Je sais que mon histoire a explosé dans le monde du fait divers, jusqu'à toucher la France, et ce château dans lequel vous séjourniez. Vous me racontez par le menu votre petit déjeuner ce jour-là, lorsque votre hôte vous a fait lire ce titre alléchant : « séquestrée par son père pendant 24 ans ». Vous dites ne jamais lire le journal, faute de temps. Pour moi, le journal_ parfois celui du mois dernier_ était la seule chose qui me permettait de vivre le temps, du fond de ma cave. Vous avez donc lu cet article, écartant d’une main votre tasse de thé, en gardant un œil sur vos enfants qui batifolaient dans le parc du château.
Cet article vous a émue, laissez moi vous dire que vous n’êtes pas la seule. Mon expérience constitue pour beaucoup d’entre vous qui vous targuez d’écrire, une terrible source d’inspiration.
Mais de tous ceux qui m’ont écrit alors, vous êtes la seule à avoir choisi de me raconter votre vie, comme un miroir défaillant de ce que j’aurais pu vivre dehors, de ce que je pourrai vivre encore.
Vous avez mon âge, mais je suis bien plus vieille que vous. Pourtant vous connaissez le monde, alors que je ne l’ai que lu. Comme moi, vous dites aimer lire, mais vous ne savez pas ce que c’est quand, lire c’est votre seule vie. Vous, lire, vous le faites en dilettante. Moi, j’aime lire comme un bébé de deux mois aime sa mère, parce que l’écrit a été mon seul horizon et unique remède.
C’est toutefois pourquoi j’ai aimé vous lire, parce que vous me parlez de la vraie vie, dans votre souci de mettre en garde contre ce qui m’attend aussi dehors.
Face à l’hirsute histoire de mon passé, vous parlez de vos relations tendues avec votre père, et avec votre ex, père de vos enfants, tous deux du genre dominant. Vous dites douter du genre masculin, laissez moi rire, que serait-ce si ces deux hommes n’était qu’un seul et qu’il vous ait tenue enfermée dans une cave ? Quand à vous demander ce que vous transmettez à vos garçons, au moins leur père n’est pas leur grand père.
Vous avez, je vois, des cohortes de tous petits soucis. Ma vie dans le journal vous a montré à quel point il vous fallait relativiser. Vous êtes happée par le quotidien, vous échinant à assurer un train de vie dont vous devriez vous demander l’utilité de bonheur additionnel. Dans votre course entre travail, garde des enfants, amours impossibles, vous omettez vos envies, vos temps de réflexion. N’êtes-vous pas plus prisonnière que moi, dans votre vie guidée par vos obligations ? Réussir sa vie comme ça, c’est une vue de votre esprit. Vous n’êtes pas le caméléon des envies des autres.
Vous n’êtes, ne serez jamais parfaite, votre vie ne sera que celle que vous pourrez avoir. Vous aimez écrire ? Écrivez Vous voulez aimer ? Vomissez les nocifs, croyez au choix.
Vous voulez vivre ? Vivez
Vous êtes comme une mouche qui se heurte sans relâche au fond d’un verre, oubliant le recul, alors que ses ailes lui permettraient de s’envoler hors de ce récipient.
Je vous prends en pitié, je vous hais, de voir que vous faites si peu de choses de vos envies, alors que vous êtes libre. Tout ce que vous ne faites pas, tout ce que vous regrettez, ce n’est que votre faute. Voyez-vous, vous m’écrivez que l’article sur moi vous a fait l’effet d’un coup de semonce : je ne peux que vous inciter à vivre comme la rescapée d’un cancer, en larguant votre paresse des cassures, votre frayeur des déceptions.
Vous trouverez peut-être ma réponse à votre lettre peu avenante pour un premier échange. Prenez le temps de me relire et j’espère que dans votre prochain courrier, je pourrai lire que vous avez compris pourquoi...Mugir


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