une fois de plus ce mépris que tu sais si bien taire, tu uses de mon corps à ta convenance. Ce corps que je ne peux t’enlever de ma propre volonté, je décide de le diminuer, pour te le soustraire. Commence alors une douce descente : je n’ai plus faim. Toi qui considères les choses de l‘esprit si grandement, regardes comme mon esprit que tu railles est fort. Il a pris le contrôle de mon corps à tel point qu’un repas par jour me suffit. Tu ne vois rien, tu continues tes allers venues entre ta nouvelle maîtresse, qui ne se doute de rien, et ma chair de plus en plus fine. Quand tu repars, je vomis cet unique repas, pourtant déjà loin.

J’aime aussi beaucoup ces nouveaux os que je me découvre. J’ai une affection particulière pour mes deux os iliaques, dorénavant joliment saillants. S’ils pouvaient t’érafler, t’écorner, te rentrer dedans. Mais tu ne les sens pas, tu fais mine de rien. Que trouves tu à ce corps, habité d’un esprit qui t’es désormais étranger, et dépourvu de formes ? Je suis toute en creux, creux de toi, et de moi. Je cesse d’exister physiquement, je ne suis que pensées rongeantes. La légèreté m’aspire, comme le vide sous un pont. Je regarde l’aiguille sur la balance qui descend de jours en jours. J’en tire une fierté que je sais inappropriée, alors je cesse de me peser. Je sais, rien qu’en regardant l’espace entre mes cuisses quand je serre les jambes, que la matière me fuit. Je ne vois pas de limite à cette lente disparition, elle se fait comme malgré moi, même si elle me ravit. J’ai le sentiment que si je fonds assez, je renaitrai nouvelle. Déjà, plus rien de mon ancienne moi ne me va. Je m’habille désormais au rayon enfant. Les vendeuses chuchotent quand je rentre en cabine essayer du 12 ans. S’il me faut mettre du 8 ans pour que tu comprennes, que tu cesses de toi-même, je continue.

Je rencontre un garçon très maigre, et nos corps sympathisent. Nos membres se mélangent comme des cordes, nos ventres creux se complaisent à leur manque de contact. Pas de démarche de négation de sa chair pour lui, juste un métabolisme inversé. Il mange en permanence et ne s’explique pas mon absence de faim. Je le regarde s’attabler, c’est comme un rite qui m’est étranger. Je ne mange que parce que ça se fait, à des moments de convivialité que je ne peux éviter. Mon estomac a rétréci, il refuse l’abus. Ce qui sert d’entrée à la majorité des gens me suffit à la journée.

Je comprends un matin que tu ne cesseras pas de toi même et je regarde en face ton mépris pour moi. Tes visites sont une façon de plus de me nier en tant que personne. Tant qu’il restera quelques grammes de mon être physique, tu voudras le posséder, l’écraser.

Ce soir là, quand tu viens, utilisant tranquillement ta clef comme chaque fois, je dors du somnifère qui me gardera de toi. Le soir suivant aussi. La 4eme fois tu ne viens pas la nuit, tu surgis dans le jour et bien sur je ne dors pas. Je te vois tel que tu es, arrogant, suffisant et alourdi des bières qui t’accompagnent à tout instant. Je te demande la clef, t’interdis mon lit et te renvoie à ta maîtresse. Dès que tu es parti, je mange. Tu cesses de venir, je cesse de vomir. Tu ne fais pas le poids.

 

NB: Retrouvez les textes de Michèle Lessaire avec la rubrique " Rechercher"