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Il ne répondit pas.

Valérie restait immobile, la main posée sur celle de Joseph continuait son lent et doux va et vient. Cet instant suspendu la renvoyait à ses propres angoisses d’enfant, quand les jours de rentrée elle regardait sa mère s’éloigner de la cour de l’école et disparaître dans le flux des parents. Elle mesurait à l’aune de la tragédie vécue par Joseph ses terreurs enfantines qu’elle jugeait aujourd’hui dérisoires

Les cloches de l’église commencèrent à égrener les heures, Victor ouvrit les yeux et dit d’une voix cassée.

            ¾ Non, je ne l’ai jamais revue. Pourtant, toutes ces années après, je m’attends encore à la voir, au détour d’une rue, elle est toujours jeune et elle porte son grand tablier bleu des jours de lessive. C’est idiot, n’est-ce pas ?

            ¾ Je suppose que l’esprit humain ne peut se résoudre à accepter la réalité d’une telle disparition, l’espoir même insensé est sans doute  une réponse à l’angoisse. Avez-vous eu de ses nouvelles après son arrestation ? Demanda Valérie .

            ¾ Non, pas directement, nous n’avons su que bien plus tard, qu’après avoir été incarcérés à la prison d’Angoulême, tous ceux qui avaient été arrêtés ce jour-là avaient été transférés à Poitiers où il y avait la fameuse Section des Affaires Politiques, la SAP de triste mémoire.

            Joseph marqua un nouveau temps d’arrêt avant de reprendre.

            ¾ De là ils ont été déportés à Ravensbruck d’où aucun n’est revenu.

La phrase avait été dite dans un souffle comme pour rendre sinon plus légère du moins plus acceptable la réalité de la tragédie. Valérie et Joseph demeuraient dans un face à face où la mémoire de l’un alimentait l’imagination de l’autre, où la communication s’établissait au-delà des mots, à travers une empathie qui les dépassait.

            Brusquement, Joseph se leva, il donnait l’impression de vouloir secouer la  pesanteur que l’évocation de ses souvenirs avait suscitée. Il tenait toujours au creux de sa main la petite photo que Valérie lui avait donnée, il sembla tout à coup s’aviser de sa présence, il l’approcha de ses yeux et il murmura.

            ¾ C’est moi…sur la photo…c’est moi…pas ton grand-père…pas Louis Normand.

            Valérie réalisa que personne ne lui avait raconté l’histoire de cette photo, c’est elle-même qui avait supposé que ce ne pouvait être que son grand-père qui figurait parmi ces jeunes hommes. Sinon pourquoi sa grand-mère l’aurait-elle si manifestement manipulée et regardée ?

            Une zone d’ombre commençait à se déchirer, le récit que lui avait fait Joseph lui laissait entrevoir des lambeaux d’une histoire qui peut-être avait été au centre de la vie de cette grand-mère.

            Valérie saisit le bras de Joseph et pendant les quelques mètres qu’ils firent ensemble jusqu’à l’ascenseur, elle se demanda avec angoisse si le vieil homme choisirait de poursuivre ses confidences ou si au contraire, il allait la laisser là, seule avec ses interrogations.

            Ils s’arrêtèrent, Valérie appuya d’un doigt tremblant sur le bouton, elle n’osait pas parler, elle avait peur de la réponse.

            La porte de l’ascenseur s’ouvrit dans un chuintement, elle vécut comme un sursis le temps que la cabine se vide, Joseph se tourna vers elle et lui déposa un baiser sur la joue.

            Il allait partir. Il allait emporter avec lui une partie de sa grand-mère. Elle se sentait dépossédée, un sanglot lui bloquait la gorge. Au moment où la porte de l’ascenseur allait se refermer, Joseph la regarda et lui dit dans un souffle.

            ¾ Je t’écrirai…bientôt…chez ta grand-mère.

            Valérie resta un instant immobile, des clients de l’hôtel se pressaient autour d’elle mais elle n’avait pas conscience de leur présence, elle se sentait submergée par des émotions contradictoires, partagée entre le désir de savoir et la peur de révélations qui risquaient de remettre en question le douillet mais fragile équilibre de sa vie.

