Un petit garçon qui vit moitié dans le rêve, moitié dans la réalité, moitié sur la terre, moitié dans le ciel, dans les rêves, les contes et les légendes.

 

Il pose un peu problème à son entourage, car il veut toujours savoir pourquoi? Comment? Mais !!!

Ce qui a un peu tendance à agacer, tout simplement parce que les grandes personnes ne sont pas toujours capables de lui répondre ... ou que des "pourquoi" et des "comment", ils en ont déjà tant et tant dans leur vie quotidienne.

 

Petit Homme, c’est ainsi que l’appelle sa Maman !!!

Ses amis pour leur part l'appellent Microbe, car il est tout petit, et par suite Micro en langage de cour d’école.

 

Micro,  a donc pris l'habitude, quand personne ne veut ou ne peut lui répondre, de se débrouiller seul pour trouver des explications et ma foi, jusqu'à ce jour, cela ne lui a pas trop mal réussi puisqu'il a toujours trouvé la réponse à ses investigations ou compris que les adultes n’étaient  pas en mesure de lui répondre, ou ne savaient pas expliciter leurs raisonnements, ou encore qu’ils n’avaient pas de réponses adaptées à son entendement.

 

-    Dis... pourquoi les hommes ils se font la guerre?

-    Ben... heu!

-    Dis... pourquoi les hommes laissent les enfants mourir de faim, un toutes les deux secondes qu'il a dit le monsieur à la télé?

-    On dit télévision !

-    Oui, excuse moi, mais tu ne m'as pas dit pourquoi!

 

Et ainsi de suite... Il a le chic pour trouver les questions qui font bégayer et se gratter la tête.

Devant l'incapacité des grandes personnes, il se replie doucement  sur lui-même, ne parlant pratiquement plus sauf à Plum, son ours en peluche, à qui il manque une patte.

 

Il reste assis des soirées entières dans sa chambre sans allumer une seule lampe, écoutant les bruits autour de lui, attendant que sa maman l'appelle pour le dîner.

Or, un soir qu'il est là, perdu dans ses pensées, se racontant des histoires merveilleuses, il reçoit une visite inattendue.

 

La lune glisse sa face pâlotte entre des bancs de nuages et s’infiltre entre les rideaux entrebâillés. Il la contemple longuement, et ils restent face à face dans une rencontre sans parole.

 

Pour Micro, la Lune est quelque chose d’extraordinaire :

- Comment fait-elle pour tenir en l'air sans nous tomber sur la tête?

- Comment fait-elle pour être éclairée dans la nuit ?

- Pourquoi change t-elle sans cesse de forme ?

 

La première fois qu'il l'a vue, ou qu'il se souvient l'avoir vue, il s'est demandé comment le disque du balancier de pendule de sa mamie avait pu se retrouver là-haut en plein ciel ! Et depuis pour lui, la lune est restée un symbole du temps, puis il l'a un peu oubliée.

Et voilà que ce soir elle vient le voir, s'arrêtant un moment en face de sa fenêtre. Elle revient ainsi pendant vingt-huit jours, il le sait bien puisqu'il a fait des petites croix sur une feuille de papier. Puis elle a changé de forme n'étant plus qu'un croissant et puis plus rien du tout.

Il se demande ce qu'il a pu faire ou dire qui l'ait mis de mauvaise humeur au point qu’elle ne  vienne plus le voir! C'est au cours de l'une de ces absences qu'a germé cette idée étonnante.

Lors de leurs rencontres, Micro a pris l'habitude d'observer son amie à la jumelle, de grosses jumelles de marine qui appartiennent à son papa et, à son grand étonnement, il a constaté que la lune ne lui présentait jamais que la même face.

Je l'ai mal observée, pense-t-il, et il attend avec impatience la pleine lune suivante et là : il observe avec une très grande attention, jour après jour, mais rien, elle monte de derrière la ligne de chemin de fer, semble plafonner au dessus du stade, puis disparait derrière les coteaux boisés.

 

Mais chaque jour, le rituel est le même, le parcours identique, sa face inchangée.

Micro change ses heures d'observation mais là encore, rien n'y fait, la lune imperturbable ne lui présente que sa face au sourire narquois.

 

Plusieurs matins, sa mère le retrouva endormi la tête sur son oreiller posé sur l'appui de la fenêtre, mais malgré ses questions, elle ne tira rien de son garçon.

 

Ce dernier reste persuadé que la lune lui fait une farce, aussi cherche-t-il à la surprendre à un moment où elle se retourne, mais là encore : rien.

 

Jamais il ne peut la prendre en défaut. Même la fois où elle apparait en plein après-midi, le narguant pendant la classe, à la récréation, il rentre de l'école en courant, se précipite dans sa chambre, met au point ses jumelles, mais rien. La lune semble bien s'amuser de sa déception.

Les jours suivants, il se cache pour observer le ciel, tantôt dans le gros marronnier planté dans la cour, tantôt sous l'appentis où sont abritées les cabanes à lapins, d'autres fois encore, derrière le vasistas du grenier. Mais non, il n'y a pas moyen de surprendre la lune présentant son envers.

 

Micro est très déconcerté. S'est-il trompé ? La lune n'a-t-elle qu'une seule face ? Pourtant il est persuadé qu'elle n'est pas collée à la voûte céleste. La preuve, elle se déplace et change de forme. Est-ce une coquette, voire une moqueuse ?

