On était en octobre, j’allais fêter l’anniversaire d’un ami qui nous invitait à Orange. Et il y faisait beau. Ainsi donc, ces chiffres inscrits sur la carte de France derrière la jolie dame juste avant le 20 heures, ça voulait dire cela, qu’il existait quelque part des gens en tee-shirt en terrasse quand je ressortais mon manteau. Le choc. Une nouvelle réalité, pour moi, fille du Nord.

A vrai dire, sans raison, j’étais partie une journée plus tôt. Je descendais à Avignon, seule, avec l’idée de visiter la ville avant de retrouver la bande qui venait fêter Olivier.

C’était un assez long voyage pour un anniversaire, mais cela faisait une jolie parenthèse, surtout avec cette envie d’Avignon dedans.

Ainsi, me voilà dans le train, aussitôt assise et installée, je reprends ma lecture en cours. Henry Miller. Mais lequel ? Un Tropique peut-être ? Comme à chaque fois que j’aime un auteur, je lis tout à la file. Les écrits se mélangent. Je suis donc, à l’époque, en pleine période Miller. Un Miller qui découvre Paris, un autre Paris que le mien, avec sa truculence des mots et de ses moments de vie.

Et bizarrement, pendant que mon train chemine vers Avignon, Miller, qui se gorgeait de Paris, décide de descendre vers le Sud. Cela fait des mois qu’Henry Miller m’accompagne, et cette fois, il prend, dans ses pages, le même chemin que moi. Sans prévenir. J’adore bien sur cette coïncidence, et m’en réjouis dans mon wagon. J’aurai pu choisir un livre en fonction du voyage, mais non, c’est mon livre qui a décidé de voyager de concert, Henry s’en va en Avignon.

Henry Miller décrit le Palais des Papes. Au moment où je lis ses phrases, je n’ai jamais vu le bâtiment. Je l’imagine à travers ses mots, mais cela n’a rien à voir avec l’effet que cela me fera quand je le découvrirai. Henry Miller y est pris d’une subite envie de pisser. C’est du Miller quand même, il n’urine pas, il pisse. Il emmène donc son lecteur, et moi, tout de go dans la pissotière. Pas n’importe quelle pissotière. Elle est plantée face au Palais des papes, au fond de la place. Je me souviens qu’il décrit ce moment, uriner les yeux fixés sur l’édifice. C’est à cet instant que mon train arrive en gare d’Avignon, je range le livre pour commencer mon exploration.
Je savoure le fait d’errer dans une ville inconnue, je prends mon temps, je vais aller voir ce Palais des papes, mais j’ai toute la journée. Je suis une touriste hors saison, solitaire à des terrasses de café improbables en octobre, et pourtant. Je traine, je glane, j’hume l’air, je vais au hasard. Et brusquement, je tombe dessus. En découvrant le Palais sur sa place, j’ai le même sentiment que pour la carte météo. Il y a clairement des choses qu’on m’a caché jusque là. Comment ai-je pu vivre jusqu’à 18 ans, sans savoir qu’il faisait beau en octobre et qu’un édifice pareil existait ?

Passée la stupeur de la révélation du monument, je lui tourne rapidement le dos. Je dois être la seule touriste à regarder du mauvais coté. Je cherche la pissotière, elle doit être là, mais elle a disparu. Je l’attendais presque autant que la vue du Palais. Je crois que je serai entrée, en jeune fille de 18 ans, revivre, le nez pincé, l’extase de Miller.

Ca n’a pas d’importance. De tous mes voyages, le choc de la rencontre avec l’imposant Palais sur sa place est resté marqué pour toujours par le sentiment d’y être accompagnée par Henry Miller lui-même.

 

 

 

 

     NB: Retrouvez les textes de Michèle Lessaire avec la rubrique: "Rechercher"