Quand un croyant s’interroge sur sa foi ou l'un des conjoints sur son amour, c'est que les choses ne vont plus de soi et le compte à rebours n'est pas loin de s'enclencher…Ainsi en va-t-il du surgissement  de la question de l’identité nationale, à la fois inopiné et prévisible en ces temps de crise. Là-dessus, je vous renvoie au vigoureux débat Finkielkraut- Badiou dont des extraits ont été publiés cette semaine dans le Nouvel Obs . En cliquant sur le lien ci-dessous,  vous en aurez l'intégralité, petits veinards de l'Ecritoire!  

http://bibliobs.nouvelobs.com/20091217/16522/finkielkraut-badiou-le-face-a-face       

         J’avoue que je n’ai pas lu grand chose de Finkielkraut hormis sa participation dans  " Le désordre amoureux ", excellente analyse du désir ainsi qu' à l'époque, "La défaite de la pensée",  bouquin trop étroit d'esprit pour que je poursuive mon commerce avec un auteur déjà si aigri. Pour Badiou, je n'ai à mon passif qu’un échange de mails par personne interposée au sujet d’un article philosophico-économique gentiment abracadabrantesque  qu'il avait fait passer dans le Monde au moment de l'éclatement de la crise.  La lecture de leur argumentaire montre qu' apparemment l'un et l'autre n'ont pas évolué et l'on peut discerner sans  peine l'équipe  idéologique pour laquelle ils mouillent vaillamment leur maillot. Des bosseurs qui n'ont pas peur d''arpenter  le terrain pour chercher les citations contondantes qui arrivent toutes cuites dans le débat et mes amis, qu'en termes savants ces choses là sont dites! Le score: je dirais, un partout au coup de sifflet de fin de partie. Bravo à tous les deux, mais de grâce épargnez nous le match retour.  N’allons pas plus loin dans l'organisation de ces combats douteux ! Pousser jusqu’au bout le raisonnement de ces intellectuels, ce que risquent malheureusement de faire les esprits simples ou ceux  forcément plus retors de politiques soucieux de sauver leur peau,  nous mène à  deux catastrophes.

         Faut-il alors choisir entre la peste brune et le choléra rouge?

         Finkielkraut examine les choses par le petit bout de la lorgnette. Si l'on ne se paie pas de ses mots rassurants, c’est, à l’encontre des faciès arabes le retour au galop de la  Shoah.  Mr Finkielkraut, sauf le respect que je dois à la tragédie de sa famille, réalise-t-il  que le cordon sanitaire qu'il pose autour de la nationalité française est tressé des mêmes  barbelés que celui qui en ce moment emmure vivants les Palestiniens? Décidemment, ça devient une manie! Le sang sèche vite en Histoire et l'expérience y sert si peu. Un peuple qui aurait pu puiser dans  son martyre  les meilleures raisons de donner  au monde l'exemple du respect du plus faible!  Etrange... Vous avez dit ruse de l'Histoire qui permettrait à la raison de s'imposer?  Il y a déjà bien assez de murs invisibles...Comme c'est étrange, Mr Hegel. Votre  vieille taupe* a encore beaucoup de galeries à gratter avant que ne s'effondre ce mur de là-bas dont je ne veux pas dans mon pays!

          Badiou prend la même lorgnette, mais par le gros bout. Il n'est pas plus gai. A travers les pans du manteau d'une utopique  patrie planétaire, on entrevoit, comme il est déjà à l'oeuvre dans  l'actuel régime communiste chinois, le  tsunami des requins de l’ultralibéralisme qu’il pourfend,  balayant  toutes les conquêtes des prolétaires, c'est à dire les sans capital ni diplômes…Chacun pour soi, la loi pour tous!  Je suis bien triste pour ce pauvre Mr Badiou qui ne pourra pas compter sur la reconnaissance des renards auxquels, avec l'aide ses petits camarades de lutte, il  aura ouvert encore plus grand la porte du poulailler. En cas d'alliance objective des intellectuels et du capital, quel est le plus couillon des deux?  Courage,  Mr Badiou, le plus dur est fait, il ne reste plus grand chose des droits des salariés et les traders qui, eux,  sont bien obligés de se contenter de  primes variables, vont bientôt entonner la  luuutteu finâââleu pour obtenir que tous les salariés du monde connaissent les joies et le caractère intellectuellement tonique  de la précarité. 