            Quand elle se décida à quitter l’hôtel, elle se rendit compte que Joseph avait oublié de lui rendre la photo.

            A moins qu’il n’ait décidé sciemment de la conserver.

            Alors qu’elle remontait dans sa voiture, elle constata qu’elle n’avait pas envie de rentrer chez ses parents, ils allaient peut-être sentir son trouble et l’interroger. Elle n’avait pas envie de parler. Pas pour l’instant car elle pressentait que si elle commençait à tirer sur un fil, toute la pelote risquait de suivre.

Valérie téléphona à sa mère pour la prévenir qu’elle comptait rester quelques jours chez sa grand-mère. Pour remettre la maison en ordre dit-elle.

Loraine prit acte de la décision de sa fille sans lui poser de question. Elle garderait pour elle la brève sensation d’abandon et de solitude qui lui traversa le corps.

Pour Valérie, une longue attente commença. Sans vouloir consciemment en convenir, elle se rendait compte que son choix n’avait été guidé que par l’espoir de recevoir une lettre de Joseph. Elle s’était abrutie dans un rangement absurde pour abolir le temps qui séparaient les passages du facteur. Elle s’appliquait à différer le moment où elle allait ouvrir la boîte, comme si le fait d’attendre un peu plus augmentait ses chances de découvrir la précieuse lettre.

Ce n’est que le cinquième jour, alors que la date du retour à Paris approchait, qu’elle découvrit une  enveloppe de papier kraft.

Contrairement à ce qu’elle avait imaginé, elle n’eut pas envie de l’ouvrir immédiatement. Elle la déposa sur la table de la cuisine, appuyée sur le compotier et elle s’obligea à terminer la tâche qu’elle avait commencée.

Dans la soirée elle se saisit de l’enveloppe et elle alla s’installer dans le fauteuil de sa grand-mère.

Dans son tableau, la jeune Henriette la  regardait.

Valérie examinait le cachet de la poste tout en songeant qu’elle n’avait jamais eu la curiosité de demander à Joseph où il habitait. Elle constata que la lettre venait de Paris 9èm. « Pas très loin de chez moi finalement » pensa-t-elle.

Elle sourit en découvrant les feuilles couvertes d’une écriture élégante, celle des enfants d’avant guerre qui avaient appris les pleins et les déliés.

Elle se dit que cette écriture lui ressemblait.

 

Ma petite Valérie,

 

Je me permets cette familiarité que tu comprendras après avoir lu ce qui suit.

Le manque de temps m’a empêché de terminer mon récit. Mais c’est peut-être mieux ainsi, les mots sont parfois plus simples à écrire qu’à dire.

La dernière journée que nous nous sommes vus, je me suis laissé emporter par l’émotion en évoquant la disparition de ma mère. Ne crois pas que j’avais oublié ta grand-mère. Les larmes que j’ai versées étaient aussi celles que je ne m’étais pas autorisées pour la mort d’Henriette.

La vie humaine est pleine d’ironie. Ce 12 juillet 1942 fut celui de mon plus grand bonheur et de mon plus profond désespoir. Je faisais l’amour pour la première fois (tu vois, je suis capable de t’écrire ce que je n’ai pas été capable de te dire ! )et je perdais ma mère ce même jour.

Je ne pense pas que je lui aurais confié ce qui s’était passé entre Henriette et moi mais je sais qu’en rentrant, elle l’aurait lu sur mon visage, elle aurait su, et elle en  aurait été heureuse.

J’ai toujours conservé au fond de moi cette blessure, celle de ne n’avoir pu partager avec ma mère ce moment unique de connivence.

Je n’ai plus de souvenirs très clairs des jours qui ont suivi immédiatement cette tragédie, je me revois comme dans un  brouillard, hébergé chez les uns et les autres.

Puis mon père qui revient et m’emmène avec lui.

Je ne l’avais pas revu depuis presque 2 ans. Il faisait partie d’un réseau de résistance  qui s’était structuré au cours de l’année 1942. Sa connaissance des voies ferrées et les relations qu’il avait conservées dans le milieu des cheminots lui avait rapidement permis d’acquérir un statut de dirigeant au sein du mouvement.

Je comprenais mieux désormais l’importance du choix qu’avaient faits mes parents et surtout ses  terribles conséquences.

