Harry,

 

Je ne peux pas croire que ce mail vous surprendra. Nous nous sommes quittés hier, rien n’indiquait que vous vouliez me revoir ou entendre à nouveau parler de moi. Vous ne m’avez pas donné de signe marquant en ce sens à mon départ. Mais pourtant, j’ai trouvé votre adresse mail sur la brochure que vous m’avez tendue à l’issue de ces quelques jours passés ensemble, en me recommandant de poursuivre mon travail intérieur lors d’un prochain stage.
Mais Harry, vous avez été d’une telle écoute cette semaine, qu’il me semble impensable qu’elle n’ait été que professionnelle.

Je sais bien que votre statut vous empêche de nouer quelque idylle durant vos cours, il vous est interdit de profiter de notre regard admiratif pour aller plus loin dans la relation.

Pourtant, lors de nos échanges en apartés, vous avez été presque provoquant si j’ose dire. Bien sûr, j’interprétais vos mains sur mes épaules comme un encouragement à ce qu’il faut bien appeler une inclinaison. Votre bon vouloir envers les petits problèmes de ma petite vie, votre disponibilité jusque tard dans la nuit, alors que les autres stagiaires étaient déjà couchés, me semblent_ à cette heure avancée_ comme autant de messages que je n’ai osé saisir. Vous avez trouvé comment à nouveau me faire rire, me délier de cette langueur qui m’accompagne chaque jour. Je sais que je suis trop jeune pour comprendre la teneur d’un quart de vos propos, mais ceux-ci m’ont profondément touchée. Je pourrais attendre le prochain stage qui se tiendra dans un mois. Mais j’ai peur que d’ici là, les élans de mon amour pour vous se détachent de moi comme les raisins d’une grappe trop mure. Et je veux vivre pleinement cette émotion qui me lie désormais à vous. Je n’ai que 19 ans, j’ai toujours vécu dans des institutions de jeune fille, je ne sais rien de la vie. Absolument tout ce qu’on m’apprend ici (je vous écris de mon dortoir, l’ordinateur sur mon lit au milieu de la nuit), tout ce qu’on m’apprend donc est à l’opposé de ce que je ressens maintenant. Je n’ai pas les bases pour décoder mon émoi, c’est pourquoi j’en appelle à vous. Si cela s’apprend, je serai surement rappelée sévèrement à l’ordre. Mais Harry, au-delà de vos quarante ans et de votre statut de prêtre, ne croyez vous pas que je suis bien plus pour vous qu’une de vos multiples ouailles ?

Votre,

Charlotte.

 

 Lettre de rupture 

 

Salopard, imbécile, goujat

Quand je me revois il y a plusieurs mois, dans mon innocente admiration de votre perfection, j’ai envie de gerber. Gerber, oui, salopard, des mots qui m’étaient étrangers me viennent aujourd’hui naturellement. Je m’en moquais pourtant en septembre d’être virée avec scandale de sainte Marguerite, alors que toutes chuchotaient dans mon dos.

J’étais comme enveloppée de votre amour, vos délicieuses réponses à mes impulsions.

J’avais découvert vos caresses, croyant avoir réussi à amadouer par ma dévotion, la figure loyale que vous vouliez garder envers l’institution.

Peu m’importait alors d’en être réduite à vivre dans une studette minable, dans une nouvelle ville, à gagnoter ma vie en faisant des ménages.

Ma famille bien pensante m’avait bien sûr bannie, ah, ils me faisaient rire ces rigoristes bourgeois.

Je vous avais à moi, ce qui m’élevait l’âme bien plus que 100000 messes. Et je ne parle que de l’ame, car mon corps, oui mon corps, connaissait enfin, grâce à vous, une extase bien supérieure à celle des jeûnes ou des ave maria.

Pourtant, vous n’aviez renoncé à rien, et je n’avais de vous que des bribes inter messes.

Il aura fallu que Sophie Gontran, vous vous souvenez d’elle, me monte une embuscade à la sortie de l’église pour que je comprenne tout. Je venais d’effleurer vos doigts, la peau de votre poignet, à l’intérieur du bras, là où elle est si douce, assise en face de vous dans le confessionnal. J’avais même, je l’avoue, le désir de vous voir vous dévêtir un peu de l’autre coté de la grille qui nous séparait. Vous le faisiez parfois.

J’étais sortie nimbée de votre présence sur les marches de l’église, avec cet air béat qui fait ma dignité. Je vais souvent vous voir à Sainte Bénédicte, votre nouvelle paroisse, où je ne suis pas connue. Je passe pour la plus bigote du canton, toujours fourrée au confessionnal, passez moi l’expression.

Sophie Gontran, elle, m’a bien reconnue, et il semble que de plus, elle vous connaisse fort bien. Bibliquement, j’entends. Tout comme, d’après ce qu’elle dit, Emmanuelle Allier, Aline Galowski et même Sidonie de Vallier d’Engrin, comme quoi vous  recrutez varié.

Sophie Gontran vous connaît, oui, sinon comment saurait-elle que vous avez cette tache de vin en forme de croix, au pli de l’aine ? Bien que vous me l’ayez toujours décrite comme une marque de votre destinée dans la prêtrise, je doute fort que vous l’exhibiez sans raison aux jeunes filles des nombreuses institutions où vous avez sévi.

Il parait même, d’après Sophie, que vous avez été éjecté sous bonne escorte d’un séminaire de jeunes garçons. Je n’ose imaginer les raisons de cette éviction.

Ah, vous m’avez bien eue avec vos réticences ! Quand je vous ai eu à moi, même par fragments de temps, j’ai cru à ma victoire. Je portais pour nous deux le poids de notre péché, et vous disiez souvent, immonde salopard, que si ce n’avait été moi, vous seriez toujours vierge.

Mais c’en est fini, canaille, car je vais mettre un terme à vos agissements, en les exposant au grand jour. Vous m’avez fait exclure de ma vie précédente, du cercle de ma famille et de mes amis. Je ne resterai pas seule la risée du canton. Dès demain, je m’assurerai en témoignant auprès de l’évêché que votre carrière ecclésiastique soit réduite à néant.

C.

 

NB: Retrouvez les textes de Michèle Lessaire avec la rubrique "Rechercher"