Comme j’ai eu déjà plusieurs fois l’occasion de le dire ici, je tiens ce e accolé depuis quelques temps au mot « auteur » pour un pur et simple barbarisme, les mots en eur formant leur féminin en euse (porteuse) ou en ice (séductrice) voire en oresse (doctoresse) mais jamais en eure. Cependant là n’est pas le fond du problème. Ce qui est absurde dans cette histoire c’est de ne pas comprendre que le masculin et le féminin définissent un genre (parfaitement arbitraire la plupart du temps) et non un sexe : la « hauteur » et la « largeur », par exemple, n’ont pas besoin d’un e pour être féminin. Confondre genre et sexe c’est penser (comme quand j’étais petit) que le criquet est le mari de la sauterelle et qu’il n’y a pas de femelles chez les léopards (et que dire du triste sort du mâle chez les baleines ! )

          Si le genre du mot doit changer en fonction de la personne à laquelle il renvoie nous devrons donc parler aussi de l’auteure d’un crime (encore que cette revendication soit moins souvent mise en avant par les féministes sans doute parce qu’il est moins glorieux de commettre un crime que de commettre un livre) et en toute logique on devra donc trouver aussi un masculin au mot victime (les hommes aussi, que diable ! sont parfois des victimes.) Ainsi lorsqu’une femme tuera son mari on parlera de « l’auteure du meurtre et de son victimin » ! N’est-ce pas mignon ! Non, tout ceci décidément est totalement absurde !…

         Il n’en demeure pas moins, avouons-le, que le genre masculin est tout naturellement attribué, dans notre langue, à tous les mots qui ont un rapport quelconque avec le pouvoir et que ceci renvoie à un certain état de la société caractérisé par la domination du mâle, le mot ne changeant pas de genre quand, d’aventure, la personne qui occupe la fonction est une femme. C’est la raison pour laquelle on aboutit à ces tournures non moins absurdes : « Madame le Professeur », « Madame le Président » ou « Madame l’Ambassadeur », l’ambassadrice étant, comme l’on sait, la femme de l’ambassadeur (à moins qu’il ne s’agisse de l’ambassadrice de la mode évidemment ! ). Mais si l’on se met à dire : « Madame l’Ambassadrice », comment appellera-t-on son mari ? Sûrement pas « l’ambassadeur ». Tout ceci, on le voit, est bien compliqué ! Et ça se complique encore bien davantage si l’on tient compte de la connotation des mots car si le mot « directeur » évoque le pouvoir (surtout s’il est assorti de l’adjectif « général ») le mot « directrice » a une toute autre coloration. On parlera du directeur de la Banque de France et de la directrice d’une école maternelle mais si Mme X est nommé à la tête de la Banque de France, sera-t-elle pour autant « directrice » ? L’honorable institution se sentirait ravalée au rang d’école maternelle et l’on revendiquerait sûrement de l’appeler : « Madame le Directeur ». Mais à la réflexion, cette absurdité-là ne marquerait-elle pas d’une façon plus éclatante la victoire de la femme dans sa conquête de l’égalité du pouvoir ?

         Cependant, en dépit de tout ce que je viens de dire, je suis persuadé, voyez-vous, que le mot « auteure » perdurera malgré son absurdité, parce que ses défenseurs auront fini par l’imposer et parce que la langue est un corps vivant et non un produit de la logique et qu’elle est donc pleine de ces absurdités-là qui portent témoignage d’une histoire. Celle-ci portera témoignage de l’époque où les féministes (et les magazines féminins en particulier) auront été assez forts pour l’imposer… mais j’y pense, ne devrais-je pas dire « assez fortes » ? Non bien sûr, il y a sûrement aussi des hommes parmi les féministes, certainement moins nombreux cependant. Mais quelle est cette règle qui veut qu’un seul homme dans un ensemble de femmes suffise à nous imposer le masculin. Encore un combat à mener. Décidément la lutte n’est jamais finie !…