Quand mon père m’a pris en charge, il a voulu me mettre à l’abri mais j’ai refusé. J’avais 16 ans, je voulais me battre contre ceux qui avaient enlevé ma mère et surtout, je ne voulais pas quitter la région au risque de ne plus revoir Henriette.

Avec toute la fougue de ma jeunesse, je croyais naïvement que je pouvais commander les événements.

Tu imagines ce que peuvent peser en temps de guerre les états d’âme d’un adolescent !

J’ai dû suivre mes compagnons, de cachette en cachette. Nous étions toujours en mouvement et il me fut impossible d’approcher d’Alloué. Pour ne pas les mettre en danger, mon père m’avait convaincu de rompre tout lien avec ceux que j’avais connus.

J’étais très affecté de ne pouvoir communiquer avec Henriette. Elle avait dû apprendre ce qui était arrivé à la ferme de Marianne et j’étais sûr qu’elle me croyait ou emprisonné ou mort.

Cependant, ce qui est étrange, ou en tout cas ce qui est étrange aux yeux du vieil homme que je suis devenu, c’est que je n’ai jamais douté un instant que nous nous reverrions. Ce que nous vivions actuellement, éloignés l’un de l’autre, n’était qu’une parenthèse. Nous allions nous revoir, nous irions à Paris et qui sait nous allions nous marier.

            Malheureusement, tout ne s’est pas passé comme je l’imaginais.

La guerre terminée, mon père est retourné en Lorraine, je suis resté quelques mois avec lui, le temps qu’il retrouve ses marques sans ma mère, puis j’ai décidé de repartir en Charente.

            Je suis arrivé à la gare de Confolens en juin 1946, le car que j’ai pris m’a amené sur la place d’Alloué.

J’ai retrouvé sans peine le chemin de la maison de « tata », j’avais le cœur qui battait la chamade quand j’ai agité la grosse cloche de l’entrée.

            La tante d’Henriette m’a ouvert, je suis resté sur le pas de la porte et j’ai vu ses yeux s’agrandir de surprise puis s’emplir de larmes. J’ai eu peur qu’elle m’annonce qu’Henriette était morte. Mais très vite, elle s’est mise à parler, j’avais l’impression qu’elle voulait me noyer de paroles alors que le seul mot qui m’intéresser tenait en un nom : Henriette.

Qu’elle ne prononçait pas…

            Crois-moi, ma petite Valérie, ce furent les minutes les plus longues de ma vie !...

            Quand je pus enfin lui demander des nouvelles d’Henriette, ce fut tout à coup comme si la source se tarissait brutalement, elle semblait chercher ses mots et c’est dans un souffle qu’elle me déclara qu’Henriette était mariée et mère d’une petite fille.

            En une fraction de seconde, l’incrédulité, le chagrin, la colère me traversèrent le corps comme autant de coups de poignards.

Je me souviens être resté de longues minutes immobile, je sentais une odeur d’encaustique arriver de l’intérieur de la maison, je ne savais plus que faire, j’avais envie de m’enfuir mais je restais inexplicablement cloué au sol.

Sur la demandé répétée de la tante d’Henriette, j’ai fini par franchir le pas de la porte et j’ai appris qu’Henriette s’était mariée en octobre 1942 et que sa fille Loraine était née le 21 avril 1943.

 

            Valérie, pétrifiée, interrompit sa lecture. Les mots avaient du mal à faire sens, comme si son cerveau refusait l’évidence qui peu à peu s’imposait à elle : Joseph était son grand-père…

Elle leva les yeux et croisa le regard de sa grand-mère sur le tableau du mur, elle crut y lire une supplique, celle de tenter de comprendre.

La fin de la lettre lui apportait sans doute une réponse mais elle ne savait plus si elle avait envie de  la connaître.

Elle était partagée entre le ressentiment contre sa famille qui s’était réfugiée dans le non dit pendant tant d’années et l’honnêteté intellectuelle qui la poussait à reconnaître qu’elle n’avait souffert en aucune façon de ce mensonge.

 En avait-il été autant pour sa mère ?

