Les pièces que j’avais traversées s’estompaient dans le désert de mes souvenirs trop courts. Seules quelques bribes de dialogue peuplaient mes pensées embrumées.

« Tu es la femme idéale », « Bienvenue dans ma vie » ressassaient leur heureuse prophétie malencontreusement noyée dans les eaux glacées du dédain.

Dédaignée, voilà comment je me sentais sur cette chaise monacale en pin brut, dure et raide colonne vertébrale de substitution.

Je n’avais qu’une envie : me recroqueviller sur moi-même en posant ma tête sur mes genoux et entourer mes jambes de mes bras. Inconfortable et douloureuse position, mais qui m’aurait donné le sentiment d’enfin me laisser aller sans avoir toujours l’air  de pouvoir me tenir droite comme ce dossier décidément trop rigide.

Retourner dans ma coquille, à l’état de bouton avant l’éclosion, au temps d’une gestation prometteuse.

Mais il fallait rester là poliment, les jambes serrées pour protéger ou masquer une féminité indicible. Une zone interdite ; du danger, je n’en connaissais guère la nature.

Etait-il question qu’on me vole cette intimité cachée, secrète, ou bien risquais-je de montrer cette ouverture, cet appel de la forêt à être explorée ?

Quoi qu’il en soit, l’urgence me semblait de me dissimuler, de faire taire tout imaginaire me concernant. « Ne Pas toucher », œuvre sous Haute Surveillance.

 Les heures passant, je commençais à me dire que je n’étais pas une statue de cire ; les fourmis grimpaient de plus en plus le long de mes mollets, bientôt une colonie entière y élut domicile.

L’engourdissement venant, je fus saisie d’angoisse à l’idée d’être paralysée. Ce fut un électrochoc. Alarmée, je décidai soudain de me sortir de ma torpeur, de dynamiter la gangue qui m’emprisonnait. « Debout les gars, réveillez-vous, il va falloir en mettre un coup ! ». Mue par un élan fugace, je dépliai maladroitement ce corps encombrant. Sans crier gare, j’étais debout, un peu vacillante et étourdie par ce brusque mouvement. Mon regard s’attarda sur les murs de la vaste pièce.

 D’un pas décidé après quelques enjambées hésitantes, j’avisai un superbe canapé rouge que j’avais repéré depuis longtemps dans ce musée où j’abritais mes rêveries dominicales.

« Sang » ou « Baiser », je n’aurais pas su en définir la teinte avec précision. Toujours est-il qu’il m’attirait à chaque visite, mais je m’en détournais irrémédiablement. Pas pour moi, trop voyant, trop direct. Une injure à ma discrétion légendaire, à l’effacement que je prenais soin de peaufiner. Couleur passe-muraille, je me fondais sans problème dans tout décor, de toute époque. Pas gênante, non, pas séduisante, pour sûr. C’était bien là mon objectif prioritaire. Et ça marchait, depuis toutes ces années….

 Cette fois, c’en était trop. Mes couleurs intérieures explosaient, se mélangeant dans une palette indéfinissable qui allait se mettre à virer au magma. Il était temps que je me mette à peindre à l’extérieur, à étaler toutes ces nuances subtiles sur la toile de ma vie.

Le rouge m’avait fait peur depuis l’enfance : le Petit Chaperon Rouge, le sang de la Belle au Bois Dormant se piquant au rouet, les lèvres de Blanche-Neige… Toutes ces évocations de la féminité en danger, de l’insouciance interdite, du désir coupable me glaçaient.

 A ce moment, je sentis que je devais me débarrasser de la position en demi-teinte que j’avais choisie pour exister.

Ce canapé en velours cramoisi, plein de tous ces postérieurs augustes ou moins célèbres qui l’avaient honoré de leur présence, me tendait les bras.

A droite, à gauche, je veillai à ne pas être vue dans cette approche de la luxure, du plaisir mutin que j’osais enfin m’offrir.

Délicatement, j’effleurai le doux tissu, m’aventurant dans la découverte des courbes délicieuses et sensuelles. Ragaillardie et rouge de honte mais les yeux brillants d’excitation, je m’enfonçai timidement mais profondément dans le généreux divan.

Toute émue par ma hardiesse, je commençai à détendre mes muscles, à m’abandonner à la douceur de ce matelas voluptueux.

Je sombrai.

 Intérieur nuit. Rêves flamboyants de guerriers en lutte pour sauver la belle à la robe pourpre qui s’enfuit.

 Réveil brutal d’une lampe torche.

« Madame, Madame, vous ne pouvez pas rester ici !! On ferme !

Vous n’auriez pas dû vous endormir devant le tableau de madame Récamier !! »

 Je piquai un fard et me levai précipitamment, remettant mon chandail gris et ma jupe noire en ordre. Oh, j’allais oublier mon écharpe rouge !…..

Décidément, ce canapé m’avait happée et transportée dans mes désirs les plus fantasques.

 Il faudrait que j’en parle à mon psy…..

 

 

 

 NB : Retrouvez les textes d’ Elvire Destin avec la rubrique  " Rechercher"