lui était venu comme une évidence. Qui elle était, de quoi elle avait besoin. Sa valeur, le poids de son esprit. Peu importait au final le regard des autres, la pression du groupe. Elle était là, elle entière, et pas cette figure qui frappait tant les autres. Pour une fois, elle existait au-delà des regards arrêtés.

Elle adorait la danse, son corps s’y donnait indépendamment, libéré. Elle ne savait pas, en s’inscrivant à cet atelier hebdomadaire, que tous seraient masqués. Quel drôle d’idée, à y penser, un ballet sans visage. La démarche se voulait créative, ils étaient là pour danser, pour que leurs corps exultent. Une danse sans âges, sans beaux et sans laids. Seules les  souplesses ou raideurs, une relative rapidité, le porté d’un bras plus ou moins tendu, parlaient de qui ils étaient.

Ainsi, anonyme, simple corps, sous un visage de plastique blanc, elle pouvait oublier sa marque.

 

Depuis toute petite, toute rencontre avec les autres était empreinte de leur découverte de sa tache. Sa moitié du visage lie de vin, comme une trace sanglante enserrant jusqu’à l’œil droit. La réaction des gens, ceux qui font semblant de ne pas être gênés, mais ne visent que l’œil gauche. Ceux qui posent des questions. Ceux qui la classe catégorie pitié. Et tous ceux qui ne voient que ça. Quelques uns qui iront au-delà, découvriront la personne derrière la tache. Allant jusqu’à oublier cette marque, et parlant d’elle comme une fille brune aux yeux verts, et non la fille à la tache.

 

Longtemps, on avait essayé de la convaincre de l’enlever. Petite, ce n’était pas possible. Elle s’était habituée à cette différence. Puis de dermatologues en éminents professeurs, on lui avait fait comprendre que la science évoluait. Ne voudrait-elle pas avoir un visage comme les autres, être quelqu'un que l’on peut oublier ? Elise, qui ça Elise ? Et non, « tu sais bien, Elise », avec la main qui se porte du coté droit du visage.

Mais avoir passé son enfance tachée, remarquée, avait fait d’elle une personne particulière. Par exemple, elle avait développé ce sens de l’humour que beaucoup lui enviaient. Elle faisait le clown et les gens l’adoraient. « Les jolies filles ne sont pas drôles », lui disait son père. Devait-elle cesser d’être drôle ou devait-elle devenir jolie, d’une beauté plus acceptable, du genre qui saute aux yeux et non qui se décrypte,  une fois  l’oeil habitué ? Non, sa tache faisait partie d’elle. Grâce à elle, elle avait appris plus vite comment s’imposer dans ce monde. Elle riait parfois de ces garçons qui la sifflaient à son passage, et s’excusaient ensuite, lorsqu’elle se retournait. De quoi se sentaient-ils gênés ?

 

Ce n’était pas cette marque qu’il fallait ôter, c’était le regard que les autres lui portaient.

 

Et ce soir, ce bien-être, n’être qu’un corps dansant, dans l’excellence du mouvement. Ne lire dans ces premiers regards que de l’admiration et de l’envie. De ce corps si joli, jamais assez regardé. N’être qu’une femme, quelle femme, et laisser derrière elle, une fois par semaine dans le sillage de ses pirouettes, cette fille à la tache.

 

 

NB: Retrouvez les textes de Michèle Lessaire avec la rubrique "Rechercher"