Elle repensait aux relations qu’entretenaient sa mère et sa grand-mère, un peu distantes et tendues à la fois. Comment avait vécu la petite Loraine ? Avait-elle senti inconsciemment que Louis Normand n’était pas son père ? Ou pire, ce père d’adoption avait-il aimé l’enfant ?

Des questions que la mort prématurée de Louis avaient laissé sans réponses.

            Valérie se leva, elle avait la gorge sèche et une sensation d’oppression lui serrait la poitrine, elle sortit sur le pas de la porte et respira profondément l’air qui embaumait encore les derniers parfums de l’été.

            Elle resta ainsi de longues minutes, concentrée sur ses émotions.

Elle entendait le froissement du papier de la lettre qu’elle avait conservée à la main et que son index lissait machinalement.

Sans savoir pourquoi, elle se dirigea vers la cuisine, elle tira sous elle une de ces chaises qui firent fureur dans les années 60 et qui lui avaient toujours paru aussi laides qu’inconfortables, comme si son esprit ne pouvait recevoir les confidences de Joseph que dans le relatif mal être du corps.

            La révélation soudaine de cette paternité me bouleversait, j’écoutais la tante d’Henriette me raconter par le menu ce qui s’était passé pendant ces quatre années.

            Ce serait trop long pour tout écrire, sache seulement que Louis NORMAND était le fils des plus proches voisins de ta grand-mère. Henriette et lui avaient grandi ensemble. Après quelques tractations entre les parents, la date du mariage avait été fixée. La guerre qui s’était durcie focalisait l’attention de tous et les commérages furent ainsi évités. Ta maman avait un papa et l’honneur était sauf.

            Henriette ne dévoila jamais le nom du père de son enfant, seule sa tante connaissait la vérité qu’elle emporta bien  plus tard avec elle.

            Je quittai la Charente sans avoir tenté de revoir Henriette, je ne me sentais pas le droit de troubler sa vie

            Cependant je suis toujours resté en contact avec sa tante. J’ai vécu ma paternité à distance et par procuration. Nous échangions des lettres, des photos, notamment celle que tu m’as apportée. Elle avait été prise le jour de la libération et je l’avais offerte à la tante d’Henriette.

            Les années ont passé, je suis parti vivre à Paris.  Quand j’ai appris la nouvelle de la mort de Louis NORMAND, le souvenir d’Henriette est devenu obsessionnel. Il fallait que je sache. Je me rendais compte que j’avais vécu jusque là dans l’attente de la revoir mais j’ignorais s’il en était de même pour elle.

            Un échange de courriers a suffi. Nous nous sommes revus en décembre 1958, presqu’à la même date que notre première rencontre. Sauf que cette fois-ci, je n’étais pas à vélo mais au volant d’une superbe 2 CV !

            A partir de ce jour, d’une certaine manière, nous ne nous sommes plus quittés. Je dis « d’une certaine manière » car ta grand-mère a toujours tenu à garder secrète notre histoire. Par excès de  romantisme ou de lucidité, je ne sais.

            Je te mentirais si je te disais que je n’ai pas souffert de ne pouvoir vous rencontrer ta mère et toi, mais c’était le prix à payer. Je vous ai regardé grandir. De loin. Notre vie a été une succession de parenthèses volées au temps.

            Depuis de nombreuses années je vivais de ma peinture et j’exposais dans plusieurs galeries étrangères, chaque fois qu’elle le pouvait, Henriette m’accompagnait dans mes voyages. J’étais très fier de la présenter comme ma compagne et ma première inspiratrice.

Entre ces voyages, nous nous retrouvions chez moi à Paris et nous nous gavions de cinéma et de théâtre.

            J’ai souvent demandé à ta grand-mère de venir vivre avec moi de manière définitive. Elle a toujours refusé, j’en ai parfois été vexé mais je reconnais maintenant qu’elle avait raison de vouloir préserver ce que notre relation avait d’unique, la quotidienneté aurait à coup sûr tout banalisé.

            Voilà, ma petite Valérie, le résumé d’une vie, notre vie.

Je ne te connais pas assez pour savoir si tu vas nous juger, je souhaite seulement que tu prennes du temps pour assimiler ce que tu viens d’apprendre.

Je me rends compte que je fais désormais  peser  sur tes épaules (pour alléger les miennes ?) une lourde responsabilité, celle de conserver le secret ou de le divulguer.

