour celle de ses loisirs. On voyait ainsi Madame Leroy accompagner Monsieur Leroy dans le moindre de ses déplacements et ces derniers temps, elle avait été particulièrement gâtée puisque le projet de fusion avec la grande firme californienne Garfield & Son les avait fréquemment amenés sur la Côte ouest des Etats Unis.

Elle revenait des States les bras chargés de cadeaux tous plus fashion les uns que les autres et l’on voyait alors cette chose incongrue dans la très vénérable entreprise LEROY Père & Fils : le bureau de la direction transformé en salon d’essayage.

Garance et Bérénice, dans le crissement du papier de soie qu’elles jetaient à leurs pieds en déballant les cadeaux, se pavanaient avec leurs nouvelles robes made in America devant leur mère qui s’extasiait avec force You’re so cute!…

Angéla était prise à témoin et chargée de donner son avis sur la couleur du tissu qui allait le mieux au teint de l’une et la coupe de la jupe qui serait la plus seyante pour la taille de l’autre.

Dorothée, dans sa grande mansuétude ne manquait jamais de rapporter à la jeune fille un petit quelque chose – c’est le geste qui compte- ne manquait-elle pas d’ajouter.

Et c’est ainsi qu’Angéla avait désormais une impressionnante collection de T’shirts déclinant à l’envi toutes les villes américaines sur le fameux slogan :

 


                                                                      

                                                                         

 

 

Cependant, Mme LEROY avait rapporté d’Outre Atlantique une information bien plus précieuse que les falbalas offerts à ses filles chéries.

Elle attendit la fin de la journée pour dévoiler la mystérieuse nouvelle.

Pour l’occasion, elle avait invité Garance, Bérénice et Angéla dans son bureau qu’elle n’occupait plus guère. Quand les trois jeunes filles entrèrent, elle était assise dans son grand fauteuil dont elle caressait le cuir d’un geste distrait, elle semblait perdue dans ses pensées et c’est la voix impatiente de Bérénice qui lui fit lever la tête.

¾ Et alors ? Qu’avais-tu de si important à nous dire ?

Ménageant ses effets, le sourire aux lèvres, Dorothée ne répondit pas directement.

            ¾ Vous allez a-do-rer !

Angéla attendait patiemment tandis que les deux demoiselles semblaient au bord de la crise de nerf.

            ¾ Eh bien…je l’ai rencontré…En personne. Mon dieu, qu’il est beau !

            ¾ Pour l’amour du ciel, de qui parles-tu ? s’exaspéra Garance.

            ¾ Mais enfin, de John Garfield Jr., avec qui nous allons nous associer.

            Angéla qui avait suivi pas à pas le projet de fusion connaissait le jeune patron américain pour avoir communiqué  avec lui par visioconférence.

Quant à Garance et Bérénice, elles rassemblèrent leurs souvenirs de lecture de la presse people et s’exclamèrent en choeur.

¾ Tu l’as vu en vrai ?

Leur réaction fit sourire Dorothée et Angéla, la première parce-qu’elle la trouvait attendrissante, la seconde complètement inepte.

¾ Non seulement je l’ai vu mais j’ai réussi à le convaincre de venir à mon bal masqué.

Et elle croisa ses mains sur sa poitrine d’un air conquérant.

            ¾ Il va falloir nous le séduire ce charmant jeune homme.

La consigne avait été bien comprise par les deux sœurs et elles n’hésitèrent pas à prendre quelques jours de congés pour s’offrir une thalassothérapie qui allait leur faire la peau fraîche et détendue.

            Après tout, n’étaient-elles pas en service commandé ?

            De son côté, Angéla n’était pas en reste pour contribuer à faire de cette soirée une parfaite réussite.

On la voyait courir tout le jour, tantôt chez le traiteur, tantôt chez le fleuriste, souvent chez le couturier où elle avait l’insigne honneur de surveiller la confection des costumes de ces demoiselles. Ces dernières avaient multiplié les essayages avant leur départ pour leur cure de beauté afin disaient-elles d’évacuer tout le stress qui auraient pu nuire à l’efficacité des soins.

Angéla participait à la fièvre qui précédait l’événement tout en sachant qu’elle ne vivrait l’événement lui même que par procuration. En effet, quand elle avait demandé timidement si elle pouvait être de la fête – après tout c’était elle qui servait d’interprète chaque fois qu’il y avait une communication avec l’Amérique- on lui avait fait sèchement remarquer qu’elle ne faisait pas partie des cadres de l’entreprise, qu’elle n’était qu’une stagiaire.

Et Garance qui était confite en méchanceté comme d’autres en dévotion, avait ajouté l’argument  rédhibitoire.

¾ Ma pauvre fille, regarde toi, tu te fagotes à l’as de pique, tu es maigre comme un clou, tu ressemble à rien. Tu ferais s’enfuir à toutes jambes notre bel américain.

