témoin de la dérive de leur couple, mais là, brusquement la chose est dite. Elle a rompu hier. Je lui offre du champagne pour saluer son courage. Courage que je n’ai pas eu, attendant qu’une maîtresse de mon mari, la bienveillante, me sorte de mon propre naufrage. Valérie est fière d’avoir enfin pris la décision, mais réfute mon admiration.

-Cela m’a pris 8 ans, me dit-elle. Il y a 8 ans déjà, je pensais à partir.

Car cela fait bien 9 ans que Clément ne l’a plus touchée. J’en suis abasourdie, qu’en disait-il, en parlait-elle ? Il n’en disait rien, refusant les questions, et elle n’en parlait pas, je suis la première à qui elle se l’avoue. Ainsi, elle a tenu 9 ans, un amant de temps en temps, rien de bien passionnant.

Pourtant Clément a quitté sa première femme Suzanne, (de son age, elle), pour Valérie. Nouvel amour, nouvelle jeunesse, nouveau cercle d’amis. Un vrai choix de vie, afin de s’en lasser, avant de s’enliser.

Cette histoire, comme toutes celles qui se racontent après, me confronte à la misère tue derrière ces couples. Celia, qui trouve son mari au lit en pleine action alors qu’elle revient (en taxi) de la maternité avec son premier né. Charlotte, dont le mari vide le compte commun pour des week ends de voile, lui sous traitant la joie d’élever ses 2 petites filles. Gustave, capable de passer un mois sans parler à Mélanie. Alice finançant tant bien que mal les études de son conjoint ado de 40 ans, qui change d’orientation tous les 2 ans, car trop bien pour vivre de ce qu’il a appris.

Et pendant ces années, ces femmes et moi parlons de nos vacances pendant que leurs maris préparent l’apéritif.

Mes amies se racontent, elles se racontent après. J’étais à coté d’elles, mais elles se taisaient. Elles cachaient leur misère. Je m’en veux de ne pas les avoir fait parler.

Et pourtant, moi-même, je l’ai fermée. Je faisais mine de rien. J’avais l’impression que si je racontais, cela existerait. Tant qu’on ne dit rien, on ne se frotte pas aux mots et aux concepts. Les paroles, c’est provoquer le miroir des autres. Et bien sûr, pendant qu’on rame, on pense que les bateaux couples alentour sont parfaits et sans failles. On craint leur jugement. On refuse d’entendre le verdict « mais qu’est ce que tu attends pour te casser ? » parce que cette sentence, on n’a pas le courage de se l’appliquer.

Pourtant, les filles ça parle. Ça sait que la survie est dans l’échange, que les amies peuvent faire soupape, mais non. Quand même cette fausse fierté.

Et puis rester sur le radeau, néanmoins.

Aucune de ces femmes n’est empreinte de conformisme à la « ça ne se fait pas » ou dépendante financièrement. Dans la vraie vie, au bureau, hors du couple, elles prennent des risques, des décisions. Elles sont toutes dotées de cerveaux et de corps suffisamment agréables pour espérer autre chose. Chacune aurait dit aux autres de se sortir de là, eut-elle su ce qui se jouait vraiment. Elles sont restées, dans le silence, au pire l’humiliation, ou simplement le renoncement à leurs rêves. Elles sont restées pour les enfants, pour en avoir un jour, pour ne pas faire de mal, parce qu’elles ne pouvaient pas, parce que nous ne pouvions pas partir. Dans l’espoir de l’amélioration, chimère du couple boitant. Et un jour le trop plein, le réveil conscient. Chacune d’entre nous se demande aujourd’hui pourquoi elle a attendu, comment elle a tenu.

NB: Retrouvez les textes de Michèle Lessaire avec la rubrique " Rechercher"