          Je ne sais pas ce que c’est qu’être Français et je m’en fous. Perçoit-on soi-même sa propre odeur ?  Mais je pourrais vous en dire long sur le fumet les anglais ou les allemands. Je me suis déjà   livré pour de rire à  ces petits jeux de la bêtise ordinaire  avec des amis étrangers pour observer qu’ils ne se reconnaissaient pas davantage dans mes idées reçues  que moi-même dans celles sur les français  de cet anglais vivant en Provence dont j’ai pas davantage retenu le nom du livre que je n’en ai  terminé  la lecture. Pierre Daninos qui les a beaucoup chambrés, s'est bien gardé d'enfermer les français dans une définition de leur identité.   Il y a peut-être un caractère français, mais c’est quelque chose de trop subtil, de trop évanescent pour qu’on puisse l’emprisonner dans  des mots. Si je pouvais donner un idéal de caractère français, qui ne suffit pas à définir une identité, il est contenu dans cette blague que mon père avait ramené du stalag :  dans un groupe quelqu'un demande à chacun  sa nationalité : l' américain, s’avance en se fendant d'un guttural "Américain!",  tout aussi fier, "Espagnol !" proclame l’espagnol, etc …et, quand vient son tour, le français, reste immobile, et râle : «  Qu’est-ce que ça  peut te foutre l »

         Pour ma part, je serais enclin à accorder la nationalité française sans autre examen à tout arrivant en France qui, comme le sketch de Jean Yanne avec l’inspecteur du permis de conduire,  sans conditionnement préalable, serait capable de balancer au fonctionnaire de la Préfecture :  « Alors, vous me la donnez cette carte ou vous avez décidé de continuer à me faire chier ?  Je ne m'occupe jamais des nationalités, je hais les nationalités! Est-ce que je vous le demande à vous pourquoi vous êtes français? Putain, qu'est-ce qu'on  perd comme temps en formalités! ». Et qu'on déduise ce qu'on voudra de cette ode à la rebellion. Le salut américain aux couleurs dans les écoles  et la gymnastique collective chinoise dans les usines me font aussi froid dans le dos que le « In God we trust » gravé sur le dollar. En même temps, de mon propre chef, en  hommage à tous ceux à tous ceux que leur pays, France ou Allemagne, a envoyé se faire tuer pour rien, quand il ne les a pas liquidés lui-même, je ne rate jamais une cérémonie du 11 novembre… que je déserterais aussitôt si mon assistance était obligatoire! Comme la croyance ou l’amour, la question de l’appartenance relève de la sensibilité et des rêves de chacun, oiseaux bien trop volages pour se laisser enfermer dans la cage d’un débat. Si l’on voulait un débat pour occuper le bon peuple, il y en avait un beau, bien rationnel, bien utile et plus urgent: l’urgence d'accrocher la valeur « Laïcité » au fronton de notre république…Il est vrai que s'agissant de la promotion de la laïcité, après son discours au Vatican et plus récemment en se déchargeant sur  l’Eglise de sa mission régalienne de délivrance des  diplômes d’état, le pouvoir actuellement en place s’est invalidé pour un bout de temps...          

          En contrepartie, pour désamorcer la balkanisation française que ne manquera de renforcer  ce débat sur l’identité et pour que nos millions de musulmans, juifs, boudhistes ou libre-penseurs se sentent chez eux en France, je ne vois qu’avantage à leur laisser un peu de place sur le calendrier en remplaçant certains jours fériés (Assomption, lundi de la Pentecôte qui n’ont plus grand sens chez les catholiques eux-mêmes) par d’autres : la fête de l'Aïd, par exemple, ou  celle du Kippour comme l’internationale socialiste a déjà obtenu celle du Travail...Et pourquoi pas, pour rappeler à chacun d' entre nous le respect dû aux opinions de ses petits camarades,  un jour férié pour célébrer la laïcité? 

          Un coup de chapeau au passage sur la maestria avec laquelle Laure Ancelin, l’intervieweuse a conduit cet échange. Un modèle d’écoute avec l’art de rentrer dans le vif du contenu pour tirer des débatteurs le meilleur, ou peut-être le pire, d’eux-mêmes.

NB: Codicille qui n’a rien à voir à propos de cette provocation imbécile de Finkielkraut, en exergue du débat : « L'inculture pour tous est une conquête démocratique sur laquelle il sera très difficile de revenir. » Produit d’un milieu social et d’une génération à qui  l’inculture pour tous a précisement permis d’accéder à un minimum de culture, je me sens giflé par ces propos bêtement blessants. J’ouvrirai peut-être un billet là-dessus un de ces jours, à moins que quelqu’un d’autre ne me grille la politesse…

* Cet intitulé: "J'ai des réponses, qui a des questions ?" est, sous divers habillages, la chute d' un classique inusable du répertoire des blagues juives.

*Taupe de Hegel:  allusion aux galeries souterraines que creuse la raison pour finir par s'imposer ( vision bien optimiste, mais il est vrai qu'Hegel parle en siècles ! )