            Les ricanements qui avaient ponctué ces cruelles paroles l’avait rempli d’amertume et Angéla  s’était très vite remise au travail pour oublier sa déconvenue.

Dans l’entreprise, tous s’étaient laissés gagner par la fièvre ambiante et semblaient ravis par la perspective de cette belle réception dont ils ne seraient pas. Certains esprits chagrins ou simplement plus lucides qu’angoissait la fusion annoncée, laissaient entendre que les lendemains de fête on pouvait se réveiller avec de terribles gueules de bois.

            Angéla  qui se sentait gagnée par l’angoisse, ne savait plus si c’était parce qu’elle partageait le pessimisme de ces Cassandre ou plus prosaïquement parce qu’elle regrettait de ne pas avoir été conviée aux réjouissances.

            Un soir qu’elle s’était attardée dans le bureau de Raymond Leroy pour terminer un dossier, ce dernier qu’elle croyait rentré chez lui depuis longtemps fit irruption dans la pièce.

Surpris de la trouver encore au travail, il s’arrêta sur le pas de la porte.

            ¾ Eh bien, ma petite Angéla, toujours sur le pont à cette heure ?

Il s’approcha d’elle et la regarda avec attention.

            ¾ Je te trouve bien pâlotte, tu n’es pas malade au moins ?

            ¾ Non, non s’empressa de répondre la jeune fille.

Et Raymond Leroy d’ajouter.

            ¾ Ce serait vraiment trop bête d’être malade le jour du bal.

Angéla resta silencieuse un instant, puis dans un demi sanglot, elle balbutia.

            ¾ Mais…Je ne suis pas invitée.

Devant l’incrédulité de son patron, Angéla dut relater l’épisode du camouflet qu’elle avait reçu. Elle le fit sobrement car elle n’avait pas l’intention d’attirer sur Dorothée et ses filles, les foudres de Raymond Leroy. Cependant, ce dernier prit toute la mesure de son immense déception.

Le silence s’était installé, Angéla avait éteint l’ordinateur et elle s’apprêtait à partir, quand Raymond Leroy la saisit par le bras et la força à s’asseoir. Il se mit à arpenter le bureau à grandes enjambées nerveuses puis s’arrêta brusquement.

¾ Tu vas y aller à ce bal, c’est moi qui te le dis.

¾ Non, je ne peux pas, Dorothée sera furieuse si je désobéis à ses ordres.

¾ Elle n’en saura rien.

¾ ?????

Raymond Leroy se mit à rire devant son air interrogateur.

            ¾ Réfléchis, il s’agit bien d’un bal costumé et masqué, comment veux-tu qu’elle te reconnaisse si tu es masquée.

            Angéla se prit à sourire, elle avait tant envie d’aller à cette fête, mais une dernière crainte la retint.

            ¾ J’ai entendu dire qu’à minuit, toutes les femmes devraient montrer leur visage pour l’élection de la reine de la soirée. C’est M. Garfield qui en choisissant un des masques désignera l’heureuse élue.

            ¾ Il te suffira de partir discrètement avant minuit, ainsi personne ne te reconnaîtra.

Et c’est ainsi que pendant les quarante-huit heures qui précédèrent le fameux bal, Angéla déserta l’entreprise. On mit son absence au crédit de la fatigue provoquée par la surcharge de travail des derniers mois.

            Quant à Dorothée trop absorbée par ses préparatifs, elle ne fit aucun cas des absences de son mari dont au demeurant elle n’attendait aucune aide.

            Loin des préoccupations de chef d’entreprise, Raymond Leroy, pour la première fois de sa vie, passait l’intégralité de son temps dans une activité futile. Il avait six ans, il jouait. Toi tu serais la princesse et moi je serais le magicien. Il se surprenait à se disputer avec Angéla pour le choix d’un tissu ou d’un accessoire. Il assistait à la transformation de la terne jeune fille qu’il  avait connue jusqu’à ce jour. Le costume qu’ils avaient choisi épousait à merveille la fine silhouette que d’aucunes jugeaient trop maigre et Angéla elle-même peinait à se reconnaître dans le miroir.

Au moment de mettre la touche finale au costume d’Angéla, Raymond Leroy avait eu une idée.

¾ Tu ne vas pas prendre une banale voiture pour aller à cette soirée, tu es une reine et les reines se promènent en calèche.

Et c’est ainsi que le soir du bal, une belle jeune fille portant une somptueuse crinoline couleur nacre descendit d’une calèche et fit son entrée dans la salle. L’orchestre venait d’entamer une valse de Vienne et Raymond qui derrière son masque fit un clin d’œil à Angéla, trouva que décidément la providence était bonne fille. La petite Angéla en Impératrice d’Autriche ne pouvait rêver meilleur accueil !…

Il passa dans l’assistance une subtile agitation, on s’attendait presque à ce que chacun plongeât dans une profonde révérence. Il n’en fut rien mais un fringant marquis de La Fayette s’approcha de la jeune fille d’un air conquérant et l’entraîna sur la piste de danse.