Quel que soit ton choix, je te fais confiance, ta grand-mère ne pouvait aimer avec tant de passion, une personne médiocre, fût-elle sa petite-fille.

Je prends congé de toi que j’ai appris à aimer sans jamais te rencontrer et je me permets de te donner ce baiser que j’ai tant de fois déposé sur les photos de toi que me donnait Henriette.

 

                                                                                  Ton grand-père Joseph.

           

 

            Valérie reposa la lettre. Les larmes coulaient sur ces joues et se perdaient dans son cou. Elle pleurait sur cet amour dont la plénitude la fascinait, elle pleurait de rage sur la brutalité de la mort, elle pleurait sur elle qui se sentait si seule avec ce grand vide dans la poitrine.

            Elle resta ainsi prostrée pendant un très long moment puis peu à peu le calme se fit en elle, les derniers mots de son grand-père lui revinrent en mémoire, il fallait qu’elle prenne le temps.

            Elle passa sa soirée à se repasser le film de ces dernières années. Elle comprenait maintenant les réticences de sa grand-mère à évoquer son passé, ses silences quand elle l’interrogeait sur son grand-père, ses refus qui l’avait mainte fois mortifiée de l’emmener avec elle en voyage, ses séjours répétés chez sa copine de Paris…

            ¾ Ah quelle sacrée coquine tu étais ! dit-elle en s’adressant au tableau alors qu’elle regagnait le salon.

            Le lendemain, elle retourna à Angoulême, son congé se terminait, elle devait rentrer à Paris.

            Lorsqu’elle se retrouva face à sa mère, elle craignit un instant de se trahir, il lui semblait que tout son corps criait la vérité sur ce passé de silence. Cependant, sa mère l’accueillit comme d’habitude, avec cette infinie tendresse,  accrue depuis le décès de sa grand-mère.

Elle se rendit compte que c’était son regard à elle qui avait changé et elle avait hâte de retourner chez elle pour réfléchir sur ses choix.

De retour à Paris, elle passa de longues heures à raconter à Vincent sa rencontre avec Joseph. Elle découvrit chez son compagnon une qualité d’écoute qu’elle ne soupçonnait pas .

Elle se dit alors avec mélancolie que Vincent regrettait peut-être que leur histoire à tous les deux ne fût pas de même envergure ou bien s’était elle-même qui projetait son propre regret de n’avoir pas vécu une relation aussi forte.

Elle apprécia néanmoins le soutien précieux de Vincent qui grâce à la distance objective qu’il avait avec cette histoire sut l’aider dans son choix.

Après des nuits de palabres où toutes les solutions contradictoires furent envisagées, Valérie décida de garder pour elle le secret de la naissance de sa mère, ce n’était pas le sien même si son grand-père l’en avait fait dépositaire, c’était avant tout celui de sa grand-mère, elle n’avait pas le droit de se l’approprier.

La nuit qui suivit sa décision, elle rêva qu’elle était sur la glace, elle patinait avec une légèreté qu’elle n’avait jamais éprouvée, à chaque cercle qu’elle décrivait, elle croisait le sourire d’une étrange jeune fille brune aux longues tresses arrêtée au bord de la patinoire. Quand cette dernière s’élança à son tour sur la glace, Valérie voulut la suivre mais en une fraction de seconde, elle avait disparut.

Au réveil Valérie se sentit apaisée et elle sourit en imaginant la réaction de sa grand-mère si elle lui avait avoué qu’elle interprétait ce rêve comme un signe de l’au-delà. Elle se serait bien moquée, cette Henriette qui ne croyait ni à dieu ni à diable mais qui avait cru toute sa vie en l’amour d’un seul homme.

Valérie songea tout à coup qu’elle devait à sa grand-mère de combler le grand vide que sa mort laissait dans le cœur de Joseph et elle décida de revoir son grand-père, elle n’était pas exempte de doutes mais elle savait qu’elle ne devait pas rompre le lien avec Joseph. Elle était devenue le trait d’union entre lui et Henriette et c’est avec une secrète fierté qu’elle se dit que l’histoire d’Henriette et de Joseph allait se prolonger.

 

                                                                                              Fin