Une scie lancinante qui me vrille le cerveau et qu’à l’époque de ma rupture avec Michèle,  je m’étais imposée.

            Pour que reste en moi cette femme, dans une présence quasi matérielle, chaude de notre dernière rencontre, pleine de ses parfums d’après l’amour.

            On allait si bien ensemble…

            Stéphane, mon meilleur ami ne comprenait pas ce qu’il prenait pour du masochisme.

Je n’ai jamais su exprimer mes sentiments et encore moins les manifester, comment aurait-il pu deviner que je vivais l’expression l’avoir dans la peau au sens littéral des mots, que la musique qui entrait par tous les pores de mon corps comblait une absence qui me déchirait ?

            Il n’avait accès qu’à la superficie des choses, ces choses futiles que l’on donne à voir en société, des corps qui se croisent et s’effleurent sans conséquence.

            Des marionnettes, trois petits tours et puis s’en vont…

            C’est lors d’un réveillon de la St Sylvestre chez Stéphane, que j’avais rencontré Michèle pour la 1 ère fois.

            De guerre lasse j’avais fini par céder à sa pesante sollicitude.

-          Tu ne vas pas jouer les ours un soir de réveillon. Viens. J’ai plein de copines célibataires. Il y en aura bien une à tout goût. Même si c’est pour un soir !...

-          Surtout si ce n’est que pour un soir avais-je rétorqué avec ce que je prenais pour de l’humour.

            Bref, je m’étais préparé sans enthousiasme à passer une de ces soirées convenues où chacun se croit obligé d’afficher une joie de bon aloi jusqu’à une heure avancée du petit matin tout en se disant aux douze coups de minuit « bon dieu, qu’est-ce que j’aimerais être Cendrillon et me barrer en courant » !...

            En arrivant chez mon ami, je constatai que la soirée avait bien démarré, les verres circulaient, la fumée des cigarettes ne sentait pas l’eucalyptus et les éclats de rire couvraient la musique. Pour me mettre dans l’ambiance, j’avalai prestement un verre de punch et tout en restant campé dans cet endroit stratégique que représente le buffet, je balayai l’assemblée du regard. De nombreuses têtes connues sur lesquelles je ne m’attardai par particulièrement préférant me frotter, au propre comme au figuré, à ces belles célibataires dont Stéphane m’avait rebattu les oreilles.

            Au moment où je m’apprêtais à aller à la rencontre d’un ami, la porte du salon s’ouvrit

et une jeune femme fit son entrée avec une discrétion ostentatoire qui suspendit quelques secondes les conversations en cours.  Elle fit mine d’être gênée de son retard, puis d’un geste lent, presque affecté , elle retira son bonnet et ses gants.

            C’est là que j’ai craqué. Quand elle a retiré ses gants.

            Je me suis refait le film mille fois.

            Avec des « si ». Et si nous n’avions pas été un 31 décembre, elle n’aurait pas eu de gants… Et si je n’étais pas allé à ce réveillon, je ne l’aurais pas rencontrée…

            Et si…et si…

            Nous nous sommes salués.

            Sa joue était fraîche de la fraîcheur du dehors, son parfum citronné m’évoquait l’Andalousie, sa voix un peu rauque déversait des torrents de sensualité.

            Messieurs les phéromones, bonjour !

            Je suis comme un con. Piégé.

            La soirée s’est poursuivie presque sans moi et pourtant j’avais l’impression de me sentir vivant à 150 %. J’entendais les battements de mon cœur qui se confondaient avec les cadences de la musique disco. Je me surprenais à me mêler à la foule des danseurs, profitant de cet état de grâce que procurent l’alcool et l’ambiance d’une soirée pour me trémousser sur des rythmes que j’aurais avoué exécrer une heure auparavant.

            J’étais profondément ridicule.

            J’étais bien.

            Au moment de partir, j’avais proposé à Michèle de la raccompagner. Pendant tout le trajet du retour, nous avions bavardé comme si nous nous connaissions depuis toujours.