 

Quand un jour, la vérité lui apparait toute simple : de ce côté de la terre on peut observer une face de la lune, mais... de l'autre côté, c'est évident, on doit pouvoir observer l'autre face, il suffisait d’y penser…

Facile à dire, mais pas facile à réaliser quand on est encore qu’un Petit Homme, néanmoins il se met à réfléchir à la question et à échafauder des plans.

Après quelques semaines de réflexions, sa décision est prise,  il vide son cartable à bretelles, y installe Plum, une tablette de chocolat et les jumelles de son père, puis il attend que le moment soit propice.

 

Quand toute la maison est silencieuse, il se glisse dans le jardin et court jusqu'à la gare, la lune est discrète, à son dernier quartier, mais elle semble veiller sur lui. Il s'installe sur une banquette à l’ abri de la marquise de la gare et attend le premier train.

 

Pour un voyage mouvementé, ce sera un voyage mouvementé...

Il a opté de partir vers l’horizon là où le soleil se lève, sur une des cartes de géographie pendues dans sa classe il a vu qu’ainsi il ne rencontrerait pas la mer, se débarrassant ainsi du problème qui lui aurait été posé par la traversée.

Quel voyage! Oh oui, quel voyage! Des trains, encore des trains. Des gares, des langues inconnues, des paysages étonnants, des nourritures qu’il n’arrive même pas à identifier, puis un beau jour : la steppe.

Il la connait déjà, ayant vu le film Michel Strogoff. Mais il ne voit pas son voyage comme une grande personne, il est comme un enfant qui poursuit un rêve.

 

Tout lui parait beau, tout l'attire, les sons, les odeurs, les couleurs, les visages. Plusieurs fois il a été tenté de descendre du train pour suivre des enfants de son âge :

Petites vendeuses aux robes bigarrées portant des plateaux de galettes ou de fruits, garçons en bottes et pantalons bouffants vendant de la soupe dans des bouteilles ou caracolant sur des chevaux, leur faisant réaliser des voltes gracieuses, enfants jouant au ballon avec des boules de chiffons, mais aussi quelle chance ils ont, des jeunes gens perchés sur des camions qui, l'air impassible, saluent les passagers en agitant leurs chapkas. Il leur a répondu en agitant son ours.

 

Après quelque temps une angoisse l’a saisi. La lune qui lui apparait chaque soir dans le ciel ne semble toujours pas décidée à montrer son envers, elle semble fuir toujours plus à l'est, donnant l’impression de le narguer. Peut-être a-il commis une erreur en partant dans cette direction. Peut-être aurait-il fallu être plus rapide et ainsi pouvoir  la surprendre ? Il a toujours rêvé de savoir voler mais pour l’instant il se demande toujours comment y parvenir.

Un beau matin, il  arrive dans un port, tout étourdi,  fatigué,  poussiéreux, le dos rompu par les banquettes de bois. Il ne sait pas lire la langue du pays, mais il pense qu’il est arrivé à Vladivostok, il se souvient l’avoir lu sur la carte, il a la curieuse impression d'avoir atteint le bout du monde.

 

Ce n'est qu'à ce moment de son aventure qu'il pense à ses parents, à leur inquiétude, leurs angoisses. Il rejette rapidement cette pensée, il y a trop de choses à voir.

 

Il déambule sur le port, cherchant un bateau susceptible de l'emmener plus loin. Toute la journée, il se faufile dans les docks cheminant entre les amarres  et les containers sans réussir à trouver le moyen d'embarquer, pourtant, il en a vu des histoires à la télévision au cours desquelles des enfants se glissaient à bord des bateaux avec une grande facilité au moment ou le marin de garde avait l’attention attirée par le chargement en cours. Quand la nuit tombe, elle le trouve endormi sur des balles de laine d'Europe centrale, à l'odeur acre.

La caresse de la Lune sur ses paupières l'éveille, il sort rapidement les jumelles de son sac, les met au point... Et reste pétrifié en constatant qu'il ne s’est rien produit,  aucun changement.

 

La déception est vive et les larmes se bousculent dans ses yeux. Un vieil homme conduisant une mule accompagnée de ses deux chiens, a observé son manège. Quand il le voit pleurer, il s'approche de lui en souriant, Micro est très heureux que quelqu'un vienne à son secours. Après un moment, il sèche ses larmes tandis que l'homme le tient par les épaules. Ce doit être un Mongol ou un Tartare car il a de grandes moustaches et un drôle de chapeau.

 

Micro lui explique son aventure, l'homme hoche la tête en émettant de petits bruits avec ses lèvres. Quand il a fini son récit l'enfant n’est pas du tout étonné d'entendre l'homme lui répondre dans une langue qu'il comprend, sauf que c'est un langage de grande personne. L’homme lui explique que la lune ne montre effectivement jamais qu'une seule face, que c'est pour faire rêver les hommes, pour les inciter à venir voir eux-mêmes ce qui se passe de l'autre côté. Qu'il en est toujours de même et cela pour tout,  que c'est ce qui fait l'aventure humaine et le sel de la vie,  que si lui, petit homme, garde un esprit aussi aventureux, il aura une vie extraordinaire et pleine d’aventures.

Mais Petit Homme ne l'entend plus. Il est blotti sur les genoux de l’homme et dort en tétant la patte de son ours. L'homme le prend dans ses bras,  l’emporte  à l'intérieur, l'enveloppe chaudement dans une couverture,  décroche le téléphone pour rassurer des parents inquiets :

 

- «        Allô ! Bonsoir Madame, ... Je suis le Chef de Gare, votre petit garçon dort dans ma salle d'attente... ”