Cher S.

 

 Je n’ai pas eu le temps d’achever cette lettre. Je reprends, cette nuit où je ne parviens pas à trouver le sommeil, épuisée et triste.

J’entends encore votre ton ironique et dédaigneux, l’assurance avec laquelle vous esquissez vos théories. Vous qui savez un peu de ma complicité et de mon soutien, vous ne m’avez pas même regardée. Mais vous adressant uniquement à Maria Térésa, parce que celle-ci est en position supérieure, vous deviez espérer son approbation et son aide pour quelque obscur dessein.

Maria Térésa m’observait, tandis que, prêt à nous quitter, vous parliez encore de votre musique.

  Je dois vous quitter…. On m’attend… Oui, les leçons continuent auprès de Maria Barbara. Nous allons consacrer encore beaucoup de temps aux études harmoniques et aux rythmiques de la guitare.  Les musiques andalouses ont été trop négligées ! Pourquoi tenir en mépris ce que votre Andalousie recèle de tant de trésors et de richesses !  Partout, de Cordoue, de Grenade et de Séville, résonnent les guitares. Peut-être que la civilisation mauresque gêne les espagnols. Mais je peux vous assurer que les églises de ces régions contiennent autant de souvenirs pieux que ceelles de la Castille et affirment leur foi catholique avec autant de vigueur. 

C’est alors que je suis sortie de ma réserve, sans y songer et  je me suis exclamée soudain :

- M. Scarlatti a raison, nous n’avons pas voyagé comme lui. M. Scarlatti a vu le monde…Il sait de quoi il parle ! Nous pouvons lui faire confiance.

 Je retrouvais mon instinct, la spontanéité de ma jeunesse.

Que dire des querelles qui s’élevaient parfois avec mon défunt mari.

Luis n’a jamais aimé la musique et n’est jamais venu assister à une de vos représentations, aussi se contentait-il comme beaucoup, d’adopter les critiques répandues à votre sujet. Vos détracteurs s’en prenaient aussi à vos mœurs : on disait qu’aux tables de jeu, vous étiez sans pitié.

 Plus mon époux manifestait de sentiment hostile à votre égard, et plus je cherchais à vous défendre. Mes sentiments s’échauffaient jusqu’à l’indignation et la colère. A cette époque, je me sentais forte, et protégée de mille manières.

Mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas, je suis seule, j’ai perdu tout ce qui rendait ma vie supportable. Les habitudes et les rites du couvent sont mes seuls garde-fous et pour combien de temps ?

Je prie Dieu et médite des étranges chemins de la vie. Mon cœur, à cet âge de la raison, ne devrait plus s’affoler, mais comment ?

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NB: Les lettres précédentes sont rassemblées sous la rubrique "La mantille noire..."