Questions d’idéologie : écologie versus humanitaire ?
Dans son roman, « Le parfum d’Adam », Jean-Christophe Ruffin plonge aux sources de l’idéologie écologiste mondiale jusqu’à nous faire plus que froid dans le dos. Engagé pendant vingt ans dans des missions humanitaires, actuellement ambassadeur de France au Sénégal, il s’est toujours préoccupé des pays pauvres et de la réduction des inégalités.
Pour comprendre l’enjeu de son roman, commençons par situer l’univers dans lequel il se déroule.
En France, voire dans une partie de l’Europe, les mouvements écologistes se présentent sous des dehors sympathiques, sauver la planète passerait par apprendre à l’homme à préserver ses ressources, à la détruire le moins possible, à ne pas émettre trop de substances toxiques, en quelque sorte à vivre en bonne harmonie avec cette terre qu’il habite. Et nous sommes bien conscients de la puissance de ces thèses, que nous adoptons tous peu ou prou en triant nos déchets, en gaspillant le moins possible d’eau et d’énergies fossiles. En est témoin la montée en puissance aux dernières élections des partis qui intègrent ces préoccupations. A gauche comme à droite, l’écologie humaniste fait son chemin, les enfants éduquent leurs grands-parents, voire leurs parents, et nous caressons tous le doux rêve d’une société la moins consommatrice possible qui permettrait au plus grand nombre d’hommes de bien vivre.
Mais c’est un autre portrait de l’écologie mondiale que nous dresse Jean-Christophe Ruffin. Il s’agit d’un roman, certes, mais les déclarations de ses personnages, hélas, sont le plus souvent reprises à des ouvrages ou prises de parole publiques de penseurs ou de militants reconnus.
Imaginez une autre approche de l’écologie. Si l’écologie humaniste vise la protection de la planète elle garde comme axe central l’homme et l’espoir d’une harmonie plus grande entre l’humanité et la terre qui la porte. Déplacez maintenant cet axe : prenez comme postulat que le plus important n’est pas l’humanité, mais la planète ; alors, sur la planète, tous les « habitants » sont au même plan, les animaux, les végétaux, les minéraux, et l’homme n’y a pas de place spécifique. Si ce n’est qu’il s’est institué comme propriétaire de la terre, et qu’il l’a domestiquée, transformée, épuisée, jusqu’à la mettre en danger. Jusque-là, le raisonnement nous est familier. Il faudrait donc protéger aussi les animaux, les végétaux, les minéraux, enrayer le réchauffement climatique...
Mais le dérapage, défendu de manière plus ou moins souterraine par certains mouvements écologistes, se situe ailleurs. Si la planète est mise en danger par l’homme, elle est surtout menacée par l’accroissement de la population. Il faudrait donc qu’il y ait moins d’hommes pour enrayer ce phénomène. Or, les pays les plus puissants ont déjà pris conscience de cet accroissement de population en contrôlant les naissances. Si vous suivez le raisonnement de ces idéologies ultra, le problème vient actuellement des pays pauvres, dont la démographie galopante confinerait à une inflation que rien ne pourrait arrêter. Et, toujours en suivant leurs thèses, puisque les tentatives de régulation des naissances restent sans résultat, il faudrait aller plus loin en détruisant des masses entières par des armes bactériologiques insoupçonnables.
Ce versant de l’idéologie écologiste qui consiste à éliminer les pauvres, c’est ce que met en scène Jean-Christophe Ruffin dans « Le parfum d’Adam », à travers le parcours d’une jeune fille qui, tout en découvrant cet univers, passe successivement de l’endoctrinement le plus aveugle à la prise de conscience salutaire. Mené sur le rythme haletant d’un roman d’espionnage, ce roman connait la fin heureuse indispensable pour nous éviter de sombrer dans le pessimisme le plus profond. Le trajet au cœur des idéologies, ici incarnées dans des mouvements écologistes, rappelle bien des endoctrinements dogmatiques. Véritable coup de poing dans l’estomac, ce roman ramène à sa place essentielle la question de l’humanisme, de l’humanité, de l’homme, mais surtout de tous les hommes.