ce matin, dans un empressement inhabituel, je suis face à la glace les yeux ouverts. Et je le vois. Il est toujours là.
-Qu'est ce que tu fais encore là ?
-Ben, j'ai toujours été là. T'as juste arrêté de me regarder.
-Et bien bouge, je ne supporte plus de te voir à cet endroit.
-Oui, mais je suis un grain de beauté. Je ne peux pas bouger.
-Un grain de beauté? Non, désolée, tu es le Grain de beauté de
Graham. Celui à qui il parlait. Qu'il chatouillait pendant des heures.
-Mais j'étais là avant Graham. Ce n'est pas de ma faute si Graham m'aimait bien. Et encore moins s'il t'a quittée.
-Peut être, mais avant lui, je ne t'avais jamais remarqué. Tu n'avais aucune importance, aucune existence. Maintenant, quand je te vois, je pense à lui. Et je ne veux pas. Alors tu bouges, tu vires, tu dégénères, tu disparais.
-Ah oui, et comment?
-Tu trouves, je ne sais pas moi. Si tu quittes cette clavicule pour, disons,
un talon, tu ne me feras plus penser à son nez, sa langue, ses doigts sur toi.
- Mais je ne peux pas!
-Ecoute, tu me rends dingue. T'as déjà vu quelqu'un parler à ses grains
de beauté? Non, alors tu vois, ça urge! Je vais prendre rendez vous chez le dermato pour te faire supprimer.
-Ah non, non, pas ça ! T'as qu'a mettre un sparadrap, tu ne me verras plus!
Bonne idée. Je lui en colle un qui le dissimule parfaitement. Assez contente de ma ruse, je recommence à m'habiller.
Et là, qu'est ce que je vois? Là, au milieu de ma jambe droite: le genou de Georges.
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Morceaux choisis (de Michèle Lessaire)
mardi 17 juin 2008. Lien permanent Textes ateliers précédents
Alors que j'essaie de toujours m'habiller les yeux fermés,