            Arrivés devant chez elle, je l’avais suivie très naturellement jusqu’à son appartement où nous avions poursuivi notre conversation.

            C’est en me réveillant le lendemain sur son canapé que je me rendis compte que j’avais passé la nuit chez elle. Mais sans elle.

            Avec le recul, je me dis que j’ai raté mon entrée dans sa vie. Je me suis appliqué à lui donner la réplique dans un rôle qu’elle avait créé pour moi. Je reconnais que je n’ai fait aucun effort pour résister, je me suis coulé dans le personnage avec un plaisir trouble, celui de profiter des miettes de bonheur qu’elle voulait bien me donner.

            Notre relation est restée ambiguë, oscillant entre l’amour et l’amitié, des intermittences du cœur sans les aspérités de la passion, sans ses fulgurances non plus.

            Quand Stéphane me demandait avec la délicatesse qui le caractérise :

            -Est-ce qu’au moins c’est un bon coup ?

            Je ne savais quoi répondre tant pour moi la satisfaction de mon corps ne trouvait pas l’écho souhaité dans ma tête.

            Je n’étais pas malheureux, je m’efforçais d’abonder dans son sens quand elle louait cette amitié amoureuse ou cet amour amical qui nous unissait mais avec le temps la situation me devint insupportable et insensiblement, nous nous éloignâmes loin de l’autre.

            Quand je rencontrai Alice, ce fut simple, elle ne mélangeait pas les genres, elle devint mon amoureuse et je cessai de voir Michèle.

            Cela fait trois ans. J’ai tenu le coup trois ans, mais je sais qu’elle est toujours là, en arrière plan de ma conscience. Présence en filigrane.

            Et elle m’a appelé. En entendant sa voix, j’ai ressenti comme avant le petit choc dans la poitrine.

            Pourquoi ai-je accepté ce rendez-vous ?

            Et pourquoi chez moi ? Je reconnais que je l’ai balisé ce rendez-vous, en le limitant dans le temps. Désir de me protéger.

            Ma nuit a été courte et j’ai du mal à me remettre les neurones en état de marche. A moins que ce soit l’excitation mêlée à l’anxiété des retrouvailles qui me perturbent….

            Me voilà devant mes vêtements comme une collégienne avant le rendez-vous avec son premier flirt ! Qu’est-ce que je vais mettre ?

            Mon choix s’arrête sur un pull qu’elle aimait bien et que je n’ai jamais remis.

            Un peu court, un peu moulant . Il a dû rétrécir au lavage…

            Et tout à coup, elle est là, devant moi, avec toujours cette lueur tendre et ironique dans le regard.

            Notre reprenons le fil de notre conversation, le silence de ces trois années n’a pas rompu le fil de la connivence qui se renoue instantanément.

            Comme avant, nous débattons de tout.

            Comme avant, elle a soudainement froid et je dois lui prêter un vêtement chaud.

            Comme avant mes mains frôlent ses cheveux quand je l’aide à enfiler un de mes pulls.

            Comme avant j’attends la caresse qui va descendre le long de mon ventre et s’attarder à la lisière de mon pubis pour faire naître l’impatience du désir.

            Un instant, mon regard se perd dans le sien. Qui fuit dans un ailleurs.

            J’enserre avec rage mon mug de thé brûlant, c’est moi qui tout à coup ai froid. J’interroge Michèle sur sa vie mais les battements de mon cœur m’empêchent d’entendre ses réponses.

            Dans quelques minutes, la porte va s’ouvrir, mes parents vont entrer, et une nouvelle fois, la femme de ma vie partira. Sans savoir.

                                                                              =-=-=-=-=-=-=-=-=-=

 

 

 

PS: Mais qui est donc  LaurentIII ? Vous le saurez quand les masques tomberont, soit le 30 janvier, à moins que l'atelier ne joue les prolongations...