Angéla en écoutant son cavalier se débattre avec le français avait très vite deviné l’identité de son beau cavalier mais elle ne voulut pas se trahir en  répondant à John Garfield Jr dans sa langue. Malgré les difficultés de communication, ce dernier lui fit une cour assidue et Angéla étourdie de musique et de danse ne vit pas le temps passé.

Quand elle entendit dans un roulement de batterie l’animateur déclarer :

¾ Mesdames, Mesdemoiselles, dans deux minutes vous viendrez déposer vos masques, elle en fut horrifiée, il était presque minuit, il fallait qu’elle parte sans tarder.

Dans l’effervescence générale qui suivit l’annonce, elle réussit à échapper à l’attention  de son prince charmant et elle se dirigea vers la sortie aussi vite que lui permettait son encombrante crinoline. Arrivée au bas de l’escalier, elle se débarrassa de son ravissant loup de dentelle assorti aux motifs de sa robe afin d’affronter plus sûrement l’obscurité de la rue.

Le lendemain matin, toute l’entreprise bruissait des échos de la fête de la veille. Angéla était depuis bien longtemps installée devant son ordinateur quand les deux sœurs firent irruption dans le bureau.

¾ Quelle belle soirée nous avons eue.

¾ Et quels merveilleux costumes.

¾ Le plus beau étant sans conteste celui de l’Impératrice d’Autriche reconnut Garance, une pointe de jalousie dans la voix.

Et Bérénice d’entreprendre auprès d’Angéla la description de la robe dans ses moindres détails.

¾ Qui portait cette splendeur ? demanda –t-elle innocemment .

Les deux jeunes filles durent avouer leur ignorance, tous avaient dû reconnaître la beauté de la mystérieuse invitée mais personne n’avait pu lui donner un nom puisqu’elle était partie avant le retrait des masques.

            ¾ Et à cause d’elle, ajouta Dorothée qui venait de faire son entrée dans la pièce, ma  clôture de soirée à été gâchée.

            ¾ Et pourquoi ? interrogea Angéla.

            ¾ John Garfield Jr a refusé d’élire la reine de la soirée au prétexte qu’elle ne pouvait être que celle qui s’était enfuie en abandonnant son masque dans l’escalier.

            ¾ Et alors, que compte t-il faire désormais ? s’enquit Angéla avec un demi sourire.

            Elle eut la réponse la semaine suivante quand dans le journal de l’entreprise, à la rubrique « festivités », elle lut : Afin d’élire la reine du bal j’invite toutes les dames et demoiselles qui ont participé à la réception de Mme Dorothée Leroy à me rejoindre en mon hôtel, le samedi 18 avril. Costumes et masques exigés – signé :John Garfield Jr.

            Les filles de Dorothée furent transportée de joie à l’idée de revoir le bel Américain, chacune caressant l’espoir d’être élue reine de la soirée.

Elles feignirent de plaindre la pauvre Angéla d’être privée d’un tel plaisir.

            Cette dernière ne fit aucune remarque mais elle se sentit partagée entre la soumission et la révolte. Après avoir hésité de longues minutes, la perspective de se retrouver une nouvelle fois parmi cette belle assemblée vainquit ses fragiles réticences, elle décida de se rendre à l’invitation.

Elle n’avait plus son masque ?  Qu’importe ! celui qu’elle trouverait dans la première  boutique venue ferait l’affaire.

            Quand elle pénétra dans le salon de l’hôtel, les conversations se turent, un jeune homme se détacha de l’assemblée et s’avança vers elle, il n’était pas costumé mais il tenait à la main un loup en dentelle de couleur nacre. Il s’approcha d’Angéla et d’un geste doux, il lui retira  le banal masque de carnaval qu’elle avait posé sur son visage et lui dit.

            ¾ Prenez plutôt celui-ci, il est mieux assorti à votre robe.

Les femmes présentes retinrent leur souffle quand elle découvrirent que la gracieuse Impératrice n’était autre que la petite stagiaire des Ets Leroy Père & Fils.

Quelques mois plus tard, Madame Dorothée Leroy, M. Raymond Leroy, Mesdemoiselles Garance et Bérénice Guérineau-Borel  reçurent le carton suivant :

                                                Monsieur John Garfield Jr

A  le plaisir de vous inviter

Le samedi 27 juin

A fêter la nomination  de Madame Angéla Garfield

Au poste de Présidente Directrice Générale

De la Garfield & Leroy Company

A Los Angeles

15 Franklin avenue.

 

 

 

                                                                                                          FIN